12 / 1999
C’est pour répondre à un besoin que la capitalisation d’expériences s’est développée au cours des dernières années : pour affronter les nombreux déficits dans la relation entre l’action et la réflexion. L’amnésie caractéristique au sein des institutions et l’absence de mise à profit entre tous des apprentissages réalisés par les divers organismes et projets de développement ou d’urgence, par leurs générations successives, sont sans doute une des motivations premières pour entreprendre une démarche de capitalisation. Et puis, quand elle existe, la réflexion tend à ne s’occuper que de l’action en tant que telle, à son exécution et ses résultats, parfois à ses impacts et à sa pertinence, très rarement au vécu des acteurs et aux leçons qu’ils en tirent, encore moins aux processus de l’action et de l’apprentissage.
Une autre source fréquente de motivation est le constat que les acteurs de terrain ont bien du mal à mettre en forme les acquis de leur expérience, à théoriser leurs pratiques, soit parce qu’on les relègue à un rôle de simples exécutants, soit à cause de schémas intellectuels universitaires qui les accablent et les stérilisent, presque toujours parce qu’ils n’ont ni le temps, ni les instruments, ni les appuis pour ce faire.
Enfin, dernier aspect peut-être, il y a une carence énorme dans la façon dont la réflexion sur l’action s’exprime et circule ; elle est inaccessible aux autres acteurs parce qu’indigeste en styles et en longueurs, en normes de forme et en formes de dogme, parce qu’introuvable. C’est donc dans l’oral que le terrain se dit et se réfléchit, sans que l’échange puisse dépasser les espaces et les temps du cercle restreint.
D’un entretien à l’autre, le constat s’enrichit et se renforce. Que manque-t-il donc pour améliorer la réflexion dans l’action ?
- Tout d’abord du temps, du temps pour le recul, pour réfléchir, pour élaborer ;
- Des moyens aussi, souvent de l’argent, car il faut financer le temps, des appuis éventuels, les supports de diffusion-circulation ;
- Des appuis donc, pour renforcer l’expression, pour accompagner les processus et leurs crises ;
- Et surtout une mémoire, c’est-à-dire de quoi enregistrer, accumuler et organiser l’information pour mieux s’en servir ;
- Ce qui appelle des méthodes et des disciplines ;
- Et des circuits pour l’échange, la diffusion, la promotion.
Mais il faudrait aussi une volonté politique, un leadership, une dynamique d’équipe ;
- Afin d’ouvrir des espaces au sein des hiérarchies intellectuelles et administratives ;
- Et de favoriser des systèmes mentaux plus aptes à la mobilisation des connaissances du terrain ;
- Ainsi que l’envie réelle d’apporter son expérience aux autres et d’accéder à la leur.
C’est à tout cela que devrait s’attaquer la capitalisation d’expériences ? Ce n’est pas clair. Du moins existe-t-il un consensus autour du vide existant et de l’importance de le combler. Mais tout cela n’a pas nécessairement à être porté et assumé par la seule capitalisation. Là où déjà existe une mémoire institutionnelle, avec sa gestion d’information, la capitalisation apporte ses propres besoins pour enrichir le registre ainsi que ses clefs pour organiser et structurer ; elle ne recommence pas de zéro. Là où déjà existent des circuits pour l’échange et la diffusion, la capitalisation fournit ses propres matières et n’a pas toujours à créer des structures séparées.
Pourtant le vide est actuellement si grand que le chapeau de la capitalisation tend à abriter toutes sortes d’initiatives et de pratiques, de même que d’autres avaient déjà essayé de les loger sous le chapeau de l’évaluation et d’autres sous celui de la systématisation. C’est ce qui explique les doutes et confusions qui s’expriment souvent dans les entretiens.
C’est là aussi qu’est le danger d’incompréhension entre les différentes sensibilités et représentations. Chacun est arrivé là où il en est à la suite d’un parcours parfois très long (les entretiens racontent beaucoup de ces parcours, que malheureusement nous n’avons que rarement pu reprendre dans les courtes fiches d’entretiens), souvent fait de nombreux heurts avec des traditions et des intérêts, avec des structures, avec des dogmes, pour pouvoir faire avancer ses préoccupations et ses trouvailles : sur ce sujet nous sommes plus habitués à nous « battre contre » pour défendre nos disciplines et convictions qu’à nous rassembler pour les clarifier.
D’où l’importance de bien établir notre consensus de départ autour des déficits de la relation action - réflexion. C’est ce qui devrait aider à distribuer les rôles et responsabilités des diverses méthodes, à préciser les complémentarités et chevauchements, à améliorer les critères et les outils.
relações reflexão ação
, América Latina
P. de Zutter est consultant ; il anime des groupes de capitalisation composés de techniciens agricoles en Amérique latine. Il est l’auteur de : « Des histoires, des savoirs et des hommes : l’expérience est un capital », Paris, 1994, FPH ; coll. « Dossiers pour un débat », n° 35.
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