Les Tunisiens d’Italie
11 / 1996
La précarité de la situation des Tunisiens en Italie limite leur capacité à initier des actions en faveur du développement de leur pays. La faiblesse des réseaux communautaires amplifie la clandestinité, le chômage ou le sous-emploi, et pourtant, l’émigration tunisienne vers l’Europe n’a cessé de s’accroître.
Pour la Tunisie l’émigration est le résultat des déséquilibres économiques, démographiques et sociaux accentués après l’indépendance.
Les flux de migrants tunisiens vers l’Italie débutent vers la fin des années soixante et se limitent au début à la Sicile, où une communauté stable s’est peu à peu installée. La présence tunisienne se développe progressivement et se répartit sur d’autres régions italiennes.
Selon le recensement concernant les migrants légalement installés en Italie, les Tunisiens représentent la première nationalité des étrangers en 1981, pour atteindre 476 000 personnes en 1995. Cette population est caractérisé par l’irrégularité du séjour et des conditions très précaires.
L’immigration tunisienne en Italie est très variée, on y trouve d’abord ceux qui sont d’origine rurale, plus anciennement installés et attachés à leur culture traditionnelle. Puis les flux récents ont amené des migrants en situation irrégulière qui connaissent la marginalité italienne, ceux-là sont originaires aussi bien de zones urbaines que de de zones rurales et ne peuvent être considérés comme des migrants permanents. Ces nouveaux aventuriers occupent des emplois peu rémunérateurs et instables, ils sont extrêmement mobiles sur le territoire italien.
Pour prendre une comparaison, la communauté malienne, comme d’autres communautés d’émigrés d’Afrique subsaharienne, est très structurée et maintient des liens serrés avec son pays d’origine. Les immigrés, même loin de leur pays, demeurent sous le contrôle social de leur communauté, organisée en « villages-bis », respectant les règles de la hiérarchie et les chefs. Dans la région de Kayes, les émigrés sont ainsi l’un des premiers agents de développement.
Qu’en est-il des Tunisiens ? La communauté tunisienne dans son ensemble est peu organisée. Des associations d’immigrés existent, mais sont peu développées. Elles s’occupent souvent d’activités culturelles. Selon les observateurs - et à l’exception de quelques régions du sud et de la Sicile où les immigrés s’organisent en amicales et conservent des liens avec leur culture et pays d’origine - les Tunisiens d’Italie manifestent un certain individualisme et manquent d’initiatives.
L’ampleur des arrivées d’émigrés en situation irrégulière depuis le début des années 80 laisse supposer l’existence de réseaux communautaires informels sur lesquels s’appuient les clandestins pour organiser leur entrée dans le pays. En Tunisie, le rôle de l’émigration est reconnu depuis plusieurs décennies : c’est une source de devises et un élément de résorption des déséquilibres économiques et démographiques. Ainsi, le gouvernement tente d’exercer un certain contrôle sur ses ressortissants. Dans les années 70, cette volonté de contrôle se « justifiait » par la peur d’une contamination socialiste et syndicaliste. Aujourd’hui, ce sont les influences islamistes que redoute le gouvernement tunisien.
Malgré ces contrôles, la Tunisie est consciente des apports des émigrés. Si elle a su utiliser l’émigration pour faire face aux situations de déséquilibres, elle a négligé son importance à long terme en tant que facteur de développement. Si l’attention portée par le gouvernement aux émigrés à travers des mesures diverses est nécessaire, elle reste insuffisante pour les impliquer dans le développement de leur pays. La Tunisie a formulé au niveau national une politique pour canaliser les transferts des émigrés.
Dans les années 70, diverses primes et facilités avaient pour but d’encourager les projets d’investissement des émigrés de retour d’Europe et de Libye. Depuis 1986, ces dispositions sont insérées dans le plan d’ajustement structurel des politiques libérales. Désormais, les émigrés porteurs de projets économiques ont la possibilité d’importer en franchise totale les biens et équipements nécessaires et sont exonérés de la TVA sur les biens et équipements achetés en Tunisie. De plus, des avantages financiers sont prévus dans le cadre du Fonds de Promotion et de Décentralisation Industrielle (FOPRODI), du Fonds de Promotion de l’Artisanat et des Petits Métiers (FONAPRAM) et des divers fonds pour la promotion de l’agriculture. Ces fonds ne s’adressent plus uniquement aux émigrés.
En 1993, les avantages douaniers qui étaient auparavant accordés aux émigrés de retour ont été étendus à ceux demeurant dans les pays d’accueil. Les autorités tunisiennes considèrent le code des investissements (approuvé en 1993) comme un élément supplémentaire favorable aux investissements des émigrés. Ce code simplifie les démarches administratives et augmente les avantages fiscaux et financiers pour les nouvelles entreprises. Selon une analyse de l’agence tunisienne de promotion des investissements industriels, couvrant une période 1975-1990, le taux de réussite des projets industriels réalisés par les émigrés est inférieur à celui de l’ensemble des projets. Les principales limites sont l’insuffisance de leurs connaissances et la faiblesse de leurs compétences dans certains domaines, en particulier celui du management.
On observe une tendance à la hausse des investissements des émigrés depuis 1990. Cette évolution peut être considérée comme positive si elle résulte des réformes économiques libérales engagées et du climat de confiance qui a pu s’instaurer parmi les émigrés tunisiens disposant de capitaux. Mais il est encore tôt pour juger de la signification de ces changements.
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La comparaison avec les Maliens est très intéressante. La volonté d’engager des actions de développement du pays d’origine varie d’une communauté à l’autre. Elle dépend manifestement des relations maintenues avec celui-ci et aussi de l’état d’esprit qui règne entre les membres de la communauté, de leur mode d’organisation et de leur homogénéité ou hétérogénéité. Contrairement aux Maliens qui sont bien organisés (qualifiés par les chercheurs de groupe homogène), les Tunisiens d’Italie se classent dans la catégorie des communautés peu organisées et hétérogènes. Les premiers ont une attitude plus constructive, engagés en initiant des projets dans leur pays à travers des structures plus organisées, telles que les associations d’immigrés. Chez les derniers, nous observons une prédominance des initiatives individuelles.
Relatório
BARSOTT, Odo, TOIGO, Moreno, CENTRE DE DEVELOPPEMENT DE L’OCDE, Contribution que les immigrés vivant dans les pays riches apportent au développement ou à la survie de leurs régions d’origine, 1996/02/28 (France)
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