A chacun son rythme ! S’il est un champ d’action où cette expression devient impérative, c’est dans la capitalisation de l’expérience. Celle-ci oblige bien souvent à toucher des fibres intimes, quant à la vie personnelle, quant à tout ce que l’on croit ou à tout ce que l’on est par rapport aux autres : on ne peut pas brusquer inconsidérément de tels processus. Et pourtant !
Et pourtant c’est dans la négociation de délais et de styles de produits de la capitalisation que chacun puise les forces pour s’embarquer dans ces révisions hasardeuses du vécu. Même si les délais sont rarement tenus.
Et pourtant pour que l’oeuvre soit le plus possible collective (même lorsqu’elle se forme à base d’apports isolés) il est nécessaire d’établir des règles du jeu et de chercher à les respecter. Car il y a toujours des aménagements à faire en dernière minute et l’harmonie est difficile à atteindre entre celui qui a terminé son travail depuis longtemps et le considère achevé, intouchable, celui qui vient à peine d’en finir et est trop épuisé pour entrer aux retouches ou aux réductions, celui qui vient de culminer tranquillement, est encore pleinement motivé et aime prendre part à l’harmonisation de l’ensemble.
A chacun son rythme donc, mais au sein de normes communes. C’est là tout le défi qu’affronte la méthode de capitalisation.
Là dedans diffèrent à leur tour des phases telles que la mise en conditions, le mûrissement, l’enfantement, et la manière de les vivre de la part de chacun. Ainsi, par exemple, la négociation générale des conditions de capitalisation sera suffisante pour que ceux qui y prennent part de manière active soient rapidement dans le bain. Mais pour d’autres il faudra reprendre toute une négociation particulière afin qu’ils arrivent à situer leur apport dans l’oeuvre d’ensemble.
En fait, dans les expériences que j’ai eues, les capitalisations vivent le plus souvent par à-coups. Et il s’agit alors de se préparer pour affronter du mieux possible les moments les plus intenses, tels que les crises et déchirements de certaines révisions, ou les efforts concentrés pour mettre en forme.
La pratique de la capitalisation ressemble à la descente des fleuves: peuvent s’y alterner les vertiges des rapides et le cours paisible des méandres de plaine. De même que les hommes des eaux s’entraînent aux différentes situations, de même pourrait-on prévoir une préparation des acteurs d’expériences-auteurs de capitalisations.
On ne capitalise pas que de longues expériences, on peut le faire pour des actions précises, limitées dans le temps et l’espace. C’est dans la mesure où l’on acquiert attitude et pratique à l’occasion de faits mineurs qu’il devient plus facile d’entreprendre la capitalisation d’une oeuvre majeure.
C’est lors d’activités « normales » que l’on apprend à mieux enregistrer et ordonner l’information (faits et opinions) qui servira à élaborer des connaissances et c’est lors d’activités sortant de l’ordinaire que l’on se voit contraint de réfléchir et réviser les critères et catégories de ce recueil-agencement.
C’est lors d’activités particulièrement intenses que l’on peut s’essayer à de petites capitalisations ponctuelles et rapides. C’est dans les activités routinières que l’on peut réfléchir tranquillement à ce que serait une capitalisation permanente, en continu ou périodiquement.
S’il est actuellement si difficile de compatibiliser les différents rythmes personnels au sein de la capitalisation, c’est en grande mesure parce qu’une telle activité est trop « extraordinaire ». Mais qu’adviendrait-il si la capitalisation commençait à faire partie de nos préoccupations régulières ?
Est-ce un rêve que d’imaginer que les rapports exigés par nos institutions puissent devenir des occasions d’entraînement à la capitalisation, des supports pour le recueil des éléments qui enrichissent la capitalisation ?
Il y faudrait… Allons bon, ne tombons pas dans les conseils gratuits. Mais signalons une piste : un rapport qui se limite à intégrer une pile de papiers sur le bureau du supérieur ne motivera personne à capitaliser ; un rapport (ou une partie de rapport) qui circulera de main en main pourra devenir un bon défi-stimulant à l’apprentissage personnel et collectif des rythmes et formes de la capitalisation. Encore une fois, c’est la diffusion, la circulation, la possibilité de partage qui motive le plus à faire l’effort d’offrir le mieux possible les acquis de l’expérience.
metodologia, informação, negociação, capitalização de experiência
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Pour ma part, c’est en essayant dans mes « rapports », depuis dix ans et chaque fois que j’en avais (ou prenais) la marge et le temps, de rendre l’information sous une forme qui aide à réfléchir et à forger d’autres regards, d’autres connaissances, que j’ai mieux compris l’utilité et un certain art de la capitalisation de l’expérience. Parfois j’y plaçais une sorte de sketch, ou un petit conte, ou la description anecdotique et réfléchie de faits assez porteurs. C’est souvent ce qui restait le plus de ces « rapports » et ce qui continuait des années après à enrichir la réflexion de l’expérience.
Fiche traduite en espagnol : « Capitalización: Los ritmos de trabajo y el entrenamiento de los informes »
Ce dossier est également disponible sur le site de Pierre de Zutter : p-zutter.net
Version en espagnol du dossier : Historias, saberes y gentes - de la experiencia al conocimiento