Un code de l’« infamie »
Le 9 juin 1984, l’assemblée populaire nationale algérienne adopte, à huis clos, le code de la famille. Cette assemblée, essentiellement masculine, est constituée d’un parti unique, le FLN.
Ce code, inspiré de la sharia, loi islamique, réglemente le statut personnel de la femme et ses relations avec l’homme au sein de la famille. Il concerne toute femme algérienne quel que soit son pays de résidence.
Ce code ne reconnaît aucun droit à la femme, l’asservissant entièrement à son rôle de reproductrice et d’éducatrice. Il la maintient dans un état d’infériorité et institutionnalise sa minorité à vie. La femme est enfermée dans la famille par filiation. Elle est propriété du père ou, à défaut, du tuteur matrimonial (frère, oncle). Puis, par le mariage, elle passe sous l’autorité de son mari qui doit subvenir à ses besoins mais dispose de sa vie. Seul, le père ou le tuteur décide de son mariage. La dissolution du mariage est aisée pour l’homme qui peut à tout moment répudier son épouse et contracter jusqu’à quatre mariages, selon ses moyens financiers. Par contre, la demande de divorce est excessivement difficile à obtenir pour la femme qui doit fournir des preuves précises sur l’infidélité et les fautes de son mari ou racheter sa liberté en versant une somme d’argent, le « khol ».
Le divorce met la femme dans une situation catastrophique tant sur le plan matériel que moral. C’est le cas où le code de la famille est le plus injuste et préjudiciable pour la femme. Le plus souvent, la femme ne béneficie pas de pension alimentaire, car ne connaissant pas ses droits, elle n’en fait pas la demande. Elle n’a aucune chance de trouver du travail, n’ayant ni formation ni expérience, d’autant plus que le droit à l’instruction et au travail est conditionné par l’autorisation du père ou tuteur matrimonial puis du mari. Si elle retourne au domicile paternel, elle et ses enfants y sont le plus souvent rejetés. C’est ainsi que, depuis 1984, des milliers de femmes avec enfants se retrouvent dans la rue, sans toit, sans ressources et sans recours. En cas de polygamie, la femme préfère bien souvent rester au domicile conjugal, quels que soient les comportements de son époux, pour ne pas sombrer dans une misère inévitable.
Une musulmane n’a pas le droit d’épouser un non-musulman ; par contre, un musulman peut épouser une non-musulmane.
Ce code de la famille, au lieu de protéger la femme, la livre à toutes les incertitudes. Il est totalement en opposition avec les droits humains fondamentaux tels qu’ils sont consignés dans les textes internationaux et également en contradiction avec la constitution de l’Etat algérien qui garantit l’égalité des droits entre les hommes et les femmes.
Les luttes des femmes contre ce code
Dès l’indépendance de l’Algérie en 1962, alors que de nombreuses femmes avaient participé à la guerre et, de ce fait, avaient acquis une certaine émancipation, les courants religieux et conservateurs défendent une conception rétrograde de la famille et de la femme. Ils proposent l’adoption d’un code de la famille. Les anciennes « moudjahidates » ainsi que des étudiantes, enseignantes et militantes politiques manifestent violemment contre un code qui ne respecterait pas l’égalité des sexes.
1965, 1971 et 1981 seront des étapes importantes de cette opposition, avec des manifestations dans les rues. Cependant, la crise économique et morale des années 1980 favorise la progression des courants islamistes. Les intégristes invoquent avec succès, même auprès des femmes, que le choix du socialisme a entraîné le peuple algérien dans la dépravation et a éloigné les femmes de leur mission naturelle de procréatrices et d’éducatrices. Pour eux, l’égalité des droits entre hommes et femmes est une « aberration » qu’ils combattent.
Après l’adoption du code, des mouvements féministes vont voir le jour. En 1988, il existe une trentaine d’associations féminines qui vont former un collectif, la Coordination des femmes. Cette coordination va dénoncer les points les plus cruciaux de ce code : les modalités de conclusion du mariage, le divorce, le droit au travail, la légalisation de la polygamie. Parallèlement, en décembre 1989, plus de 100 000 femmes vont participer à une manifestation pour le maintien du code de la famille.
Malgré les divergences entre les femmes elles-mêmes et malgré le déchaînement de violence dont elles sont l’objet, de très nombreuses femmes vont continuer à s’opposer à ce code, bien souvent au risque de leur vie. Le gouvernement algérien reste sourd à leurs revendications. En avril 1996, le ministre de la Solidarité et de la Famille s’engage vaguement à entreprendre une révision du Code de la famille.
En mars 1997, à quelques semaines des élections législatives, treize associations lancent un appel pour l’amendement de ce code et l’abrogation de vingt-deux de ses articles. Elles visent à recueillir un million de signatures. La révision demandée porte essentiellement sur l’abolition de la polygamie, la suppression du tuteur matrimonial pour la femme majeure, l’annulation du « khol » pour la femme désirant divorcer, l’attribution du logement conjugal au parent qui a la garde des enfants.
A son tour, la section femmes de l’association Orientation religieuse et réforme (émanation du mouvement Hamas) lance un appel pour recueillir trois millions de signatures pour le maintien du code de la famille.
Cette collecte de signatures sera sans doute plus facile pour les femmes islamistes que pour les femmes progressistes qui sont plus isolées et disposent de moins de moyens. Quant au gouvernement, il renvoie cette question au parlement qui sera issu des élections législatives de juin 1997.
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, Argélia
Quand les femmes se mobilisent pour la paix, la citoyenneté, l’égalité des droits
Artigos e dossiês
Et que contient donc le code de la famille ? in. Pluri-ELLES Algérie, 1997/03, Divers articles de presse , dont Courrier international (France), n° 332, 15 mars 1997, et Le Monde du 7 mars 1997.
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