La rencontre de début mai à Paris sur la capitalisation d’expériences m’a laissé un arrière-goût de frustration. Disons que je suis resté en manque. Bien sûr, ceci est en relation étroite avec mes attentes, qui étaient sans doute trop ambitieuses ou inopportunes. De toutes façons, la confrontation entre attentes et résultats peut sans doute permettre de tirer quelques enseignements. La première attente déçue tient à la très faible participation des responsables d’institutions. La grande majorité des participants étaient des facilitateurs de capitalisations, c’est-à-dire ceux qui appuient les « autres », ou bien des novices venant découvrir la capitalisation. Les absences peuvent avoir trois causes principales :
1. Le rythme du cycle que nous avions entrepris : peu avaient eu le temps de lire vraiment le document préparatoire. Or celui-ci, avec son tour d’horizon des histoires, tensions et défis sous-jacents à la capitalisation, exigeait un temps de digestion pour apprécier les implications de ses questionnements. L’étude qui le précédait était d’ailleurs spécialement conçue pour préparer l’ambiance à des décisions sur le fond. La rencontre est peut-être venue trop tôt.
2. La capitalisation est perçue par beaucoup comme « le truc » de la FPH alors que les autres institutions tendent à ne se préoccuper que ponctuellement de leurs éventuels besoins de capitalisation. Notre convocation était donc sujette à l’échelle des priorités de chacun et pour beaucoup entrait surtout dans la catégorie des « relations inter-institutionnelles », plus que dans celles de leurs propres besoins.
3. Au-delà de ces aspects de méthode et de rôles, les absences révèlent enfin que notre milieu n’est pas encore mûr, qu’il n’est pas encore en condition de dépasser la simple recherche de « solutions » techniques et méthodologiques à certaines carences pour entrer dans une révision de fond des rapports entre action et réflexion.
Car, et c’est là ma deuxième attente déçue, j’avais l’illusion que le panorama offert par les entretiens et textes présentés permettrait, aussi, de recentrer la capitalisation d’expériences au sein du chantier majeur et, de mon point de vue, urgent que serait le rééquilibrage ou la recomposition des relations entre théorie et pratique.
J’étais sans doute trop porté par mon propre processus, avec en 1993 la formulation de mes apprentissages latino-américains en la matière, recueillis dans « Des histoires, des savoirs et des hommes », puis cette année la découverte, l’interprétation et l’interpellation, pour cette rencontre, des pratiques (pour l’essentiel) françaises. Et puis, j’oublie trop souvent que l’on a tendance à préférer le lénifiant de la « mise en méthode » au génie ennuyeux de la remise en cause.
Mais c’est cette deuxième attente qui expliquait la première : la présence de responsables institutionnels ayant la capacité de décider et faire décider, aurait peut-être permis de préciser une stratégie pour avancer plus vite vers de véritables politiques de valorisation de l’expérience, de révision des rapports action-réflexion. En leur absence, il ne resterait aux facilitateurs que le choix de se regrouper entre eux pour pousser lentement quelques orientations, en attendant le bon vouloir de…
Pourquoi ces attentes sans doute exagérées ? Pour moi l’heure n’est pas à se faire plaisir en apportant de petites améliorations à ce que nous avons déjà fait mais à affronter les défis et opportunités de l’époque. Car, si les tensions et questionnements recensés sont bien présents au sein de la capitalisation, ils deviennent de plus en plus visibles et c’est le moment d’apporter un peu de clarté pour orienter tant d’efforts en cours et éviter une sorte de « n’importe quoi » à la mode. Par exemple, depuis le terrain, nous avons besoin d’interlocuteurs pour avancer, pour continuer à développer les capacités des acteurs. Or, lorsque nous élaborons nous-mêmes sur le terrain, soit nous n’avons que peu ou pas d’échos des autres secteurs, soit nos apports sont reçus en tant que matière première pour les analyses des éternels spécialistes. Mais il n’y a guère de dialogue réel, direct.
Au contraire, beaucoup semblent s’orienter vers la pratique classique qui consiste à multiplier les couches d’intermédiaires : on aurait à présent les « facilitateurs », sortes d’« écriveurs » professionnels, et puis les auteurs d’analyses transversales, les « transversaleurs ». Comment équilibrer, compléter, confronter, dépasser les extrêmes de toutes nos tensions ? Il s’agit de forger des conditions qui rendent cela possible, des conditions qui s’expriment dans des idées, dans des politiques de travail, dans des priorités institutionnelles, dans des orientations financières, dans des méthodes et des savoir-faire, mais surtout dans des ambitions partagées le plus largement qui soit. C’est d’ailleurs de là que provient mon arrière-goût de frustration : dans des ambitions insuffisamment partagées. Allez, c’est mon problème à moi car, sans elles, la rencontre a apporté de belles choses et a réuni de belles gens. Un jour viendra… ? Ou faut-il chercher ailleurs ?
P. de Zutter est consultant ; il anime des groupes de capitalisation composés de techniciens agricoles en Amérique latine. Il est l’auteur de : « Des histoires, des savoirs et des hommes : l’expérience est un capital », Paris, 1994, FPH ; coll. « Dossiers pour un débat », n° 35.
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