La Fringuerie de Thizy dans le Rhône
05 / 1996
Petite commune rurale du Rhône, totalisant 6 000 habitants avec les deux communes voisines, Thizy est au coeur d’une région qui vivait autrefois de l’industrie textile et de la confection. Elle est aujourd’hui fortement touchée par le chômage.
En 1984, le nouveau directeur du centre social est très choqué par le fonctionnement du vestiaire où les vêtements sont donnés aux personnes désignées par les travailleurs sociaux sans que les bénéficiaires puissent choisir le type de vêtement dont ils ont besoin.
Le centre social engage alors une réflexion de fond, en partenariat avec les élus, les travailleurs sociaux (Maison du Département, Sauvegarde de l’Enfance...)et différentes associations (Lyon’s club, Saint-Vincent de Paul). L’idée est de transformer une pratique d’assistanat en un "commerce" organisé et géré par les intéressées (ce sont essentiellement des femmes), accompagnées des travailleurs sociaux. Considérée comme un outil au service du développement social, "La Fringuerie" est alors une idée novatrice. Il a fallu environ un an et demi pour qu’elle puisse se mettre en place.
La recherche d’un local ne fut pas simple. Le premier lieu hors du centre social fut aménagé dans un bâtiment plutôt insalubre et sans chauffage. Des hommes ont effectué bénévolement de petits travaux et les femmes, bénévoles de "La Fringuerie", y sont venues régulièrement malgré ces conditions difficiles.
Ces bénévoles sont d’anciennes bénéficiaires du vestiaire ou des personnes faisant l’objet d’un suivi social. Elles ont été sollicitées par les travailleurs sociaux et sont venues librement participer à la gestion de "La Fringuerie". Le "noyau fidèle" représente une dizaine de femmes (maghrébines, françaises, retraitées, au chômage, bénéficiaires du RMI, de l’Allocation Adulte Handicapé...).
Pour ces femmes, "La Fringuerie" est l’occasion de sortir de chez elles, de rencontrer d’autres personnes, d’échanger, de parler de leur famille, de leur culture, mais aussi de leurs problèmes quotidiens. Certaines ont ainsi pris confiance en elles, et ont été revalorisées par rapport à leur famille, à leur mari. Elles se sont senties capables d’aider les autres. Elles ont pu également trouver une place dans la société, pour ne plus être regardées comme assistées mais comme des personnes en position d’aider les autres. Leur image a notamment été modifiée auprès de la municipalité où elles étaient bien connues ; la reconnaissance de leurs compétences par les travailleurs sociaux a, en ce sens, joué un rôle important. Selon l’animatrice, le regard positif porté par les professionnelles sur les personnes a un impact sur l’environnement. D’autres bénévoles ne sont venues que quelques mois, le temps pour elles de refaire surface, d’enclencher un processus, de reprendre goût à s’habiller, à sortir de chez soi.
Les bénévoles n’ont aucun engagement en terme de présence, de régularité, et pourtant, il n’a jamais manqué de bras pour faire le travail. Elles se réunissent un après midi par semaine pour trier les vêtements, et deux demi-journées par mois pour les vendre. Pendant un temps, les vêtements non destinés à la vente étaient préparés (enlever les boutons, les fermetures éclair, ...)pour être revendus à une entreprise de recyclage à un prix dérisoire. Mais cette activité représentait un travail démesuré par rapport aux gains et elle a été arrêtée.
De temps en temps, "la chambre du conseil", qui regroupe les bénévoles et l’équipe d’encadrement, se réunit pour réfléchir, délibérer, et aborder des questions liées à l’activité de "La Fringuerie". C’est un lieu de parole, les professionnelles ont le souci que tout le monde puisse la prendre et sont là pour la provoquer. Ainsi, une personne choquée par les comportements de quelques femmes maghrébines lors de la vente a pu l’exprimer, d’autres ont pu dire leur désaccord quant aux prix pratiqués, etc.
L’équipe de professionnelles, au départ composée de travailleurs sociaux des différents organismes partenaires et des professionnelles du centre social, est présente pour toutes les activités. Aujourd’hui, seules les animatrices du centre social accompagnent les bénévoles. Lors de la vente, ce sont elles qui tiennent la caisse et qui font acte d’autorité lorsque le marchandage des clientes (les vêtements coûtent de 10 à 15 francs)se fait trop insistant.
Leur présence est aussi l’occasion d’écouter et d’échanger avec les bénévoles, notamment lors des tris, et les clientes, et lorsque le besoin se fait sentir, de les orienter vers les services ou organismes compétents. Mais, à de rares exceptions près, la relation avec les clientes ne diffère pas de celle d’un magasin classique.
Dès l’origine, les bénéfices de "La Fringuerie" ont été utilisés pour faire des prêts aux personnes qui en avaient besoin (au départ 500 Frs maximum, aujourd’hui 350 Frs). Au départ, des bénévoles tenaient la permanence des prêts et prenaient les décisions, le directeur du centre était présent, en appui, si nécessaire. Mais ce fonctionnement n’a pas duré, en partie parce que les bénévoles se retrouvaient en situation délicate avec des personnes qu’elles connaissaient. Ce système a permis de dépanner de nombreuses familles mais a dû également faire face à de nombreux impayés, dont la gestion, assez lourde, est à la charge de l’animatrice.
Aujourd’hui, "La Fringuerie" est déficitaire, la population vieillit, la concurrence de magasins à très bas prix est rude : la fréquentation de "La Fringuerie" et son chiffre d’affaire baissent. Les bénévoles ne se renouvellent pas, et parmi le "noyau" il n’y a pas réellement de leader. De plus, les partenaires ont lâché l’action, en partie parce que les personnes impliquées au départ ne sont plus là, et l’exigence de rentabilité de l’action est source de stress pour l’animatrice, pour qui ce n’est pas l’objectif visé. L’existence de "La Fringuerie" est remise en question.
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, Franca, Rhône-Alpes, Thisy
"La Fringuerie" a permis à des personnes en grande difficulté de passer d’un statut d’assistées à un statut d’acteur social. Ces personnes étaient connues des services sociaux, elles sont maintenant reconnues comme des personnes pouvant s’inscrire dans un projet.
Cette expérience qui semble en bout de course, met en relief la difficulté de poursuivre des exigences de développement et d’insertion pour les personnes très défavorisées quand apparaissent des exigences de rentabilité économique.
L’important est-il aujourd’hui de pérenniser cette action au risque de profondément modifier la dynamique de départ, ou faut-il chercher d’autres formes d’action qui permettent aux personnes concernées de poursuivre un parcours d’insertion ?
Nathalie Ballandras est Conseillère en Economie Sociale et Familiale et Philippe Morel , Directeur du Centre Social de Thizy, tél. 74 64 03 51
Texte mis en fiche et diffusé par le CR-DSU=CENTRE DE RESSOURCES SUR LE DEVELOPPEMENT SOCIAL URBAIN, 4 rue de Narvik, BP 8054, 69351 Lyon cedex 08, FRANCE. Tel 78 77 01 43. Fax 78 77 51 79
Entretien avec BALLANDRAS, Nathalie; MOREL, Philippe
Entrevista ; Documento interno
MRIE RHONE ALPES=Mission régionale d'information sur l'exclusion, Agir avec les plus défavorisés, MRIE RHONE ALPES, 1996 (France)
MRIE RHONE ALPES (Mission Régionale d'Information sur l'Exclusion) - 14 rue Passet, 69007 Lyon, FRANCE - Tél. 33 (0)4 37 65 01 93 - Fax 33 (0)4 37 65 01 94 - Franca - www.mrie.org - mrie (@) mrie.org