Juste après 1968, Roger Godino, professeur de management à l’INSEAD, explique à ses étudiants que ce qui compte pour créer une entreprise, c’est d’avoir un bon produit, un bon marché et de bons gestionnaires : l’argent suit. Pour illustrer cette idée, il prend l’exemple du ski, à propos de la reconversion de la région Bourg Saint-Maurice, durement touchée par la dépression économique qui a succédé à la prospérité accompagnant la construction du barrage de Tignes. Le ski est sans conteste un excellent produit, les montagnes de Bourg Saint-Maurice se prêteraient admirablement à la construction de pistes, le personnel montagnard est disponible, les collectivités locales sont forcément intéressées, et le marché s’annonce considérable : en France, le nombre de skieurs est passé de 100. 000 en 1958 à 1 Million en 1968 ; les projections mathématiques permettent de penser qu’ils seront 4 Millions en 1980. " Si c’est si facile, pourquoi ne le faites-vous pas vous-même ? " lui demandent ses étudiants.
Relevant le défi, R. Godino se lance dans l’entreprise et, pour s’y consacrer à plein, abandonne l’enseignement au bout de quelques années.
Son objectif est de créer une station qui soit à la hauteur du changement d’échelle que va représenter la démocratisation du ski : il ne suffit plus de construire quelques remontées mécaniques et quelques hôtels, comme l’on fait quelques vieux villages de montagne. Outre les problèmes architecturaux et urbanistiques que pose le projet d’implantation des 30. 000 lits prévus, l’idée est d’offrir un service complet, intégré, sur le modèle de ce que propose le Club Méditerranée. Pour que l’entreprise soit rentable, il faut qu’elle puisse également offrir des séjours et des activités en été ; à chaque plan " en blanc " devra correspondre un plan " en vert " : lorsque les remontées mécaniques cessent de fonctionner, le golf et le rafting prennent le relais.
Sur le plan architectural, la station innove en recourant à des " façades décalées " ou à des appartements à mezzanine, qui permettent à chacun de disposer d’une terrasse sans être privé de la lumière par celles des voisins. Soucieux de respecter l’environnement, R. Godino signe également des conventions avec EDF pour expérimenter de nouvelles techniques d’économie d’énergie.
Les choix d’urbanisme doivent tendre à minimiser les contradictions entre les principes d’aménagement pour l’hiver et pour l’été, mais aussi prendre en compte une variable importante : le ski est une activité plutôt réservée aux jeunes ; il est impératif de développer un secteur culturel pour les autres membres de la famille. Cinéma, théâtre, concerts de musique classique font ainsi leur entrée aux Arcs.
En ce qui concerne le ski proprement dit, c’est aux Arcs que naît une nouvelle méthode d’apprentissage de ce sport, le " ski évolutif ", qui permet aux débutants, grâce à des skis plus courts et plus lents que les skis normaux, de se débrouiller en quelques jours sur une piste. En même temps, pour contrebalancer cette image d’une station pour débutants et amateurs inexpérimentés, est créée une gigantesque piste de vitesse, sur laquelle des champions internationaux viennent chaque année tenter de battre le record du monde à plus de 240 km/h.
Enfin, pour que le complexe urbain des Arcs ne détruise pas l’image de pureté et de solitude qui est attachée à la montage, R. Godino privilégie des remontées mécaniques qui montent très haut, tout en étant peu coûteuses ; d’où des téléskis et télésièges, plutôt que de gros téléphériques de plus en plus performants comme l’auraient souhaité les ingénieurs.
Par la suite, des problèmes de financement de la construction immobilière ont amené R. Godino à se retirer du projet ; il conserve, avec les autres pionniers de cette entreprise, la nostalgie d’une aventure qui consistait, dans la foulée de 1968, à essayer de concrétiser une utopie.
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, Franca, Alpes, Les Arcs
Lorsque la dynamique de l’entreprise et du marché retrouve son vrai fondement, à savoir répondre aux besoins des gens - mais aussi à leurs désirs et à leurs rêves - et que cette logique est poussée jusqu’au bout, et continuellement approfondie, cela peut aboutir à des réalisations qui relèvent en effet de l’utopie. Mais cette dynamique se heurte bien souvent à celle du capitalisme, toute différente : à la fin de son exposé, R. Godino montre comment les problèmes de financement de l’immobilier ont infléchi peu à peu les options initiales, et laisse entendre que la station des Arcs a beaucoup perdu de ce " supplément d’âme " qui la caractérisait à ses débuts.
Actas de colóquio, seminário, encontro,…
GODINO Roger, LEFEBVRE, Pascal, Ecole de Paris de Management, La création des Arcs ou le management d'une utopie, Association des Amis de l in. Les Annales de l'Ecole de Paris, 1995 (France), I
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