Benoît LECOMTE, Brigitte REY, Vincent GUELMIAN
03 / 1998
Vincent Guelmian, paysan, ex-président du CODEB (Comité d’Organisation pour le Développement de Bédogo)au Tachd, témoigne :
"J’ai vu qu’au début, sans aide extérieure, notre association fonctionnait normalement; les membres s’entendaient bien, il n’y avait pas de mésentente entre nous. Avant que l’aide extérieure arrive, le CODEB fonctionnait mieux car avec le peu de cotisations que nous avions, nous n’avions pas d’autres idées. Par ex., quand on disait : "on va se rencontrer demain sur tel lieu", on venait massivement faire notre réunion ou travailler dans le champs des autres. On travaillait normalement parce que rien ne nous divisait. Mais dès que nous avons eu de l’aide extérieure, les membres n’ont plus voulu de travail collectif. Ils disent qu’il y a de l’argent ici et qu’eux ne vont pas aller se donner de la peine pour rien. Comme ils ont refusé de faire des travaux collectifs et des cotisations, cela a été difficile de maintenir l’entente. Par exemple, nous voulons faire un travail commun mais des membres disent à CODEB d’utiliser l’argent extérieur pour faire ce travail. Ils veulent employer cet argent pour n’importe quelle activité, nous avons beau leur dire que cet argent est prévu pour une activité précise, ils ne le croient pas. Dés que l’on refuse, cela crée une mésentente au sein de l’association. Beaucoup de gens ont leur regard fixé seulement sur l’aide extérieure et ne font pas d’efforts personnels, ce qui entraine un recul de notre association.
Je crois que l’aide extérieure c’est bon, mais c’est aussi mauvais pour l’association. C’est bon pour des bâtiments scolaires, des puits, etc; dans les villages, c’est bon. Mais c’est mauvais pour le matériel agricole que l’on donne aux CODEB locaux, car il y a une seule paire de boeufs pour le CODEB local alors qu’il y a 20 ou 30 membres dans le groupement. Un seul l’aura. Les autres ne pourront pas bénéficier et cela crée une mésentente dans les CODEB locaux. Ce n’est donc pas un bon système. Ce ne sont pas seulement les responsables qui doivent se partager l’aide reçue pour un groupement. Si par exemple, l’ASSAILD (Association d’Appui aux Initiatives Locales de Développement)donne un crédit de 500.000 et que seuls 2 responsables d’un groupement se sont partagés la somme, quand ASSAILD vient pour récupérer son crédit, on dit à chacun des membres de faire un effort. Mais les membres ne veulent pas cotiser de l’argent ou faire des efforts pour rembourser ce que les responsables ont pris pour eux.
Et il est difficile de changer les responsables : comme les 2 responsables ont déjà bénéficié d’un crédit au nom du groupement, les membres ont peur de les remplacer subitement. Car il y aura des problèmes de remboursement encore plus grands. On les laisse donc en place pour qu’ils remboursent. Mais s’ils ne sont plus les responsables, ils ne rembourseront jamais et le groupement ne sera plus considéré. Alors cela traîne car les responsables ne remboursent pas facilement.
Pour ne pas avoir de problèmes, l’aide aurait dû aider seulement les membres qui veulent réellement faire quelque chose, des individus, et cela ne posera pas de problèmes dans l’association. Sinon, si l’on veut appuyer quelque chose qui regroupe 20 ou 30 personnes, cela ne peut pas aider les membres. Cela ne peut même pas aider l’association. Au contraire, cela fait naître la mésentente et l’association ne peut plus fonctionner.
En milieu paysan nous sommes très pauvres et dès qu’il y a de l’argent dont ils ne bénéficient pas ou si tu vas leur dire de laisser cette idée d’argent pour se retrouver, ce n’est pas facile. Cela leur donne déjà une mauvaise idée au départ, c’est difficile alors de se regrouper ensemble.
Nous n’avons pas encore l’idée de laisser l’aide extérieure dehors. Peut-être quand Eirene (ONG européenne)se retirera complètement de chez nous, aurons-nous cette idée. Pour le moment Eirene est encore derrière nous et ce n’est pas facile de dire cela".
organização camponesa, desenvolvimento rural, crédito, desvio de fundos
, Chade, Bedogo
Une analyse fine des effets pervers de l’aide extérieure : création de mésententes, réduction des efforts propres, "regards fixés seulement sur l’aide", détournements ou mauvais remboursements par les responsables. Pointe l’idée que "si l’aide n’allait qu’à ceux qui veulent réellement faire quelque chose, cela ne poserait pas de problèmes", même à l’association. J’en doute. Pointe même l’idée que l’on pourrait laisser l’aide extérieure dehors, mais que l’ONG d’appui est là. Et alors ?
Entretien réalisé en février 1998.
[Fiche produite dans le cadre du débat public "Acteurs et processus de la coopération", appelé à nourrir la prochaine Convention de Lomé (relations Union Européenne/Pays ACP). Lancé à l’initiative de la Commission Coopération et Développement du Parlement Européen et soutenu par la Commission Européenne, ce débat est animé par la FPH.]
Entretien avec GUELMIAN, Vincent
Entrevista
GRAD (Groupe de Réalisations et d’Animations pour le Développement) - 228 rue du Manet, 74130 Bonneville, FRANCE - Tel 33(0)4 50 97 08 85 - Fax 33(0) 450 25 69 81 - Franca - www.grad-france.org - grad.fr (@) grad-france.org