Réforme agraire ou révolution verte? L’Inde, son indépendance une fois acquise en 1947, n’a jamais véritablement choisi, elle tenta au moins dans la plupart des Etats de l’Union, de mener une politique plus ou moins active sur les deux front. Les deux réformes ne réformes ne devaient-elles pas aller de pair? L’une n’était-elle pas impossible sans l’autre? D’une part, le partage de terres de taille déjà limitée ne pouvait donner des exploitations agricoles viables sans une intensification des systèmes de production et une augmentations de rendements. D’autre part, la révolution verte, caractérisée par une augmentations des investissements et de productivité par hectare, ne pouvait guère rencontres de succès chez les grands propriétaires caractérisés par une agriculture extensive et l’importance d’un faire-valoir indirect "semi-féodal". Le développement économique ne pouvait pas avoir lieu sans changement social. Il s’agit donc de montrer comment les gouvernements successifs de l’Inde se refusèrent à choisir entre l’économie et le politique et entèrent -sans qu’il y est forcément continuité- de mener de front changement social et intensification agricole ; après 1991, avec la libéralisation économique en cours, c’est une nouvelle donne qui est distribuée.
Priorité aux producteurs ou priorité à la production? La crise alimentaire du milieu des années 1960 fait que l’Inde donne vraiment la priorité à l’autosuffisance en grains: face à l’urgence les producteurs importeront moins désormais que la production ; l’essentiel ne sera plus qui cultive mais quoi et combien. La réforme agraire n’a servi qu’à retarder une échéance qui tombe aujourd’hui, alors que le partage des terres lors des successions a multiplié les exploitations non viables. Entre 197071 et 1985-86, le nombre des exploitations a augmenté de 38% et leurs superficie moyenne a diminué de 26%, n’atteignant même plus de 1, 7 ha contre 2, 3 ha en 1971 et 2, 5 ha en 1953-54. Et tout cela alors que 40% de la population active agricole sont considérés comme "ouvriers agricoles" par le recensement de 1991. La réforme agraire a renforcée une classe de "moyens-gros" propriétaires (autour de 10 ha), ils sont les représentants d’un nouveau capitalisme agraire, membres le plus souvent de la "caste dominante" au niveau régional, ils seront la base socio-économique et politique sur laquelle reposera la révolution verte.
Les premières variétés à haut rendement (VHR)de blé arrivent du Mexique au Panjab en 1963, le riz Taichung en 1965. En quelques années, ces nouvelles semences, tirant profit de nouveaux efforts portés sur l’irrigation, les engrais chimiques et le crédit, porteront la production de céréales à une hauteur jamais atteinte (plus de 180 millions de tonnes de grains alimentaires au milieu des années 1990). En à peine plus de 10 ans, l’Inde avait acquis on autosuffisance alimentaire. Mais des points noir subsistent: en raison de la croissance démographique (encore plus de 2%/an entre 1981 et 1991)la production par tête n’a guère crû et ne dépasse pas 200 kg de grains alimentaires par an. Que l’Inde exporte des céréales est signe de pauvreté plus que de richesse: ses surplus naissent du pouvoir d’achat misérable d’une partie de sa population. D’autre part, une part non négligeable de la croissance de la production agricole est due à celle de la surface cultivée (+18% entre 1951 et 1991)donc à des défrichements: l’autosuffisance alimentaire ne repose pas seulement sur l’intensification agricole. La concentration socio-spatiale de la production fut cependant partiellement compensée par un système de répartition des grains, les Système de Distribution Publique a représenté une véritable bouée de sauvetage pour une partie de la population.
Avec le recul, la révolution verte semble avoir apporté plus de solutions au problème alimentaire que les réformes agraire (qui n’ont fait que supprimer les inégalités les plus criantes). Il y avait beaucoup à faire pour améliorer la productivité de la terre, il y en avait peu pour améliorer sa distribution étant donné les déjà fortes densités rurales. Le Karnaka a poussé un peu plus loin que certains Etats une politique de transformation des structures foncières, mais sa réforme agraire ne tournait pas le dos à la révolution verte. Cette double modernisation, il l’a entreprise presque simultanément. Or, la conjonction des réformes agraires et agricoles n’a pas suffi à empêcher une relative stagnation des rendements, alors que la quantité d’engrais chimiques consommés par hectare a augmenté de plus de 7% entre 1980 et 1990. C’est dans tout le pays qu’on constate qu’il faut de plus en plus d’intrants pour un gain de productivité marginale médiocre.
Avec l’ajustement structurel appliqué depuis 1991, tout se passe comme si New Delhi avait sacrifié partiellement ses petits agriculteurs: non pas tant pour limiter le déficit budgétaire (la hausse des prix d’intervention l’a grevé), mais pour améliorer la balance des paiements. Les objectifs sont clair: retourner à un certain productivisme, tel qu’il avait pu prévaloir aux premiers temps de la révolution verte, et faire porter l’accent sur la production -si possible exportable- aux dépens de l’équité entre producteurs et régions. Pour augmenter la productivité on essaie d’inverser le mouvement de fragmentation des exploitation pour attirer des capitaux nationaux et étrangers afin de grossir le poids de l’agriculture d’entreprise. Le plus gros syndicat paysan du Karnataka, le KRSS (gros agriculteurs du sud de l’Etat), très actif lors des négociations du GATT, sera satisfait de l’accent mis sur la nécessité d’une agriculture exportatrice, mais accepterait-il l’entrée des grandes sociétés étrangères au Karnataka voire en Inde?
reforma agrária, revolução verde
, Índia, Karnataka
Selon l’auteur, il semble bien que toute politique alimentaire ou agricole dépende désormais d’un faisceau de facteurs dont on trouve les origines à Washington aussi bien qu’à Bangalore ou Bombay. Le pouvoir central de Delhi, qui a toujours laissé une certaine latitude en matière agraire aux Etats de l’Union, voit sa tâche compliquée par la mondialisation qui frappe l’Inde. Toute libéralisation correspond en effet à une double perte de pouvoir pour le gouvernement central: au profit de l’étranger tout d’abord, au profit des collectivités de niveau inférieur ensuite, ce qui tranche avec la tradition centralisatrice indienne. Finalement, l’auteur souligne une inquiétude: si dans un avenir proche le Système de Distribution Publique est progressivement démantelé, les régions productrices de surplus céréaliers ne bénéficieront plus des achats par l’Etat pour soutenir les cours, mais elles auront l’autorisation d’exporter. Les régions déficitaires, elles, devront s’approvisionner aux cours du marché. Géographiquement et socialement, les cartes en main sont inégales. Il souhaite que la libéralisation apporte rapidement avec la croissance économique des retombées favorables à tous, car sinon la partie risque de mal se terminer.
Colloque "Agriculture Paysanne et Question Alimentaire ", Chantilly, 20 - 23 Février, 1996
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