06 / 1997
En décembre 1992, ERM décide d’effectuer une mission exploratoire à Zagreb. Notre objectif était de déterminer l’aide concrète qui permettrait d’offrir aux enfants réfugiés bosniaques et croates un espace et un temps pour jouer, apprendre, réparer les pertes et les blessures subies et de leur apporter ainsi un soutien psychologique sans attendre que les armes se taisent.
Nous avons visité de nombreux camps, au coeur même de la ville ou à la périphérie. Nous avons rencontré des professionnels de l’enfance, des représentants des camps, des associations et institutions locales qui d’emblée ont accueilli avec intérêt nos propositions, conscients que les tragédies récentes et les difficultés quotidiennes de leur exil constituaient de graves entraves au développement des enfants. Ils ressentaient aussi comme une urgence la nécessité d’une action éducative et l’apport d’un soutien psychologique pour répondre à leurs besoins en tant qu’enfants et en tant que réfugiés.
Nous avons donc élaboré un projet pour ouvrir des espaces d’animation et de soutien scolaire dans 4 camps que nous avons présenté à différents bailleurs de fond.
En avril 93, l’intervention auprès des enfants se met en place progressivement dans 2 camps à majorité croate et 2 camps à majorité bosniaque.
Pour assurer l’ensemble des activités, une équipe d’une vingtaine de professionnels dont 3 expatriés se constitue rapidement. Dans la composition de l’équipe locale se trouvent représentées toutes les nationalités des différentes régions de l’ex-Yougoslavie, certains étant eux-mêmes en exil à Zagreb.
LES ACTIVITES
Avec les enfants
Leurs premières demandes étaient de pouvoir sortir du camp, voir d’autres jeunes, faire du sport, en un mot, échapper à un sentiment d’enfermement et d’abandon, les parents ayant pour la plupart démissionné de leur rôle. Des sorties ont donc été organisées: ballades dans les parcs, visites de la ville, des musées, baignades, promenades à vélo, camping, parties de foot... Parallèlement, des activités d’expression, libres ou dirigées, jeux, dessin, musiques, mimes, théâtre... ont été proposées dans des espaces aménagés à l’intérieur des camps. Au cours de cette première phase, il s’agissait de redonner aux enfants un sentiment de sécurité en leur permettant de découvrir et connaître leur nouvel environnement, de s’approprier un espace autour de certaines activités, de retrouver leur identité, des repères et réinstaurer une relation de confiance avec les adultes. Pendant plus d’un mois, chaque jour, ils demandaient aux éducateurs s’ils reviendraient le lendemain...
Avec les parents
En même temps, l’équipe a cherché à créer des liens avec les parents. Ils ont présenté les activités aux parents en leur proposant d’y participer, d’apporter leurs idées, leur soutien. Puis des journées portes ouvertes , projections de diapositives, pique-niques dans les environs ont permis de réunir adultes et enfants, favorisant entre eux le dialogue et permettant aux parents de retrouver leur place. Après une représentation de théâtre qu’un groupe d’enfants avait préparée avec un comédien pendant plusieurs semaines une mère est venue nous dire, fière et souriante :"je ne pensais pas que mon fils pouvait être capable de jouer comme ça ". Et reconnaissance suprême, une photo du spectacle avait paru dans le journal local; à nouveau, ils avaient le sentiment d’exister.
Sur le chemin de l’école
A la fin de l’été, l’équipe s’est mobilisée pour préparer la rentrée scolaire. 90% des enfants bosniaques n’étaient plus scolarisés, depuis plus d’un an pour la plupart. Il a fallu vaincre l’inertie des parents, leurs peurs, organiser des rencontres avec les responsables des établissements et les enseignants pour les inscriptions. Les éducateurs ont amené les enfants choisir leurs cartables, leurs trousses, on leur a donné des cahiers. Ces préparatifs de rentrée les ont aidés à reprendre le chemin de l’école. Beaucoup ne voulaient pas y retourner: ils se sentaient en état d’échec, n’avaient plus de motivation, redoutaient de se sentir rejetés.
Le soutien scolaire a pris une place importante dans les activités: aide aux devoirs, utilisation du jeu, espace bibliothèque. Cette prise en charge a été essentielle pour stimuler les enfants: dans les baraquements, difficile de reprendre des habitudes de travail, de se concentrer et les parents dans l’ensemble ne sont d’aucun soutien.
UN SOUTIEN PSYCHOLOGIQUE
Les deux psychologues intégrés à l’équipe ont assuré une prise en charge plus directe des enfants présentant de graves troubles psychologiques, faisant le lien avec les familles et les centres spécialisés quand un suivi plus soutenu était nécessaire. Venant dans les centres d’animation, ils apportent un appui aux éducateurs, discutent avec eux du comportement de tel ou tel enfant particulièrement agressif ou instable, les orientent dans le choix et le déroulement des activités selon les problèmes rencontrés.
Ils participent aussi à la réunion hebdomadaire de toute l’équipe, expatriée et locale, où sont traités des thèmes pédagogiques à partir des bilans et programmations et animent une semaine sur deux un travail de dynamique de groupe.
LA QUESTION DU QUALITATIF ET DU QUANTITATIF
En décembre 92, les chiffres que nous avions recueillis parlaient de 3 800 000 personnes réfugiées et déplacées depuis le début de la guerre en ex-Yougoslavie en août 91. Plus de 500 000 se trouvant sur le territoire croate dont 100 à 120 000 à Zagreb. ØNotre intervention dans les 4 camps que nous avions retenus représentait 1600 bénéficiaires dont environ 450 enfants de 2 à 12 ans. Ce chiffre peut paraître dérisoire même si le rayonnement du projet a été beaucoup plus dense et important tant en ce qui concerne les activités que les collaborations avec d’autres associations locales, l’échange d’expériences avec d’autres professionnels, sans exclure les réponses données aux besoins matériels par l’organisation de convois: distribution notamment de colis d’hygiène, alimentaire, colis bébés pour 7500 bénéficiaires.
Pourtant, certains bailleurs de fonds tout en reconnaissant la qualité du travail mené par nos équipes, ont refusé de financer ce programme, car la couverture en terme de bénéficiaires restait à leurs yeux trop limitée compte tenu du nombre de personnes dans l’équipe (20 personnes !)
Bien sûr, nous aurions souhaité avoir une "couverture" plus importante sans pour autant remettre en cause la qualité de notre travail auprès des enfants. Il s’agit en effet pour nous d’un parti pris pour une réelle prise en charge des enfants dans ce type de contexte ce qui implique nécessairement un encadrement minimum.
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, Croácia
Doit-on rappeler, comme l’a écrit une des éducatrices dans un rapport que "ce travail est de loin plus prenant que celui de n’importe quel éducateur ou pédagogue." ? En effet, combien de temps, d’attention conqtante, de désespoir et de courage, de patience pour que les enfants réapprennent peu à peu à dessiner une maison avec des fleurs aux fenêtres et non plus une maison sans murs "pour qu’on ne la détruise pas" ?
Marie-Paule MICHEL est responsable de programme à ERM.
Texto original
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