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Capitalisation : des connaissances sur tout et pour tous

Pierre DE ZUTTER

07 / 1993

« Don Cilico regarde encore une fois les papiers et se décide : - Ingénieur, je n’y comprends rien à vos listes ! Rendez-moi plutôt celle que je vous ai donné. »

Dans la capitalisation « Dios da el agua, ¿qué hacen los proyectos? » (C’est Dieu qui donne l’eau, que font les projets ?), l’ingénieur civil Luis Salazar raconte cette « réponse » des paysans-indiens de Cochabamba en Bolivie à l’un des efforts du Priv. Le Projet avait « organisé » les membres du village par ordre alphabétique afin de faciliter le traitement à l’ordinateur des droits que, par leur travail, ils acquéraient sur l’eau d’irrigation. Mais l’ordre choisi ne correspondait à rien pour les paysans !

L’anecdote est une de celles qui servent à Lucho à présenter la découverte progressive dans le Projet des réalités et des logiques de l’organisation paysanne avec laquelle il travaille. A partir de ces multiples réponses (verbales, actives, passives, de toutes sortes) il élabore ensuite une vision de l’organisation paysanne utile à des projets de ce genre : la « communauté » en tant que structure socio-territoriale, en tant qu’acteur principal de son « développement », en tant que partenaire principal du projet qui l’appuie.

Est-elle complète cette vision ? En aucun cas. Mais il s’agit d’une connaissance pour l’action qui offre en même temps bien des pistes pour que d’autres puissent ensuite approfondir, améliorer, contribuer à une meilleure connaissance de la paysannerie en général, des organisations populaires, de la paysannerie de Cochabamba en particulier.

Son texte et celui de ses collègues offrent en réalité une quantité impressionnante de matériel pour transformer la vision classique qui existait dans bien des milieux sur la paysannerie de Cochabamba. Et ils le font finalement bien mieux qu’une étude, car ils ne partent pas de catégories préétablies d’analyse mais du processus de confrontation-dialogue entre les propositions du Projet et les réponses paysannes. Ce qui permet à bien des publics possibles d’y éprouver de l’intérêt, soit pour les trouvailles qui s’expriment, soit pour les questions explicites et implicites qui en ressortent.

C’est un peu cela ce que l’on peut attendre d’une capitalisation de l’expérience : des connaissances sur tout et pour tous.

Sur tout. L’ingénieur civil ne s’est pas limité à « sa partie ». Il devait travailler avec les paysans et cela l’a obligé à faire l’apprentissage de leur organisation. Il n’a pas les mots du sociologue, ni ceux de l’anthropologue. Mais son objectif n’est pas de décrire l’organisation paysanne sinon de raconter comment il l’a découverte et ce qu’il croit avoir appris. Et en racontant-réfléchissant il touche bien des choses ce qui lui permet d’apporter à tous.

Pour tous. Il y en a pour les décideurs de projets, pour les spécialistes de l’irrigation, pour les techniciens de terrain, pour les chercheurs en sciences sociales, pour les paysans eux- mêmes qui pourraient à travers son récit mieux comprendre les désirs et les croyances des ingénieurs et donc développer leur capacité de négociation avec eux.

L’expérience vécue n’a pas besoin d’être « intégrale » ou « interdisciplinaire » pour toucher à tout. Dans la mesure où elle s’inscrit dans la vie des acteurs locaux, où tout est relié, elle peut être spécialisée tout en découvrant la globalité. Capitaliser l’expérience ne devrait donc pas se résumer à considérer ce qui a trait à sa propre branche mais exprimer toutes sortes de trouvailles, de doutes, de défis rencontrés, même s’ils ne s’expriment pas dans le langage « approprié ». C’est souvent cette expression depuis la pratique et ses mots qui aide à franchir bien des barrières entre disciplines.

Palavras-chave

organização camponesa, decompartilhamento de disciplinas, democracia, irrigação, pesquisa e desenvolvimento, relações reflexão ação, poder, capitalização de experiência


, América Latina, Bolívia, Paises andinas, Cochabamba

dossiê

Des histoires, des savoirs et des hommes : l’expérience est un capital, réflexion sur la capitalisation d’expérience

Comentários

Il y a dans cette recherche de connaissances sur tout et pour tous une composante importante pour l’exercice de la démocratie, du moins dans les Andes. La culture andine équilibre les délégations de responsabilités et de pouvoirs avec un gros effort de « contrôle social » qui s’exprime dans les pratiques d’assemblée, dans d’innombrables activités collectives, dans le côté « ouvert à tous » des réunions, des formations, etc.

Une capitalisation sur tout et pour tous, en améliorant la circulation de l’information au sein des organisations locales, au sein des projets, devrait aider à renforcer la capacité de « contrôle social » et donc un meilleur fonctionnement de la démocratie.

Notas

La capitalisation du PRIV:Proyecto de Riego Inter-Vallesà Cochabamba-Bolivie, avec la Coopération Allemande, était financée par la GTZ. Le livre : « Dios da el agua, ¿qué hacen los proyectos? » La Paz 1992, Hisbol-Priv, 250 pages. Les auteurs : H. Gandarillas, L. Salazar, L. Sánchez, L.C. Sánchez et P. de Zutter.

Fiche traduite en espagnol : « Capitalización: Conocimientos sobre todo y para todos »

Ce dossier est également disponible sur le site de Pierre de Zutter : p-zutter.net

Version en espagnol du dossier : Historias, saberes y gentes - de la experiencia al conocimiento

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