Droits indigènes et nouvelle constitution en Colombie
06 / 1997
Christian Gros, de l’Institut des Hautes Etudes de l’Amérique latine de l’Université de Paris III, analyse l’évolution de l’identité nationale colombienne et de l’Indien en particulier. Des changements vont s’opérer au travers de l’élection de deux députés indiens à l’Assemblée Constituante le 9 décembre 1990 et par l’adaptation d’une nouvelle constitution qui reconnaît la diversité du peuple colombien.
L’auteur avance trois explications quant à la présence d’élus indigènes à cette assemblée malgré leur faible poids démographique (2 % de la population colombienne). Tout d’abord, la capacité de mobilisation et de structuration du mouvement indigène a été primordiale, ce qui a permis par exemple une certaine autonomie territoriale. Ce phénomène est mu par différentes raisons : crise de la petite production paysanne, croissance démographique, ouverture vers l’extérieur par l’éducation, mais aussi le fait de leur culture et de leur organisation propre.
L’Etat a aussi joué un rôle non négligeable en nouant un dialogue constructif avec les populations indiennes, après des décennies d’indifférence ou de politiques d’assimilation. Les autorités colombiennes peuvent aussi retrouver une présence dans des zones où régnent souvent de fortes tensions. Enfin, il faut noter un changement de mentalité de l’opinion publique face aux indigènes. Les 2 constituants doivent leur élection en grande partie aux voix des non-indiens. Le vote a dépassé le cadre purement ethnique et peut être analysé comme un vote contestataire face aux partis traditionnels.
C. Gros étudie ensuite cette nouvelle constitution en retenant quelques grandes idées (en effet, elle compte près de 400 articles):
- Même si la diversité linguistique existait officiellement depuis de nombreuses années, elle trouve maintenant sa place dans la constitution. Avec l’éducation, elle permet le maintien d’un patrimoine culturel et est à la base du savoir.
- La Colombie s’oppose à des pays comme le Brésil ou l’Equateur dans leur "politique de frontières". La constitution donne un nouveau sens à l’identité nationale : "Les membres des peuples indigènes qui partagent des territoires frontaliers et qui sont reconnus comme tels par les autorités indigènes sont des nationaux colombiens par adoption".
- Les "resguardos" (territoires communautaires)vont être déclarés propriété collective, inaliénables, imprescriptibles et non hypothécables des populations indigènes. Il en sera de même pour les "quilombos" des populations noires. Par ailleurs (art. 255), les autorités indigènes pourront statuer selon leurs propres lois les conflits opposant les membres des communautés.
- Les communautés vont désormais disposer d’une certaine autonomie politique et économique (elles peuvent par exemple percevoir des impôts), mais ne disposent pas de l’usufruit du sous-sol.
Mais tout n’est pas réglé par le vote d’une nouvelle constitution et de nombreux problèmes sont à résoudre. L’auteur en relève trois :
- La mobilisation indigène doit passer d’un mouvement social à un mouvement politique, ce qui ne se fait pas sans mal, du moins au début (le vote clientéliste traditionnel restant fort). Les élections au Sénat, dans les départements et dans les mairies montrent que la greffe a pris (élections de 3 sénateurs indigènes). Il faut maintenant faire ses preuves dans la gestion des collectivités.
- La création de territoires indigènes "autonomes" peut amener des problèmes notamment pour les populations non indiennes. La cohabitation doit faire son chemin.
- La question de la double nationalité dépend plus du gouvernement colombien et des pays frontaliers. Des contacts sont pris entre les différentes populations, de part et d’autre des frontières. De plus, les Indiens sont particulièrement attentifs aux problèmes de l’environnement puisque vivant dans des zones écologiquement sensibles. La Constitution leur demande de "veiller à la conservation des ressources naturelles".
L’auteur tient à conclure sur une note optimiste, malgré le travail à réaliser (il existe une différence entre le droit et son application). En Colombie, la société a évolué dans sa vision de l’Indien (se revendiquer comme indien devient valorisant). Enfin, il précise la notion d’éthnicité (qui a une valeur négative chez nous et est synonyme de ségrégation): il ne s’agit pas là d’exclure, mais de rassembler dans la diversité.
constituição, direitos humanos, direito das minorias
, Colômbia
Ce texte très riche permet une approche différente de la Colombie: elle n’est pas seulement le pays du narcotrafic, mais elle est en pointe dans sa politique indigéniste et des ressources concrètes sont appliquées. Beaucoup de pays du continent devraient la prendre en exemple. Si les mentalités ont changé, des difficultés d’ordre économique et social persistent. Les Indiens ont su profiter de l’événement créé autour du "500e centenaire" pour renforcer leur organisation et revendiquer leurs droits, réussissant ainsi à sortir de l’indifférence et du non droit; il leur faut maintenant sortir du sous- prolétariat.
Artigos e dossiês
GROS, Christian in. CARAVELLE, 1992 (France), n° 59
CEDAL FRANCE (Centre d’Etude du Développement en Amérique Latine) - Franca - cedal (@) globenet.org