Comment se mettre d’accord sur les modalités d’organisation d’une rencontre
Paulette CALAME, Sophie LECRUBIER
09 / 1998
Beaucoup de rencontres sont marquées dans leur préparation et dans leur tenue par des tensions importantes soit entre les organisateurs, soit entre les organisateurs et les invités, soit les deux. Ces tensions sont difficiles à vivre autant sur un plan affectif que sur celui de l’efficacité. Bien souvent la rencontre s’en ressent, les invités ne comprennent pas d’où viennent ces désaccords : comment est il possible, compte tenu du temps de préparation, du coût financier et de l’énergie dépensée que l’on ne se soit pas mis d’accord auparavant ?
En général on croit s’être mis d’accord et l’on découvre trop tard qu’en réalité on ne l’est pas. En fait c’est que l’on était d’accord sur des mots mais ceux ci ne recouvrent pas toujours le même imaginaire. Il faudrait que chacun ferme les yeux et prenne le temps de raconter aux autres, dans une sorte de rêve éveillé comment il imagine et conçoit la rencontre. On verrait alors que chacun imagine des choses très différentes. Les mots de "rencontre", "séminaire", "conférence", ... déclenchent un modèle d’organisation dans l’imaginaire de chacun. Or, les rencontres que cherche à promouvoir la Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme (FPH), dites "d’échange d’expérience" sont très différentes de ce que les gens ont habituellement en tête, et, même si on dit que ce sera différent, en réalité on n’arrive pas à partager notre imaginaire avec les autres.
Lorsque l’on s’en aperçoit assez tôt cela se traduit par des tensions lors de la préparation mais le problème prend toute son ampleur lorsque l’on s’en aperçoit trop tard.
Prenons l’exemple d’une disjonction des imaginaires qui se révèle trop tard : un séminaire sur la pensée complexe organisé avec l’association d’Edgar Morin. Les objectifs du séminaire avaient été définis en commun dans le cadre d’une convention. Celle-ci privilégiait le travail en atelier et l’effort commun de proposer des leçons concrètes pour l’action. L’imaginaire qui en découlait était en contradiction avec celui du public composé d’universitaires, pour lesquels une conférence est avant tout un lieu de reconnaissance par leurs pairs. Dans la pratique c’est cette logique qui a dominé, d’autant que l’organisateur chargé du déroulement concret de la rencontre n’était pas celui qui avait participé à la réunion de départ au cours de laquelle avait été défini "l’esprit" de la rencontre. Ce premier exemple reflète le choc des "milieux".
Un deuxième exemple : celui de l’assemblée 97 de l’Alliance à Bertioga, va nous éclairer sur ce que l’on peut qualifier de choc de " culture ". Pour cette rencontre, un comité international (composé d’une vingtaine de personnes)avait été créé et s’était réuni deux fois pendant trois jours uniquement pour la préparation de l’assemblée. Pourtant ce n’est qu’a la veille du début de la rencontre que l’on s’est aperçu qu’il y avait un désaccord : d’un côté la FPH et ceux qui portaient les chantiers thématiques voulaient que la rencontre constitue une avancée de l’analyse et de la réflexion sur ces chantiers, ce qui impliquait un travail important en ateliers. De l’autre une partie des organisateurs brésiliens étaient porteurs de la tradition d’éducation populaire. Pour eux, les dimensions symboliques artistiques, festives, interculturelles étaient plus importantes. Ce clivage dans les attentes s’est retrouvé également du côté des invités : les premiers étant exaspérés par le faible temps de travail effectif et les seconds taxant les premiers d’intellectualisme. Comment un tel malentendu a-t’il été possible malgré le soin apporté à l’organisation ? Le calendrier de travail était bien défini en accord avec les organisateurs mais il a suffi qu’ils ajoutent un certain nombre de manifestations non prévues, jugées par eux indispensables pour que l’esprit et l’équilibre se trouvent modifiés. Le conflit a éclaté tardivement et s’est traduit au cours de la rencontre par une conduite chaotique où la divergence était bien visible.
Un dernier exemple peut illustrer le cas d’une disjonction des imaginaires prise à temps : La rencontre de Santiago en 1992. Quelques mois après le retour de la démocratie au Chili, portant au pouvoir politique et administratif beaucoup de partenaires d’ONG, l’objectif de la rencontre était de voir si l’on pouvait dégager une philosophie générale des liens entre ONG et Etat mais aussi entre les innovations locales et les changements globaux. Pour ce faire étaient invités un ensemble de Chiliens mais aussi des invités de continents différents situés à la jonction "ONG et action publique". Cette rencontre était co-organisée avec un centre de recherche lié à l’université Chilienne. La FPH avait sa propre conception de la rencontre fondée sur le "tour de table" : au plan méthodologique, c’est le récit par chacun de son expérience sans thème prédéfini, à l’issue duquel on essaye de dégager des constantes et des leçons de portée générale qui sont d’autant plus convaincantes que beaucoup des participants ont évoqué des points similaires.
Deux mois avant la rencontre, la FPH est entrée en conflit avec les co organisateurs, qui avaient souhaité voir le ministre du plan chilien faire l’exposé introductif. La FPH n’avait bien sûr rien contre cette intervention mais à la condition que le ministre soit traité de la même manière que les autres invités et participe à l’ensemble des travaux.
En réalité le co-organisateur n’avait pas la même conception du tour de table que la FPH , pour lui il s’agissait d’une série de conférences avec questions - réponses. Or ce type de conférences thématiques amène chaque intervenant à ne parler que d’un aspect de son expérience. Cela suppose également que les thèmes aient été arrêtés par avance ce qui est contradictoire avec notre méthode.
En raison de cette divergence, la FPH a failli renoncer à maintenir la rencontre. Finalement le ministre du plan a accepté de jouer le jeu. Nos partenaires ont admis qu’il pouvait y avoir d’autres imaginaires que celui auquel ils étaient habitués.
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Les arbitrages entre visions divergentes sont difficiles et impliquent de fait des rapports de pouvoirs. La FPH doit savoir les assumer en définissant clairement les rencontres et le genre de rencontres qu’elle accepte de financer ou pas.
L’accord sur des principes d’organisation même écrits n’est pas une garantie suffisante. Il faut rentrer ensemble dans le détail du mode de fonctionnement. Ce n’est pas facile psychologiquement parce que cela peut être pris comme un signe de manque de confiance ou d’hégémonie culturelle. La difficulté est souvent grossie par le fait que la FPH est à la fois intéressée par les objectifs de la rencontre, sa méthodologie mais en même temps elle en est le financeur.
Sophie Lecrubier est chargée de mission au CIRAP=Citoyens pour Renouveler l’Action Publique.
Entretien avec CALAME, Pierre
Entrevista
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