Propositions pour sortir l’agriculture française de la crise
05 / 1993
Sociologue au CNRS et spécialiste de l’agriculture, Bertrand Hervieu considère la décennie des années 80 comme celle de toutes les ruptures : le poids démographique et social des agriculteurs s’est considérablement réduit, la production se concentre au point de menacer d’abandon les régions les moins favorisées, et les discours autour de "l’agriculture qui nourrit les hommes" ne sont plus crédibles, à l’époque des montagnes d’excédents et de la pollution des nappes phréatiques... Mais les bouleversements entraînés par la course à la productivité ont causé bien plus que des problèmes économiques.
L’agriculture a d’abord rompu son "contrat avec la nature" en se faisant complice de pratiques agressives pour le milieu : animaux des élevage hors-sol traités comme des objets, gènes manipulés, pollutions, etc... Bien sûr, les agriculteurs ne sont pas les seuls responsables de ces évolutions, mais où est la réflexion éthique de la profession à ce sujet ?
L’agriculture est ensuite en passe de rompre son contrat avec la société, car les nouvelles attentes de cette dernière ne sont pas toujours entendues. Pour Bertrand Hervieu, l’avenir de l’agriculture ne sera pas déterminé par les nécessités actuelles des agriculteurs - aussi respectables soient-elles - mais par les besoins du reste de la société.
L’objectif d’amélioration quantitative de la production n’est plus tenable aujourd’hui : d’abord, parce que les besoins alimentaires de l’Europe sont satisfaits et que le coût budgétaire de la politique de soutien des marchés est exorbitant ; ensuite, parce que le coût écologique du "toujours plus" est de plus en plus intolérable ; enfin, parce que cette logique condamne les producteurs du tiers monde injustement concurrencés et les deux tiers des agriculteurs français devenus inutiles. La notion qui succèdera à celle de quantité sera celle de qualité. L’avenir est aux labels, aux Appellations d’origine contrôlée et aux produits typés. Cela supposera que les agriculteurs s’investissent dans la transformation et la vente de leurs produits : non pas nécessairement qu’ils s’en chargent eux-mêmes, mais qu’ils portent attention aux circuits économiques et à l’image de leurs produits. Produire moins mais produire mieux suppose une véritable révolution culturelle pour ceux qui se considèrent comme de simples producteurs de matières premières.
Il est également nécessaire de repenser le rapport de l’activité agricole avec le territoire. On a trop longtemps considéré que l’agriculture devait être le pivot du développement rural et que les espaces ruraux nécessitaient une sorte de traitement à part en matière de politique publique. En fait, les espaces ruraux ne sont plus seulement des lieux de production placés sous la responsabilité des agriculteurs mais le cadre de vie d’une population diversifiée. Ce sont aussi des espaces destinés aux loisirs, une activité économique d’importance considérable : les ménages français consacrent à la culture et aux loisirs la même part de budget qu’à leur alimentation, le tourisme est un poste aussi lourd à l’exportation que l’agro-alimentaire... Il ne s’agit pas de convertir les champs en parcs d’attractions, mais de rendre compatibles les usages agricoles et les autres usages de l’espace rural. Il faut pour cela que les territoires ruraux soient intégrés dans la vie nationale et non pas enfermés dans la ruralité.
Il faut entendre ces besoins, adapter les cadres de pensée et les structures professionnelles qui ronronnent, et passer de nouveaux contrats avec la nature et avec les hommes. Les défis que doit relever le monde agricole sont des enjeux majeurs pour lui-même, certes, mais aussi pour l’ensemble de la société. Ce grand dessein suppose de redéfinir le métier d’agriculteur : il doit être un métier de synthèse, au carrefour de la production, de la gestion de la nature et de l’aménagement du territoire.
política agrícola, sociologia, agricultura, agricultura e meio ambiente, meio rural, agricultor, êxodo rural
, Franca
Livro
HERVIEU, Bertrand, François BOURIN, 1993 (France)
GEYSER (Groupe d’Etudes et de Services pour l’Economie des Ressources) - Rue Grande, 04870 Saint Michel l’Observatoire, FRANCE - Franca - www.geyser.asso.fr - geyser (@) geyser.asso.fr