07 / 1995
Les initiatives d’organisation et de regroupement naissent généralement de la volonté d’une ou de plusieurs personnes. Est-ce pour autant que l’initiateur doit garder la direction de son initiative ? Dans nos sociétés traditionnelles africaines, chacun peut-il occuper le poste qu’il veut ou peut dans une association donnée quel que soit son apport à sa constitution ?
La coopérative de Gagny a été créée par les ressortissants du village malien de ce nom installés en France, sous la houlette de Fousseyni Dado Camara. Cet homme instruit et dynamique s’occupait déjà des achats de billets d’avion de ces migrants, ayant passé un accord avec une agence de voyage. Le principe de la coopérative est clair : il s’agit de monter une coopérative de biens de consommation courante à Gagny, dont le fonds est alimenté par les cotisations des ressortissants. C’est à Kayes (chef-lieu de la première région du Mali) que s’approvisionne la coopérative en produits de première nécessité. Au lieu d’envoyer de l’argent liquide à sa famille restée au village, le travailleur émigré passe commande depuis la France à la coopérative qui va livrer la famille. Ainsi, l’activité de la coopérative est traitée à la fois au niveau du pays d’accueil, où Fousseyni Camara reçoit les commandes et encaisse les valeurs (trésorerie) et au niveau du village, où un ancien migrant tient le magasin de la coopérative, effectue les achats à Kayes et livre les clients à partir des bons de commande envoyés de France. C’est en raison de sa rigueur que M’Ballé Sidibé, l’homme en question, a été renvoyé au village pour assurer ces tâches. Pour éviter au gérant toute tentation de détournement ou de dérapages malencontreux, la coopérative a fait en sorte qu’il n’ait pas à faire aux autorités administratives de contrôle (douanes, affaires économiques,…).
La coopérative a ainsi fonctionné de nombreuses années. Mais un jour, alors que Fousseyni Camara était revenu au village pour y réaliser des constructions, il s’est vu accusé de détourner les fonds de la coopérative. Les contrôleurs dépêchés du Centre d’appui aux coopératives de Kayes ne trouvent aucune trace de détournement. Malgré tout, les villageois demandent le renvoi de Fousseyni Camara de la tête de la coopérative. Pourquoi cet acharnement ? Tout simplement parce qu’il avait enfreint le droit coutumier Soninké, lequel spécifie que les porteurs du nom Camara, assimilé à la grande famille des « Tounkas » (chefs) sont habilités à présider, mais en aucun cas à tenir la caisse, et ceci quel qu’en soit le contexte. Cette fonction de trésorier est traditionnellement l’apanage des Mangou (autre grande famille).
Fousseyni Camara, en recevant les commandes et en encaissant l’argent, a usurpé un rôle qui n’était pas le sien. S’il n’a pu être inquiété tant qu’il était en terre étrangère, on n’a pas manqué l’occasion de lui faire payer son affront dès qu’il s’est rendu au « bercail ». Les constructions à réaliser ont donné aux villageois l’occasion de lui signifier son renvoi, avec ou sans preuve de détournement. Ni les excuses de la coopérative, ni la réparation de l’erreur (la coopérative créa un poste de trésorier qu’il confia à un Mangou), n’ont pu rétablir la clémence. Pour ne pas avoir obtenu le départ de Fousseyni Camara de la présidence même de la coopérative, les contestataires créent une deuxième coopérative. C’est ainsi que le village de Gagny se retrouve avec deux coopératives, dont la première, appelée « ancienne coopérative », est majoritairement constituée des familles de la chefferie (Camara et consorts), alors que la seconde, dite « nouvelle coopérative », est essentiellement composée de Gassama, appartenant à la grande famille des Mangou.
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, Mali, Kayes
A l’origine du conflit se trouve le mode de gestion de la coopérative lequel s’est éloigné du principe en la matière édicté par la tradition locale. Fousseyni Dado Camara en tant que membre de la famille des Tounka -donc de la chefferie- est habilité à être président de la coopérative, s’il est, toutefois, le plus âgé des coopérateurs issus de cette famille. Mais en aucun cas il était habilité à garder la caisse. C’est le rôle dévolu aux familles « Mangou » d’être trésorier de groupe, et ceci en toutes circonstances. C’est faute d’avoir respecté cette règle fondamentale de la société que ce conflit est né. Notons que les Mangou n’ont jamais voulu revenir en arrière, même après réparation de l’incident. Ils ne l’ont pas fait car les règles de la tradition sont suffisamment établies, éprouvées et connues, pour que l’on ne les transgresse pas impunément. Elles sont, au niveau de la société traditionnelle, facteurs d’entente et de cohésion. Et c’est peut-être heureux.
Cette fiche a été réalisée sur la base d’une enquête effectuée entre 1994 et 1995. L’ensemble dans lequel elle s’inscrit a fait l’objet par la suite d’une publication séparée, sous le titre : On ne ramasse pas une pierre avec un seul doigt : organisations sociales au Mali, un apport pour la décentralisation, FPH; Centre Djoliba, juillet 1996. S’adresser à la Librairie Fph, 38 rue Saint-Sabin, 75011 Paris.
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