Christophe VADON, Brigitte REY, Baba OUEDRAOGO
07 / 1998
Baba Ouedraogo, paysan et Président de l’ASSY (Association pour la Survie dans le Sahel au Yatenga)AU Burkina Faso, témoigne :
"Un fonds que nous avons recherché est celui pour une boulangerie avec des jeunes. On a cherché 3 millions CFA. On est allé voir la Caisse Populaire. Elle nous a dit : "Je peux vous financer, mais c’est à rembourser en 10 mois". En 10 mois c’était impossible. Ils ont dit : "OK pour 15 mois". Mais nous avons encore réfléchi et nous avons dit que c’était trop court. On a renégocié; on voulait 2 millions pour 18 mois. Ils n’ont pas été d’accord et nous avons laissé tomber.
Et on a négocié alors avec le Fonds de Fixation des Jeunes qui, lui, nous a prêté 2.250.000 CFA (22.500 FF)pour 24 mois. Le FFJ est un fonds financé par l’Union Européenne et géré par l’Etat. On a élaboré un projet qu’on a ensuite soumis et repris 4 ou 5 fois ! Notre parrain, le PAE (Projet Agro-Ecologique)fait partie de la commission d’octroi. On lui a envoyé la demande au début. Il l’a trouvé trop élevée; on l’a refaite. Il me dit alors que "non", que la "stratégie de pénétration du marché" n’est pas assez développée. Il propose autre chose.
On reprend le projet une 3ème fois. On observe les boulangeries qui sont en place pour savoir ce qu’elles produisent par jour, s’il manque du pain à Ouahigouya, etc. On a pu fixer combien de pains on espérait vendre. On s’est rendu compte qu’il fallait prendre et conserver une part du marché du pain était déjà occupé. Donc, à ce moment-là, il fallait réfléchir à des idées d’abonnement d’achats, trouver comment on pouvait avoir des clients fidèles. Nous avons prévu de le faire à partir d’un système de pourcentage sur le nombre de pains que tu achètes dans le mois. Comme ça, le revendeur est intéressé à activer. C’était tout nouveau cela à Ouahigouya. Ces idées ne sont pas venues toutes seules, j’ai contacté une boulangerie industrielle à Ouaga pour bien regarder sur le plan technique. C’est eux qui nous ont donné cette idée de pourcentage. Et puis on a calculé que c’était une boulangerie semi-industrielle, qu’on consommerait moins d’électricité, qu’on pouvait donc prévoir de baisser un peu le prix du pain.
On est reparti avec ce 3ème projet voir le parrain qui a donné son avis favorable et alors il a soumis le projet au Fonds. On a reçu une convocation pour une séance collective de négociation. Chaque promoteur d’un projet vient avec 3 ou 4 personnes; de son côté, la commission fait 12 personnes : agriculteurs, forestiers, techniciens, éleveurs, économistes, toutes sortes de gens. Plusieurs groupes sont là autour de leur promoteur. Il est accordé un temps à chaque promoteur pour défendre son projet. Le projet a déjà été photocopié pour tous les membres de la commission et chacun d’eux pose des questions au promoteur. Quelqu’un des 4 membres peut répondre. Quelqu’un nous dit qu’il faut insister sur l’écoulement : évidemment, c’était lié au remboursement. "Pourquoi n’avez-vous pas mis cette boulangerie à Gourcy" a dit un autre. On a répondu qu’on ne connaissait pas ce milieu, que prendre un remboursement pour cinq ans dans un endroit qu’on ne connaît pas, ce n’était pas possible pour nous car il faut connaître les traditions des gens, etc. Et là ce n’était même pas 5 ans, c’était un remboursement sur 18 mois. Tu penses ! Après les questions, ils nous disent : "On peut vous donner seulement 2.250.000". "Ah, disons-nous, c’est à réfléchir, on ne peut pas vous répondre tout de suite. Nous allons nous revoir. Nous avons demandé 3 millions; nous allons étudier si c’est suffisant".
On est reparti. On a refait le budget. On avait pensé disposer de 50 sacs de farine à 60 kg ce qui nous permettait d’avoir une provision pour un mois. Si on la prenait seulement pour 1 semaine, on pouvait descendre de 750.000 CFA. On a ramené le budget à 2.250.000 CFA. On l’a ensuite présenté (notre 4è projet !)et on a tout de suite reçu le financement, sans problème. Une semaine après, on avait le chèque. Cependant, ils ont exigé qu’on ouvre un compte spécial. Ce compte est signé par 3 personnes. Il faut amener le livret à la Direction du Plan. Ils ont vu notre livret et nous avons reçu le chèque pour mettre à la Caisse Populaire.
C’était une démarche un peu lente mais dynamique et cela nous a bien intéressé d’améliorer notre projet. C’était une bonne chose. J’ai beaucoup apprécié cela. Ils ont eu raison de faire cette commission. Un de leurs membres était notre ami : Sana Issaka (de l’ONG OXFAM)qui nous a bien expliqué comment cela fonctionnait. On a vu, par exemple, qu’ils commençaient par demander : "Combien avez-vous demandé ?" et on a vu des groupes répondre : "Je ne sais pas". Ou bien, certaines femmes répondaient : "300.000" alors que sur le papier, il était marqué 3.000.000 ! La plupart des gens ne connaissent pas le français.
Si on veut éviter que ce soit des intellectuels qui rédigent... Comment faire ? Moi-même, je suis désormais membre du cadre technique de concertation de ce fonds qui est l’instance suprême de gestion. Et nous avons discuté de tout cela lors d’une rencontre. La solution est aujourd’hui à moitié trouvée. Par exemple, on a décidé d’accepter les projets écrits dans une langue nationale. Comme ça, "l’intellectuel" ne se mettra pas devant mais derrière. Autrement, il fait des choses que les analphabètes ignorent. Autre exemple : on a demandé que la commission tourne dans les départements pour faire comprendre aux acteurs la permission d’écrire en mooré, en dioula, etc. Et cela commence à mieux marcher.
Je pense qu’une commission comme celle-ci ne devrait pas simplement s’occuper de l’octroi mais devrait jouer un rôle de conseil. Pour nous, c’est notre parrain qui a servi de conseil. Il connaissait la démarche-projet et la méthode de la commission. Heureusement qu’il a été là, beaucoup de demandeurs n’ont pas de parrain dans la commission ! Souvent, il faut retravailler le projet et c’est facile si quelqu’un te donne la main. Mais si tu ne sais pas..."
montagem de projeto, estudo de mercado, iniciativa económica, cooperação UE ACP, negociação, crédito
, Burkina Faso, Yatenga
Une fois calmée notre déception de voir une jeune association de paysans investir dans une boulangerie, alors qu’eux ne peuvent produire du blé, on ne peut qu’admirer le sérieux et la persévérance des paysans négociateurs, de leur "parrain" allemand, et de la commission du Fonds de Fixation des Jeunes (Etat burkinabé + Union Européenne).
Entretien réalisé en janvier 1998.
[Fiche produite dans le cadre du débat public "Acteurs et processus de la coopération", appelé à nourrir la prochaine Convention de Lomé (relations Union Européenne/Pays ACP). Lancé à l’initiative de la Commission Coopération et Développement du Parlement Européen et soutenu par la Commission Européenne, ce débat est animé par la FPH.]
Entretien avec OUEDRAOGO, Baba
Entrevista
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