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Quand des paysans maliens se lancent dans la gestion

Amadou Baba DIARRA

08 / 1995

La région Mali-Sud concentre son activité agricole autour de la culture du coton. La CMDT (Compagnie malienne pour le développement des textiles) encadre l’activité coton et met en place, depuis les années 70, des programmes de développement visant à améliorer les conditions de vie des habitants de la région.

Dans le cadre de la coopération bilatérale, le Gouvernement du Mali et la Mission Française de Développement ont conclu un accord portant sur le développement de cette zone. Le projet « Gestion rurale » s’inscrit dans ce contexte. Son but est de doter les paysans de la région Mali-Sud d’outils de gestion dont ils auraient l’entière maîtrise, afin de mieux gérer leurs revenus, essentiellement cotonniers. Pour ce faire, les initiateurs du projet ont dégagé deux objectifs principaux : obtenir une transparence des comptes des associations villageoises (AV) constituées chacune d’une cinquantaine de producteurs de coton, et sensibiliser les organisations paysannes à la prise de décision en matière de gestion : choix des investissements, maîtrise des frais généraux, gestion de trésorerie,…

Pour installer ce dispositif, la Mission Française de Coopération a fait appel en juin 1992 à l’Institut de recherche et d’application des méthodes de développement (IRAM). Après discussions avec les responsables d’AV, le choix des modalités d’interventions a porté sur l’aide à la création de centres d’appui à la gestion dirigés et financés par les paysans adhérents. Pour mettre en place ces centres, le projet s’est implanté dans trois sous-régions : Koutiala, Sikasso, Fana. Aujourd’hui, 3 ans après le début du projet, 10 centres de gestion sont implantés autour de ces trois villes, couvrant au total 300 AV et une poignée d’agents économiques divers tels que groupements céréaliers, artisans ou coopératives.

Chaque centre de gestion rurale est une association dont les AV sont à la fois membres et bénéficiaires. Réunies en assemblées générales, elles décident de la création d’un centre et cotisent annuellement pour financer son fonctionnement. Le montant des cotisations est proportionnel soit aux ressources des AV soit à la quantité de coton produit par ses membres. Cette cotisation est importante (en moyenne 40.000Fcfa, soit 400FF par an); les AV sont donc en droit d’être exigeantes quant aux résultats du centre.

Le conseil d’administration, organe central de la gestion du centre, se veut représentatif des masses paysannes.

Les centres de gestion font appel à des prestataires de service extérieurs : les conseillers en gestion, qui sont sélectionnés par le projet et engagés sur la base d’un contrat avec les centres. Leur rôle est de mettre en place un système comptable adapté aux contextes villageois, en formant les comptables des AV à son utilisation, en assurant un suivi et un conseil régulier de la gestion des AV, ainsi qu’un contrôle externe efficace. Ils sont rémunérés au prorata des cotisations du centre (environ 40% du montant total), ce qui motive les adhérents à exiger du conseiller un travail de qualité, et pousse le conseiller à prospecter le plus d’AV possible.

Lors des assemblées générales annuelles, les débats portent sur le montant des cotisations puis, dans un souci de rigueur et de transparence, sur les comptes du centre : comment est dépensé l’argent ? Comment fonctionne le centre sur le plan financier ? etc.

D’après le diagnostic sur la direction des AV effectué au démarrage du projet, la situation antérieure était vraiment difficile : cahiers de caisse mal tenus, dépenses mal ventilées, justificatifs faisant cruellement défaut. En outre, il n’existait aucun suivi des opérations bancaires et la séparation des fonctions étaient inappliquée de sorte qu’une seule personne pouvait très bien cumuler l’essentiel des pouvoirs. Un tel imbroglio débouchait sur une situation problématique, à savoir : des comptes non fiables, des bilans et comptes d’exploitation difficiles à établir ainsi que des détournements dus à l’absence de contrôle interne et externe. Cette anarchie avait pour cause principale l’inexistence d’un système comptable adapté.

Les centres de gestion apportent donc des réponses à ces différents problèmes. Ils assurent une bonne tenue des documents de commercialisation du coton, s’appuyant sur des noyaux de néo-alphabètes capables de tenir des cahiers comptables. De plus, ils instituent le travail en commun au sein de l’AV et au niveau intervillageois. Les conseillers assurent la formation des représentants villageois à la comptabilité. Grâce à l’élaboration d’un journal comptable, chaque AV connaît sa situation financière quotidienne. Les comptables villageois nommés par les AV travaillent en étroite collaboration avec les centres. Ils ont pour tâche de passer les écritures comptables en partie double dans le journal.

Les organisations paysannes, par la maîtrise de leur gestion, deviennent plus autonomes et prennent elles-mêmes les décisions de gestion. La gestion quasi-directe et la transparence des comptes des AV (à travers un système comptable adapté et efficace) ont provoqué le retour de la confiance au sein du monde des producteurs. La situation antérieure était marquée par un climat de suspicion entre les producteurs de coton et les dirigeants des AV. Désormais, la gestion comptable des AV est susceptible de mettre à nu toutes les irrégularités financières ; la transparence est telle, que les AV qui refusent d’adhérer au centre sont soupçonnées de gestion hasardeuse, bien que l’adhésion soit libre. Cette rigueur de gestion a des retombées financières. Elle permet notamment aux AV de réguler les dépenses sociales des villages en fonction des possibilités financières.

Les progrès remarquables dans la gestion des AV ne doivent pas occulter les difficultés des centres de gestion. Parmi elles, relevons le niveau faible d’alphabétisation des membres des conseils d’administration, ce qui constitue une réelle entrave au principe d’autonomie et de responsabilisation des CA. L’analphabétisme, aujourd’hui, tend à maintenir le monde rural dans un état de dépendance, et cela se ressent dans les centres, malgré tous les efforts fournis. Il faut avouer que les AV ne sont pas encore capables d’assurer le bon fonctionnement des centres sans le concours de l’encadrement (animateurs du projet et conseillers).

Il apparaît donc impératif de mettre l’accent sur l’aspect formation-alphabétisation des responsables des AV et des centres afin d’en faire des dirigeants éclairés, susceptibles de développer les qualités de bons gestionnaires.

Palavras-chave

organização camponesa, analfabetismo, descentralização, economia rural, autonomia, vulgarização agrícola, meio rural


, Mali, Région sud

dossiê

« On ne ramasse pas une pierre avec un seul doigt » : organisations sociales au Mali, un atout pour la décentralisation

Comentários

Le monde rural a longtemps souffert des incertitudes et aléas d’un encadrement administratif qu’il n’a souvent pas souhaité. Les centres de gestion sont sans nul doute un bon instrument d’une politique de gestion directe, qui doit cependant être renforcé par l’émergence d’un état d’esprit compatible avec la transparence et la rigueur dans la conduite des affaires villageoises. De la capacité des paysans à cerner et maîtriser leurs problèmes dépend leur avenir.

Notas

Cette fiche a été réalisée sur la base d’une enquête effectuée en 1995. L’ensemble dans lequel elle s’inscrit a fait l’objet par la suite d’une publication séparée, sous le titre : On ne ramasse pas une pierre avec un seul doigt : organisations sociales au Mali, un apport pour la décentralisation, FPH; Centre Djoliba, juillet 1996. S’adresser à la Librairie Fph, 38 rue Saint-Sabin, 75011 Paris.

Fonte

Inquérito

Centre Djoliba - BP 298, Bamako. MALI. Tél. : (223) 222 83 32 - Fax : (223) 222 46 50 - Mali - centredjoliba (@) afribone.net.ml

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