Le point de vue d’un chercheur indien
11 / 2000
Nous assistons actuellement à un processus de mondialisation de l’écologie, tout comme il y a une mondialisation de l’économie. Dans les deux cas, les pays en développement doivent faire très attention, bien voir à quoi ils s’engagent au cours des négociations, en particulier lorsqu’il s’agit de se partager les " biens communs " de notre planète, l’air et les océans par exemple. Les rapports sur les négociations internationales dans le domaine de l’environnement que le CSE a décidé de publier ont pour but d’analyser les positions des pays en développement et de faire un bilan. Ils voudraient aussi mettre à la disposition de la société civile, souvent tenue à l’écart de ces grands forums, l’information dont elle a besoin pour veiller à ce que les choix réalisés restent démocratiques et que les principes d’égalité prévalent entre pays riches et pays pauvres. Dans le premier rapport on trouve une analyse de trois conventions adoptées après la Conférence de Rio, de quatre séries de négociations actuellement en cours et de deux institutions environnementales.
Principales conclusions
- Sous le couvert des négociations internationales environnementales, que voyons-nous finalement apparaître ? Une situation extrêmement déséquilibrée où les pays du Nord vont renforcer leur contrôle sur les ressources mondiales et tirer les ficelles.
- Lorsque les chefs des Etats-nations se réunissent pour fixer les nouvelles règles de la mondialisation de l’écologie, ils se positionnent pour faire en sorte que tout cela coûte le moins cher possible à l’économie nationale. La diplomatie de l’environnement est devenue affaire de mégotage alors que, idéalement parlant, il s’agit de mettre en place une gouvernance mondiale fondée sur la justice et l’équité.
- Au cours des années qui viennent les pays riches, en particulier les Etats-Unis, le riche d’entre les riches, auront un rôle immense à jouer. Or le Sénat américain n’a pas encore ratifié la Convention sur la lutte contre la désertification, la Convention sur la biodiversité, la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, la Convention de Bâle sur les déchets dangereux. Et l’Union européenne et les autres pays industrialisés ont tendance à se cacher derrière l’intransigeance américaine.
- Les responsables politiques des pays du Sud font preuve d’un manque de vision déplorable. Ils ne se rendent pas compte que ces traités sur l’environnement portent sur le partage durable de l’espace écologique planétaire, des " biens publics globaux ", comme l’air et les océans, qui conditionnent aussi l’activité économique des nations. Le plus important ce n’est pas l’aide ou les transferts de technologie mais le droit d’accéder à une portion équitable du patrimoine naturel collectif de notre terre. Il s’agit là d’une condition préalable pour pouvoir apporter aux pratiques économiques et technologiques actuelles les modifications indispensables pour un développement durable de la planète. Malheureusement il arrive que des économies en déroute produisent des leaders qui réagissent comme des gens dans la dèche. Pour quelques malheureux dollars aujourd’hui ils sont prêts à hypothéquer l’avenir du pays. Il arrive aussi que des économies prospères fassent apparaître des responsables politiques qui sont tout bonnement les fidèles serviteurs des milieux d’affaires.
- Les accords internationaux actuels relatifs à l’environnement prévoient une mise en ouvre progressive. Ils sont en quelque sorte évolutifs. C’est d’ailleurs une approche particulièrement recommandée par bon nombre d’experts qui suivent ces négociations. Mais elle pose un sérieux problème aux diplomates des pays en développement. Quelle que soit la phase d’élaboration ou de mise en ouvre du traité, ils n’ont pas une vision pleine et entière de son contenu, de ses implications. Comme ce sont généralement les pays industrialisés qui prennent les devants pour appliquer ces types d’accords, les programmes d’action sont très souvent définis par rapport à leurs priorités. Il est indispensable que les pays du Sud réagissent d’entrée de jeu pour s’assurer que le cadre dans lequel se situeront les programmes d’action reste au fil du temps conforme à leurs besoins. Malheureusement, compte tenu de la méfiance qui règne entre les nations, quand les pays en développement cherchent à participer à la formulation des règles, on pense souvent qu’ils font de l’obstruction.
