Un personnel judiciaire corrompu
02 / 2001
Kossi est un commerçant béninois. Au terme de plusieurs mois de procédure, il vient de gagner son procès devant le tribunal de première instance. Mais la décision du juge est susceptible d’appel. Si son adversaire porte l’affaire devant la cour d’appel, il ne pourra pas faire exécuter le jugement. Il sera obligé d’attendre car l’’appel suspend l’exécution de la décision. Entre-temps, son adversaire peut en profiter pour mettre ses biens à l’abri. La loi donne à celui qui a gagné le procès un moyen pour parer à cette éventualité : l’exécution provisoire. Kossi a donc sollicité et obtenu le bénéfice de cette mesure. Il se frotte les mains. Mais avant de pouvoir faire exécuter la décision signée du tribunal, il lui faut avoir le texte de la décision signé du juge et du greffier. A plusieurs reprises, le greffier en charge du dossier lui explique que le texte n’est pas encore prêt. Il décide de ’faire un geste’ au greffier : deux billets de dix mille francs. Le jour même, il récupère le texte de sa décision.
A la suite du décès de son frère aîné, le conseil de famille désigne Kokou comme administrateur de biens. Il transmet le procès-verbal du conseil de famille au tribunal pour homologation. Le juge, après vérification, autorise l’homologation. Pas de contestation de l’homologation au bout d’un mois.
Kokou se rend alors au greffe du tribunal pour retirer le jugement d’homologation. Le greffier qui a ce dossier lui montre une pile de documents à taper. Pour que ce soit prêt, il faut raisonnablement attendre deux mois. Or Kokou a besoin de cette pièce pour constituer un dossier de pension et pouvoir accéder au compte bancaire du défunt. Celui-ci a laissé plusieurs enfants et la situation ne peut perdurer. Kokou sort un billet de 5000f ’pour la bière’ du greffier. Deux jours plus tard, il est en possession du jugement d’homologation.
Principal point de contact entre les usagers et la justice, le greffe est un service important des juridictions. Le greffier enregistre les affaires, prévient les parties des dates d’audience et de clôture, dresse les procès-verbaux, rédige des actes et décisions. Parmi ceux qui fréquentent le plus les greffes figurent en bonne place les avocats et les agents qui travaillent dans leurs cabinets.
Dans la plupart des tribunaux du Bénin, certains avocats ont tissé des liens particuliers avec des greffiers. ’On donne périodiquement des enveloppes au greffier ami de notre cabinet. En début d’année, à l’occasion des fêtes ou quand le greffier a des cérémonies, nous lui témoignons aussi notre solidarité’, confie sous anonymat un collaborateur d’avocat.
Résultat : Les actes dont a besoin ce cabinet sont délivrés assez rapidement, les dates d’audiences lui sont communiqués diligemment.
Pour certains avocats, ils vont prendre des dossiers au nord du Bénin, c’est l’occasion d’embarquer de l’ananas, du poisson frit, des crabes, des liqueurs et autres pour aller distribuer au personnel des tribunaux.
Ceux qui ne connaissent pas ces ’bonnes manières’ peuvent perdre beaucoup de temps au niveau des tribunaux. La plupart des avocats reconnaissent qu’ils sont souvent ou parfois amenés à faire des dons à certains greffiers. ’Tu ne peux pas ne pas avoir besoin d’eux’, affirme impuissant un avocat. De fait l’avocat, qui veut faire efficacement son travail a besoin d’avoir un ou des greffiers acquis à sa cause. ’Les avocats ne sont pas non plus des saints dans cette affaire. Ce sont eux qui nous proposent des enveloppes pour qu’on fasse leur travail avant celui des autres’, témoigne un greffier en service au sud Bénin.
’Le conditionnement’ de certains greffiers dépasse parfois le coup de main pour accélérer la délivrance des actes ou informer rapidement des dates d’audience. C’est au greffe que sont conservés les dossiers des affaires en cours. Les greffiers ont la délicate mission de les conserver. Il est déjà arrivé que certains agents des greffes fassent preuve d’indélicatesse. Avec la complicité de certains justiciables et moyennant rémunération, certains acceptent de faire disparaître des pièces importantes d’un dossier ou parfois tout un dossier en entier. Il est déjà arrivé que des registres soient falsifiés au niveau de certains services de greffes. Les justiciables qui poussent à commettre de tels actes interviennent parfois au niveau de certains magistrats pour gagner un procès. C’est rare que le juge rencontre directement une personne qui a un dossier devant lui. Très souvent, c’est une relation du justiciable qui se charge de ce contact. Mais il arrive qu’une partie au procès rencontre directement le juge. Un avocat membre du conseil de l’ordre témoigne : ’Un vendredi nuit, à la fin de la réunion hebdomadaire du conseil de l’ordre, j’ai surpris un de mes clients avec le magistrat qui était en charge de son dossier ; Ils sortaient du cabinet du juge. Le lendemain, mon client est venu me voir pour me dire de ne pas en faire une affaire et qu’il avait déjà préparé le terrain’. Il est arrivé que le client dise tout simplement à son avocat : ’J’ai vu le juge qui a dit de conclure dans tel sens’. Certains magistrats ont même ouvert des cabinets juridiques privés qui officiellement, appartiennent à d’autres personnes. C’est parfois là que sont rédigées les conclusions que le justiciable doit déposer officiellement au même juge ou a un juge faisant partie du réseau. Le justiciable qui connaît ce circuit ne s’embarrasse plus de prendre un avocat. Il a le contact direct avec le magistrat qui va rendre sa décision. ’C’est plus efficace que d’aller prendre un avocat’, avoue un homme d’affaire bien introduit. ’C’est nous qui rendons la décision, non ?’, confie un magistrat qui s’étonne que des justiciables aillent perdre leur temps chez des avocats’. Par ce système, c’est le métier même d’avocat qui est menacé dans son existence’, analyse un juriste. Certains professionnels ne font pas les choses à moitié : ’Pour donner toues assurances au plaignant en vue de leur prendre de l’argent, certains juges n’hésitent même pas à leur remettre les dispositifs de leurs décisions avant de procéder à leur prononcé’, rapporte la cour suprême dans sa contribution aux Etats généraux de la justice de 1996. ’des magistrats rédigent leurs jugements sous la dictée des pots de vin dont ils sont arrosés ou sous l’influence des avantages et récompenses qu’ils attendent ’, renchérit maître Raphaël Ahouandogbo dans la nation du lundi 4 novembre 1996. ’La possibilité de partager, avec les victimes, les dommages intérêts conduit certains juges à procéder à l’évaluation exagérée de leurs montants’, poursuit le même rapport. La société nationale d’assurances et de réassurances (sonar)a été ainsi condamnée à plusieurs reprises à des centaines de millions de francs CFA.’Certains magistrats portent une part de responsabilité dans les difficultés financières qu’a connues la sonar’, analyse un cadre des assurances.
corrupção, ação legal, ética da jutiça
, Benim
L’intégrité n’est plus que l’apanage d’un petit nombre de ’gens de justice’. Si la justice continue d’être rendue au nom du peuple, dans bien des cas c’est l’argent qui détermine le sens dans lequel les décisions sont prises. Justiciables, greffiers, avocats et magistrats, aucune catégorie n’échappe entièrement au poids de l’argent.
Livro
BADOU, Jérôme, Visages de la corruption au Bénin, Agence de presse Proximités (Bénin)
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