03 / 1996
"L’égalité des hommes n’existe pas partout. Nous sommes bien placés pour en dire quelques mots. Nous ne demandons qu’une seule chose, être acceptés dans la société actuelle... La seule différence que nous revendiquons, c’est l’habitat. Vous, les "gadgés", vous vivez dans des maisons en dur, nous dans des caravanes..." disent des jeunes du voyage.
En 1991, l’ARTAG (association qui accompagne les jeunes du voyage dans leur insertion économique)est chargée d’une étude pour rechercher des alternatives économiques à la récupération traditionnelle de la ferraille. Cette étude fait apparaître de nouveaux créneaux d’activités possibles : récupérations diversifiées (matériel informatique...), activités de services (espaces verts, environnement). Deux mini-stages "émergence de projets" sont ensuite organisés pour des adultes, en collaboration avec l’ARTAG et le CEREF (organisme de formation)et avec le soutien de l’administration. Des jeunes ont alors souhaité bénéficier aussi d’une formation.
L’accompagnement par un permanent de l’ARTAG a permis de bâtir le module de formation avec eux. La difficulté à trouver des propositions correspondant à leurs attentes a conduit cet assistant social animateur (nous l’appellerons "animateur")à proposer à deux jeunes de créer avec d’autres le programme d’un stage de formation.
Jeunes et animateur s’engagent ensemble pour monter une action de formation
Chacun s’est engagé : les jeunes ont fait en sorte d’être en nombre suffisant, motivés et ont été les garants de la dynamique collective. L’animateur s’est chargé d’organiser les rencontres et de faire le lien avec l’extérieur (organisme de formation, administration ...); il s’est engagé à soutenir leur effort durant la formation. Dans cette première phase, il était important que les jeunes aient un interlocuteur pour les écouter évoquer les métiers souhaités, rêvés. Les échanges entre jeunes ont permis une confrontation collective aux contraintes économiques. "Nous, gens du voyage, on est de grands naïfs et on s’est fait beaucoup avoir". Se sentant plus forts ensemble pour envisager une insertion dans la société, ils ont pu exprimer des attentes en matière de formation.
Il a fallu un an et demi pour que le projet aboutisse. Du fait de leur implication et de la confiance accordée à l’animateur, les jeunes ne se sont pas démobilisés. Le plus difficile fut de contractualiser avec un organisme qui accepte de monter un stage intègrant les demandes précises formulées collectivement par les jeunes.
Des formateurs s’investissent avec des jeunes en acceptant d’apprendre d’eux
La rencontre avec un formateur du CEREF a alors été déterminante. Celui-ci a vite compris l’essentiel : mettre ces jeunes en situation de création ; "s’impliquer humainement", en étant "authentique", "en prenant le risque d’être soi-même". Il a alors réussi à mobiliser ses collègues qui comme lui, ne connaissaient rien au monde du voyage mais étaient disposés à la rencontre.
Durant le stage, l’animateur a intégré l’équipe des formateurs. Cela a permis que la confiance des jeunes leur soit plus vite accordée. De plus, les échanges au sein de l’équipe tout au long de la formation ont contribué à ce que les formateurs acquièrent les clés de compréhension indispensables pour affronter les difficultés relationnelles. Cette expérience, parfois rude, les a passionnés.
Les jeunes restent mobilisés grâce à la confiance que leur accordent des adultes
à la fin du stage, les jeunes font, avec les formateurs, les financeurs et la PAIO un bilan très positif. Sur treize participants, il n’y a eu aucune défection malgré les contraintes (vie en immeuble). Créer une revue avec des jeunes en grande difficulté par rapport à l’écrit fut un pari difficile mais gagné.
Mais surtout, c’est la première fois que ces jeunes rencontraient autour d’eux des gens qui croyaient en eux et cela a été un tremplin. Suite au stage, l’un d’eux a été embauché au collège qu’il avait quitté trois ans auparavant avec pertes et fracas. Une jeune femme a été embauchée comme ASSEM dans une commune qui avait manifesté à plusieurs reprises son refus du stationnement de caravanes. D’autres, plus modestement, ont réussi leur permis de conduire et leur Certificat de Formation Générale, mais que d’enthousiasme en voyant le chemin parcouru pour en arriver là !
D’autres formations sont montées en partant à nouveau des demandes exprimées
Mais ces emplois sont précaires et l’après-stage demande encore beaucoup d’engagements réciproques. L’ARTAG ne manque pas de projets : une société coopérative de services sur le modèle des anciens canuts (possédant leur outil de travail et produisant à domicile), avec les jeunes et leurs camions (beaucoup en ont); un atelier d’insertion de récupération, réparation, revente de vélos ; des animations culturelles réalisées par les gens du voyage pour présenter leurs richesses...
Suite à ce stage, d’autres jeunes voyageurs ont souhaité s’engager dans une formation. Un deuxième stage a été bâti en repartant de la demande de ces jeunes ; le contenu a donc été modifié. Un troisième stage va prochainement démarrer avec un programme encore nouveau. Des mères de famille ont, elles aussi, souhaité faire le pas de la formation et une collaboration réunit l’ARTAG et l’ALPES (organisme de formation)sur ce projet.
formação, jovem, valorização do conhecimento prático
, Franca, Rhône-Alpes
Après s’être beaucoup investi dans une démarche visant à bâtir l’offre de formation avec les principaux intéressés, la tentation est grande de vouloir amortir cet investissement de départ en organisant une succession de stages sur la base d’un programme-modèle.
Or ces stages prouvent qu’une des conditions de la réussite est d’investir à chaque fois à partir des attentes exprimées. Cela nécessite de réunir des moyens financiers permettant de financer ce travail en amont, des structures acceptant de mettre les jeunes en situation de création, et des formateurs compétents prêts à s’engager avec des publics auprès desquels ils acceptent d’apprendre. Enfin, il est indispensable qu’au sein des administrations, des personnes se mobilisent pour trouver les moyens de dépasser les éventuels blocages administratifs.
Cette fiche été réalisée à partir d’un entretien avec Thierry KELLER de ARTAG, tél : 04 72 04 16 80 et avec Hubert MARREL de ALPEStél : 04 72 41 64 34
Entretien avec KELLER, Thierry
Entrevista
MRIE RHONE ALPES=Mission régionale d'information sur l'exclusion, Dossier ressources : Agir avec les plus défavorisés, MRIE RHONE ALPES, 1996 (France)
MRIE RHONE ALPES (Mission Régionale d'Information sur l'Exclusion) - 14 rue Passet, 69007 Lyon, FRANCE - Tél. 33 (0)4 37 65 01 93 - Fax 33 (0)4 37 65 01 94 - Franca - www.mrie.org - mrie (@) mrie.org