On le sait, l’expérience des uns n’est transposable aux autres que dans la mesure où l’on en a compris le contexte et que l’on sait l’adapter. C’est sans doute là que réside l’un des mérites de ce livre : Moussa Para Diallo, qui raconte ici sa vie et ses combats de leader paysan, n’est en effet pas avare de détails. Depuis ses origines familiales (père, mère), sa scolarité en dents de scies, ses premières responsabilités dans la production agricole d’un collège, en passant par le contexte politique, économique et social de l’ère Sékou Touré, Diallo retrace les principales étapes qui expliquent ce qu’il est devenu aujourd’hui : un leader paysan reconnu, même si parfois il est critiqué.
Que retenir de ce livre ? Tout d’abord, la description ubuesque de la période Sékou Touré. Sans doute animé au départ de bonnes intentions, le dictateur guinéen n’a pas su éviter les travers de la collusion entre un parti et l’Etat, les projets de développement ambicieux mais illusoires (techniques inadaptées aux réalités locales), la destruction de toute initiative économique privée... Cette politique s’est soldée par un échec patent notamment au niveau de la production agricole, et par l’introduction de la langue de bois et la peur généralisée des guinéens.
Mais la période post Sékou Touré est aussi l’occasion de tirer les enseignements de la coopération des pays du Nord avec le Sud, et Diallo n’est pas tendre : on retrouve en effet les mêmes grands projets tout aussi inadaptés, financés cette fois par la Banque Mondiale ou la coopération bilatérale, les problèmes de corruption, de clientélisme... Heureusement, en toile de fonds de ce catalogue d’échecs, parfois désopilants, Diallo nous raconte l’expérience de développement de la région de Timbi Madina dont il est originaire : à l’aide d’un coopérant français, Jean Vogel, Diallo parvient en effet à monter une filière de production de pommes de terre, et autour de cette filière, une organisation paysanne régionale forte, qui au fil des ans, en vient à négocier non seulement avec le gouvernement, mais aussi avec certaines instances internationales (coopération, banque mondiale...). Une de ses réussites est d’avoir réussi à fermer temporairement les frontières aux importations de pomme de terre des Pays Bas, qui ruinaient l’économie locale.
Les leçons que tire Diallo de son expérience sont nombreuses : le développement ne peut se faire sans la participation réelle des paysans ; les projets doivent être à taille humaine, discutés en partenariat avec les paysans, s’appuyer sur des dynamiques locales et sur des réalités économiques ("seule l’économie peut financer le social"). Mais Diallo égratigne aussi au passage les africains eux-mêmes, critiquant les élites et leur appât du gain, mais aussi le fatalisme des habitants, le poids des traditions culturelles (solidarité avec la famille oui, parasitisme social, non !). Il les appelle à plus de discipline, d’honnêteté, d’ardeur au travail, de pragmatisme... Sur les méthodes de coopération, il remarque : "la volonté d’aider les plus pauvres s’opposait au désir d’aider ceux qui voulaient réellement travailler", et plus loin il relate l’interrogation de certains coopérants à son sujet : " doit-on aider Para, qui n’en a pas vraiment besoin, sous prétexte qu’il va servir de locomotive pour les agriculteurs des environs ?" Et dans son "appel" en faveur du développement, il précise le rôle des coopérants : "nous avons besoin de beaucoup moins d’experts qui exercent leur talent dans les capitales en face de leur micro-ordinateur, et de beaucoup plus de coopérants polyvalents et expérimentés présents aux côtés des paysans".
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, Guiné
Beau livre, belle histoire, qui laisse toutefois une impression de malaise : Diallo, par sa débrouillardise, son sens des affaires (il monte une entreprise de briques, puis de pains), réussit économiquement à s’en sortir. Il parvient même à acheter l’ensemble de la production de pomme de terre des paysans locaux en le présentant comme un service qu’il leur rend ("ils voulaient réaliser rapidemment leur récolte")... toutes ces activités développées en parallèle de son poste dans la fonction publique où "certains n’étaient présents que les jours de payes, je passais donc pour un fonctionnaire assidu en rendant mes rapports trafiqués"). Même si Diallo se livre à une certaine auto-critique, on le sent parfois trop sûr de lui-même, par exemple dans sa conclusion :"Sans doute certains voudront voir un autre visage que le mien à la tête de la Fédération. (...). Mais j’ai mis près de dix ans à être reconnu. (...). Alors je reste, je persiste et je signe". Alors, si seuls les résultats comptent, Diallo est incontestablement un bel exemple. Et le malaise ressenti s’efface finalement devant la finesse des analyses, et la franchise et la générosité du discours.
Livro
DIALLO, Moussa Para; VOGEL, Jean, L'Afrique qui réussit : vie et combats d'un leader paysan guinéen, SYROS/FPH, 1996 (France)
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