Pionniers d’Amazonie

Les photographies sont avares de ces enchevêtrements végétaux que nous offre à profusion l’Amazonie, comme de ces paysages trop connus, désolés et hérissés de troncs brûlés, qu’elle laisse après sa mort. L’essentiel de ce recueil d’images et de textes est ailleurs. Il est dans les regards, souvent soucieux, des colons, leurs sourires, les gestes du quotidien, les édifices bâtis avec peine, les objets familiers des intérieurs modestes. Les paysans sont au centre de ce livre et, avec eux, leur formidable étreinte avec la plus grande forêt tropicale du monde.

Uruara, ville pionnière fondée en 1978 en bordure de la transazonienne. Un accident de l’histoire, heureux mais éphémère, lui a donné un bref aperçu de ce que pourrait être la prospérité: grâce à une soudaine et mystérieuse flambée des cours du cacao, les quelques planteurs d’alentour se firent millionnaires. A leur tour, les autres colons s’empressèrent de semer l’arbre miraculeux pour tirer quelque parti de la manne. Mais la bourse de Chicago retourna bien vite à de plus sages oscillations et les nouveaux planteurs, qui avaient délaissé leurs cultures vivrières pour la fève magique, se retrouvèrent affamés et aussi pauvres qu’avant. La ville a gardé de cet épisode un hôpital aujourd’hui sans médecin, quelques bars et un restaurant chic, tenu par un assassin notoire et impuni.

Les colons accouchent d’un monde nouveau. Peut-être, mais cette épreuve les laisse exangues. Usés avant l’âge par les maladies et les coups du sort, laminés par le travail et les privations. Leur vie est souvent plus dure qu’elle n’était avant de tenter l’aventure amazonienne. Elle leur donne une seule compensation : celle d’avoir une terre à eux, suffisamment vaste pour être transmise à leurs enfants. Et un rêve : celui d’avoir de la chance, une fois au moins dans leur vie, et de sortir enfin de la misère.