Comment à l’issue du génocide parvenir à faire réfléchir des forces politiques et sociales rwandaises à une stratégie de construction de la paix
09 / 1998
En avril 1994, après l’assassinat du Président Habarymiana, se déclenche au Rwanda l’un des pires génocides de l’histoire qui suscite une émotion à l’échelle mondiale. Les télévisions du monde entier rendent compte jour par jour de la sauvagerie des massacres et de l’impuissance d’une communauté internationale qui reste l’arme au pied. Comment aider dans ces conditions un pays à construire une paix durable ? Ce sont les Rwandais eux-mêmes, en particulier le premier ministre hutu modéré qui a échappé par miracle aux massacres, qui font une proposition à la FPH : "renouer avec l’esprit de Mombasa". A l’automne 1993 la FPH avait favorisé dans cette ville une rencontre de dialogue entre forces politiques rivales rwandaises mais aussi diverses forces sociales. C’est cet esprit de dialogue que veulent ressusciter nos interlocuteurs, le gouvernement rwandais et les ligues des droits de l’Homme, en Juin 1994, alors que le pays n’est pas encore pacifié. La FPH accepte.
Elle propose deux éléments clé de méthodologie :
a)préalablement à la rencontre, les Rwandais feront collectivement l’effort d’identifier les "dix défis de la paix au Rwanda".
b)La rencontre sera organisée autour de ces dix défis dont on s’efforcera très rapidement d’identifier " l’expérience humaine ", existante dans différents pays.
La construction de la paix est un art difficile sur lequel on ne fait pas assez d’efforts de constitution d’un savoir, existant pourtant mais disséminé dans l’espace et dans le temps. Le second principe méthodologique permet de définir précisément ce que sera le rôle des participants étrangers à la rencontre. Ici, ils se voient assigner une mission claire : ils doivent témoigner de leur propre réalité en s’interdisant tout commentaire sur la réalité rwandaise elle-même, car ce seront finalement les Rwandais et personne d’autre qui construiront la paix. La présence des étrangers à la rencontre remplit une double fonction : apport d’expériences et manifestation de la solidarité du monde entier à l’égard du génocide. Mais le nombre d’étrangers participant est bien inférieur au nombre d’expériences qu’il faudrait réunir. Nous adoptons alors une double modalité de recueil des expériences : la venue de témoins et le recueil d’expériences écrites. La rencontre est organisée en un temps record. Sur place, après l’identification des défis, les partenaires rwandais identifient leurs propres participants et mettent en place l’organisation matérielle. En France, la FPH et le Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement (CCFD), qui cofinancent la rencontre, mettent en commun leurs réseaux pour identifier dans différents pays du monde ceux qui ont une expérience sur ces différents défis. CCFD et FPH dressent chacun une liste de participants. Les deux réunies restent insuffisantes. Il faut alors adopter une démarche par "chaînage". Une trentaine d’informateurs de premier rang seront en mesure de nous proposer d’autres noms en fonction de leurs propres réseaux. Mais ces personnes contactées de manière indirecte ne nous connaissent pas personnellement. Trois éléments jouent alors en notre faveur : l’émotion suscitée dans le monde entier par la situation Rwandaise ; la capacité de nos interlocuteurs à convaincre leurs propres partenaires que nous sommes des gens sérieux ; la séduction exercée par la démarche elle-même. En un mois, 35 participants venant des différents continents sont invités et près de 80 histoires sont recueillies. La Fondation n’a pas en son sein les moyens humains de cette organisation. Elle réoriente séance tenante l’activité d’été de deux jeunes stagiaires et mobilise une personne, Claire Moucharafié, qui a déjà une pratique de la collecte d’échange d’expériences.
La rencontre de Kigali s’est tenue en Octobre 1994. Elle a réuni, outre les invités étrangers, une centaine de Rwandais d’origine diverse. La rencontre a duré près d’une semaine. Cette durée a des raisons pratique et symbolique. Une raison pratique car il n’en faut pas moins pour traiter de façon sérieuse des questions aussi diverses et aussi difficiles. Une raison symbolique : la reconnaissance que le plus urgent, face aux multitudes de défis quotidiens est de s’arrêter pour réfléchir. Sur chaque défi, une journée de travail en atelier fut consacrée, le matin à l’écoute des témoignages venant d’autres pays, sans référence directe à la situation rwandaise, l’après-midi à une discussion entre Rwandais sur la manière de faire face aux défis identifiés.
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, Ruanda
1)On pouvait craindre que la participation rwandaise soit déficiente, compte tenu des circonstances. Il n’en a rien été. Le séminaire a laissé une impression forte et durable tant aux participants rwandais qu’aux participants étrangers au point que les autorités burundaises souhaitent s’en inspirer en 1998 pour la paix dans leur propre pays.
2)La réussite du séminaire lui-même repose aussi en partie sur une ambiguïté initiale : une partie des participants rwandais croyaient qu’il s’agissait d’une rencontre internationale où porteurs rwandais de projets de coopération et bailleurs de fonds internationaux se rencontreraient en une sorte de foire à l’offre et à la demande ; c’est le signe que les imaginaires de départ étaient très loin de concorder. Que ce malentendu de départ ait pu ne pas compromettre définitivement le séminaire est une preuve de l’intensité de ce qui s’y est passé.
3)Presque tous les invités étrangers ont respecté scrupuleusement la règle du jeu fixée au départ en s’abstenant de devenir des donneurs de conseil.
4)La mise en forme des conclusions de chaque atelier sous forme de synthèse ne fut pas facile. Il est toujours difficile de faire reconnaître l’importance de cette mise en forme collective sans laquelle les rencontres même les plus intenses restent sans lendemain.
5)Un ensemble de suites avaient été prévues, en particulier des rencontres locales inspirées de la même démarche, utilisant les fiches d’expérience mais sans les intervenants étrangers, de manière à susciter des débats de fond sur la construction de la paix. Les conditions politiques, en particulier l’insécurité, n’ont pas permis à ces rencontres locales de se tenir. Néanmoins, les perspectives définies dans la synthèse des rencontres ont servi de référence par la suite.
Le recueil d’expériences constitué pour cette rencontre(DF N°74)est disponible aux Editions-Diffusion Charles Léopold Mayer. Tel/fax : +33 01.48.06.48.86 email lib@fph.fr
Relato de experiencias
(France)
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