- Pratiquement tous les accords internationaux en matière d’environnement prévoient des sanctions commerciales pour faire pression sur le pays coupable de ne pas respecter les règles. De telles mesures sont extrêmement injustes parce que seuls des pays puissants peuvent y avoir recours, contre des pays faibles. Il est impensable que les Maldives ou le Bangladesh puissent imposer des sanctions commerciales à l’encontre des Etats-Unis pour obliger ce grand pays à respecter ses engagements dans le cadre du Protocole de Kyoto sur les changements climatiques ! A l’échelle internationale un moyen de contrainte doit être, en toute équité, disponible aussi bien pour les pays pauvres que pour les pays riches, aussi bien pour les faibles que pour les puissants. Sinon, disons carrément et franchement que sur notre planète seuls les pays forts ont le droit de jouer au père fouettard pour faire respecter " leur morale " quand bon leur semble. Il est désolant de constater qu’un certain nombre d’Ong des pays du Nord soutiennent ces façons d’agir.
- Les pays du Sud ne peuvent pas compter sur les Ong des pays du Nord pour les défendre lors des négociations internationales relatives à l’environnement. Pour preuve la réaction de certains mouvements du Nord quand les gens du Sud ont réclamé le respect du principe d’équité dans la Convention sur le climat. Un silence massif a tenu lieu de réponse.
Une fâcheuse évolution
Jusqu’à la Conférence de Rio la société civile avait poussé les gouvernements à agir. Depuis elle semble s’être adaptée à l’inaction des gouvernements. La "gouvernementalisation" du débat écologique, du programme d’action écologique a eu des résultats désastreux. L’environnement semble être une cause à défendre, mais où sont les défenseurs ? Pratiquement aucun des traités signés à Rio ou par la suite n’a été appliqué avec tout le sérieux requis. Le Programme d’action 21 est presque devenu lettre morte. Les débats, surtout ceux qui font encore une place à l’idéalisme, sont vite esquivés car cela pourrait faire des vagues dans le grand marécage des bureaucraties et des intérêts économiques qui recouvrent tout de leur " pragmatisme ". Pour faire encore une fois bouger les choses, il faut que dans les pays du Nord et dans les pays du Sud la société civile se donne du courage, stimule les gouvernements, posent des questions, réclament des réponses.
meio ambiente, negociação internacional, acesso à informação, difusão da informação, Estado e sociedade civil
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L’analyse des conclusions de Green Politics résumées dans cet article est à méditer. Il semble qu’elle puisse s’appliquer à d’autres champs que l’environnement. C’est évidemment un point de vue "sudiste" qui se situe dans la tradition des non alignés. Ses auteurs sont des militants de longue date et à plein temps. La fréquentation des forums internationaux les a rendus sceptiques sur la rhétorique, du Nord et du Sud, moins encore vis-à-vis des gouvernements qui vont au plus pressé dans le sens des intérêts des plus forts que de certains mouvements associatifs occidentaux dont ils ont peut-être mesuré "le pragmatisme" avec un peu d’amertume.
Le texte original est paru en anglais dans le bimensuel Down To Earth, publié par le Centre for Science and Environment, Tughlakabad Institutional area 41, New Delhi-110062, India - cse@cseindia.org - www.cseindia.org
L’ouvrage Green Politics (408 p.)est disponible à cette même adresse au prix de 31 dollars (port 12$ compris)
G. Le Bihan traduit les articles de Down to Earth pour la revue Notre terre, vers un développement durable. Il a repris cet article sous forme de fiche DPH.
Artigos e dossiês
Ecologie et politique mondiale in. Notre Terre, vers un développement durable , 2000/07 (France), 4
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