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Philippines : mettre un terme à la pauvreté et la famine, s’opposer aux intérêts privés

Pierre Yves GUIHENEUF

04 / 1997

Aux Philippines, 5 % des propriétaires disposent de 43 % des terres : la concentration foncière constitue le problème agricole majeur. Ce pays, qui a une longue expérience des politiques libre-échangistes, est devenu importateur net de riz et de maïs depuis environ 10 ans. L’organisation Kilusang Magbudukid revendique une politique visant l’auto-suffisance alimentaire, une réforme agraire, la résistance au Gatt, au FMI et à la Banque mondiale. Le texte suivant constitue sa déclaration à l’occasion du sommet de Rome.

La sécurité alimentaire pour tous et l’éradication de la faim et de la malnutrition pour les années 2010 font partie de l’agenda de la FAO. L’organisation considère que le problème consiste en l’existence de la faim et de la malnutrition. Là s’arrête son analyse et commence la recherche de solutions. Le Sommet mondial de l’alimentation adresse son discours à <ceux qui sont concernés, au plus haut niveau politique, par la recherche de leur sécurité alimentaire nationale et qui sont en mesure d’influencer les politiques mises en place dans tous les secteurs de l’économie>. Les Ong jouent un rôle important dans l’analyse des problèmes et la recherche de solution à différents niveaux.

L’analyse de l’ONU et de la FAO relève d’une vision très myope du monde. Elle pose le problème arbitrairement et réduit les solutions à de la rhétorique et des déclarations d’intention paternalistes. Pire encore : elle dégage de leur culpabilité les responsables de la faim et de la pauvreté et leur accorde même un mandat pour qu’ils puissent continuer leur mise à sac "globale". La faim et la pauvreté ne sont que les avatars d’un ordre économique mondial inéquitable et injuste. Le libéralisme commercial du Gatt et de l’OMC est le véritable responsable de l’insécurité alimentaire des nations en mettant leurs ressources et leur économie sous le contrôle des multinationales. La production n’est plus dictée par les besoins mais par le profit. La production locale ne répond plus aux besoins locaux et les ressources sont consacrées aux cultures destinées à l’exportation, prenant la place des cultures à usage domestique.

La soif de superprofits dicte sa loi sur l’ensemble des politiques et même sur le plan national. L’impact sur les paysans et l’agriculture est désastreux : retrait des subventions publiques, conversions massives [de terres agricoles en terres destinées à l’urbanisation], absence de véritables réformes agraires et dégradation de l’environnement. Les fermiers perdent leur autonomie. Des pénuries locales apparaissent. Le dumping ruine les petits producteurs et entraîne les petites communautés agricoles à la faillite, les mettant ainsi progressivement sous le monopole des multinationales. L’agressivité des projets de développement amène le déplacement de groupes minoritaires. La répression gouvernementale et le massacre des paysans s’intensifient. Derrière la libéralisation du commerce et des investissements ou la sécurité alimentaire se cache en fait le contrôle, par les multinationales, des aliments, des intrants, de la terre, des semences, de la demande, des fournitures, des prix et même maintenant des gènes des plantes. Après les programmes d’ajustement structurel, voici le Gatt et l’OMC. Cette appartenance place plus fermement le tiers monde sous le joug du "Nouvel Ordre Mondial" du libéralisme, de la dérégulation et de la privatisation, ouvrant les marchés du tiers monde à l’expansion commerciale et financière des multinationales dominantes.

L’analyse de la Fao ne reflète pas la réalité lorsqu’elle accuse des phénomènes périphériques comme la surpopulation, des pratiques écologiquement non durables, les guerres et les catastrophes. Une fois encore, les solutions sont réduites au renforcement de la productivité, à la promotion de pratiques agricoles durables et au contrôle démographique. Des relations sociales féodales prédominent toujours dans les économies rurales sous-développées et elles ont été maintenues pour servir les desseins du commerce colonial, conserver une masse laborieuse à bas prix et bloquer la croissance du capital domestique. Se conformer à l’ensemble du régime économique proposé par le Gatt comprenant l’agriculture, les mesures sanitaires et phytosanitaires et les droits sur la propriété intellectuelle condamne les économies sous développées à se plier aux règles du capital monopolistique mondial néo-colonialiste où elles seront réduites au rôle de pourvoyeur de main d’oeuvre à bon marché et de matières premières, et de consommateurs de surplus pour le monde industrialisé.

La course aux hautes technologies - devenue décisive dans le jeu des monopoles mondiaux - a motivé le renforcement des règles sur la propriété intellectuelle c’est-à-dire l’appropriation privée du savoir commun et la propriété monopolistique du matériel génétique. Augmenter la productivité sans changements structuraux profonds ne fait que renforcer le monopole des ressources que détiennent les géants du TNC. Nous ne sommes pas contre l’industrialisation et le développement, ni contre le fait de rechercher des solutions au problème de la faim dans le monde, mais nous nous opposons à la propagation de mythes et la manipulation des données qui concernent ces domaines et leurs solutions.

L’Onu et la FAO en particulier doivent être honnêtes et sans compromission, et ne devraient pas se permettre de servir d’écran de fumée aux responsables, propagateurs et instigateurs de la faim et de la pauvreté mondiale, en se réfugiant derrière des généralités et autres affirmations "acceptables et anodines" paternalistes.

Nous nous opposons également à cette tendance qui consiste à se servir des Ong, des mouvements populaires et des autres "acteurs de la société civile" pour donner l’illusion d’une démocratie participative, consensuelle et ayant force de loi. Ils ne devraient avoir qu’un rôle consultatif et palliatif. Les solutions contre la faim et la pauvreté sont à trouver dans une réforme profonde des structures agraires, l’abolition du féodalisme qui génère l’esclavage de la paysannerie et la mise en place d’un programme national d’industrialisation qui mettra en échec le contrôle monopolistique international sur divers pans de notre économie, vers une autonomie et une croissance durable

Palavras-chave

agricultura e alimentação, agricultura, agricultura camponesa, alimentação, soberania alimentar, estratégia alimentar, pobreza, fome, dumping, desnutrição, nova ordem econômica, GATT, OMC


, Filipinas

Notas

Ce texte fait partie d’une série de cas portant sur la question de la sécurité alimentaire, recueillis parmi les membres du réseau Agriculture paysanne et modernisation (APM)lors de la rencontre de Yaoundé, en septembre 1996. Kilusang Magbudukid est un mouvement paysan des Philippines.

Fonte

Literatura cinzenta

MARIANO, Rafael V., Kilusang Magbudukid, Note de travail pour le réseau APM, 1997 (France)

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