08 / 1999
Temple du cinéma expressionniste allemand, les studios de Babelsberg, implantés en 1912 au sud-ouest de Berlin sur un terrain de 47 hectares, avaient su se doter d’équipements techniques innovants et performants qui en avaient fait le lieu de tournage favori de nombreux cinéastes européens ; c’est là-bas, par exemple, qu’à côté de "Metropolis "ou de l’ "Ange bleu" ont été tournés "Gueule d’amour" avec Jean Gabin et "L’étrange Monsieur Victor" avec Raimu. Mais l’arrivée des nazis pousse un grand nombre d’artistes, comme Billy Wilder ou Ernst Lubitsch, à partir aux Etats-Unis. Goebbels prend personnellement la direction du studio et, à côté de quelques films de propagande, y fait tourner des opérettes bavaroises qui plaisent à Hitler. Quelques semaines après la conférence de Potsdam, c’est un colonel russe qui le remplace ; commence alors une période de déclin. A la chute du mur, à part les constructions d’avant-guerre, tout n’est que baraquements provisoires ; les réseaux d’égouts, d’eau ou d’électricité ne tiennent plus que par miracle ; les prestigieux studios semblent irrécupérables et voués aux opérations immobilières.
Devant l’indifférence des entreprises de médias allemandes, qui estiment qu’elles peuvent avec leurs propres équipements satisfaire la demande, des Français passionnés de cinéma et d’aventures industrielles, aidés par le Gotha du cinéma allemand (Volker Schloendorff, Wim Wenders...), vont cependant relever le défi et sauver Babelsberg. La Compagnie Générale des Eaux (CGE)rachète le site en proposant la création d’une "cité des médias" comprenant des studios dédiés au cinéma, à la télévision, au multimédia, mais aussi une Université du cinéma, des surfaces d’activités flexibles prévues pour accueillir des entreprises des médias, un parc d’attraction, des cinémas, des magasins, des logements...
La stratégie adoptée a consisté à se tourner vers les technologies les plus avancées, grâce à l’excellente compétence technique des ingénieurs de l’ex-Allemagne de l’Est (les studios font ainsi, dès 1992, le choix du "digital", qui est encore très peu répandu), mais aussi à diversifier les activités en s’appuyant sur les points forts de Babelsberg, notamment son savoir-faire réputé en matière de décors. C’est ainsi que les ateliers de Babelsberg offrent leurs services pour la fabrication de maquettes ou la création de stands de foire, réalisant par exemple le "Tunnel du Temps" de l’exposition universelle de l’an 2000 à Hanovre, pour un coût de 5 millions de marks ; les ateliers travaillent maintenant à 80 pour cent pour d’autres secteurs que le cinéma.
Les studios s’orientent aussi, dans le secteur télévisuel, vers la production de séries quotidiennes ou hebdomadaires, les sitcoms, qui permettent d’amortir les décors sur un grand nombre d’épisodes ; les films à gros budgets, également très consommateurs de décors, se font en effet de plus en plus rares en Europe. Une véritable "usine à sitcoms" est donc construite, avec un plateau double pour une seule régie : pendant qu’on prépare l’un des plateaux, les comédiens jouent sur l’autre, ce qui permet d’utiliser la régie à 90 pour cent du temps au lieu des 60 pour cent habituels, et de produire chaque jour un épisode de 30 minutes, 5 jours par semaine, cadence double de celle des principaux concurrents.
Le parc d’attractions comprend entre autres une rue de western, une cité moyenâgeuse, des spectacles de cascadeurs, un cinéma dynamique analogue à ceux du Futuroscope de Poitiers, une exposition d’accessoires authentiques de films fantastiques (le stock d’accessoires de Babelsberg, comprenant un million de pièces, est répertorié dans le "Guinness book" comme le plus grand du monde); fondé en 1993, il a attiré dès 1996 plus de 500.000 visiteurs, et constitue l’une des activités les plus rentables de Babelsberg.
La production de films proprement dite ne va pas au-delà de trois grands films par an, avec des succès plutôt mitigés et un véritable échec pour la seule production de prestige, "Le roi des Aulnes", de Schloendorff, qui a coûté 27 millions de marks et n’a attiré que 400 000 spectateurs en Allemagne et autant en France. Selon l’orateur, Pierre de Couveinhes, cogérant des studios, "il est aujourd’hui difficile de rentabiliser des films à gros budget requérant un âge mental supérieur à douze ans ". Peu à peu l’industrie du cinéma glisse du cinéma d’auteur vers un cinéma de producteur, orienté vers la recherche du spectaculaire, d’où l’intérêt de développer les techniques digitales, qui permettent d’extraordinaires effets spéciaux ; les films avec sièges dynamiques devraient également connaître un fort développement, et le cinéma dynamique dont Babelsberg dispose est un atout à cet égard.
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En lisant le récit de cette spectaculaire résurrection, on est partagé entre l’admiration devant la prouesse technique et entrepreneuriale, et la mélancolie devant l’irrésistible "high-technisation" du cinéma. D’après l’orateur, la production cinématographique ne comprend plus que des super-productions avec superstars et effets spéciaux gigantesques, et des films moins coûteux, qui se concentrent de plus en plus sur la catégorie dite "comédie psychologique" ; ces derniers rencontrent parfois de gros succès dans leur pays d’origine mais s’exportent de moins en moins (le film "Les Visiteurs", succès colossal mais uniquement en France, est représentatif à cet égard). Quant au succès des films dynamiques, reposant sur une histoire très élémentaire, il évoque le "cinéma sensitif" du "Meilleur des Mondes" d’Aldous Huxley (un siège très perfectionné fait éprouver au spectateur les mêmes sensations physiques que les personnages). On a du mal à admettre que le bon vieux cinéma classique soit condamné au profit de ce cinéma-là, qui renoue du reste avec le côté "attraction de foire" des origines...
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COUVEINHES, Pierre, LEFEBVRE, Pascal, L'improbable résurrection de Babelsberg - séminaire 'Vie des affaires' in. Les Annales de l'Ecole de Paris, 1997 (France), III
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