Le cas des organisations féminines de Bignona au Sénégal
10 / 1996
Dans le département de Bignona au Sénégal, les femmes gèrent de petites unités de transformation agro-alimentaire qui possèdent un grand nombre d’atouts socio-économiques, même si leurs faiblesses limitent encore leurs capacités de croissance et d’autonomisation.
De par leur petite taille, la solidité des liens sociaux sur lesquelles elles sont bâties et leur caractère dual, à la fois marchand et non-marchand pour la plupart, ces entreprises sont relativement souples. D’une part, elles fonctionnent à partir des réseaux sociaux existants : la parenté, la génération, des relations de confiance entre femmes. Ces organisations sont de ce fait fortement imbriqués les unes aux autres, d’autant qu’elles coordonnent lesmêmes activités. D’autre part, elles assurent parfois plusieurs fonctions à la fois (entraide, production marchande, production domestique)et satisfont des besoins semblables, qu’ils soient spécifiques aux femmes ou inhérents à l’ensemble de la communauté villageoise. C’est pourquoi des vases communicants existent entre leurs caisses respectives et entre celles-ci et les unités familiales dont sont membres les femmes. Ces unités informelles sont ainsi "comme enchâssées dans des unité(s)domestiques(s)" (POURCET, 1994).
Cette souplesse est d’ailleurs une bonne garantie contre le risque économique. Les activités de transformation ne sont pas menées de manière systématique à chaque saison sèche mais en fonction des contraintes et opportunités des femmes, pour servir au mieux leurs stratégies avant tout axées sur la recherche de revenus monétaires et la satisfaction des besoins familiaux. De même, les modes d’organisation de ces activités sont relativement mouvants : certaines unités de travail peuvent être mises en sommeil le temps d’une saison (le petit ekafay, groupe de travail, ou la grande association du quartier sont mobilisés selon l’importance des travaux à mener); d’autres, par exemple le Groupement, sont parfois scindées en plusieurs sous-unités.
Cependant, les femmes maîtrisent peu les conditions d’accès au marché. Pour la plupart analphabètes et mal informées des prix pratiqués, elles dépendent grandement des intermédiaires pour commercialiser leurs produits (collecte de la marchandise aléatoire, prix souvent fixé par le commerçant, délais de paiement trop longs), et le revenu qu’elles tirent ne rémunère souvent pas leur travail à sa juste valeur. Les produits de la région subissent la concurrence de nombre de produits importés au Sénégal à bas prix et les femmes, peu sensibilisées à ce problème, perdent souvent la vente de leur marchandise. La faiblesse de leurs moyens financiers constitue aussi un frein à leurs initiatives : il arrive que les femmes ne disposent pas des fonds nécessaires pour acheter les matières premières et payer leurs autres dépenses productives. Enfin, leur équipement rudimentaire limite parfois leurs capacités productives.
Les femmes ont su aussi faire évoluer les modes anciens d’organisation de leurs activités et valoriser ces activités jusqu’alors réservées à l’autoconsommation. Mais ces innovatrices de l’informel réussiront-elles à transformer en leur faveur les rapports sociaux, entre autres les rapports de genre (ou relations hommes-femmes)? Car, si les gains complémentaires qu’elles tirent de leurs multiples activités de transformation agro-alimentaire leur font gagner des marges d’autonomie économique - elles financent leurs besoins et de nombreux familiaux - elles ne détiennent cependant pas les équipements agricoles familiaux, ni de droits sur la terre qui se transmet entre descendants masculins. De plus, trop fréquemment encore, les innovations technologiques introduites par le canal des projets de développement sont appropriées par les hommes, reproduisant ainsi la division du travail établie depuis longtemps.
Pourtant, malgré cet immobilisme apparent, l’investissement des femmes dans de nombreux secteurs de l’économie - dont celui de la transformation agro-alimentaire - et dans des organisations diverses, leur donne une place plus importante dans la gestion de leur environnement économique et social, ne serait-ce que par les moyens financiers qu’elles gèrent et des décisions qu’elles sont amenées à prendre. Fortes de leur nouvel apprentissage, ces entreprises féminines commencent à faire entendre leur voix dans les organisations mixtes : certaines revendiquent une plus grande participation des hommes aux travaux rizicoles, d’autres un partage des responsabilités dans les organisations à égalité avec les hommes. Les changements engagés au niveau organisationnel pourraient bien alors se répercuter au niveau des unités familiales dans lesquelles les responsabilités familiales des femmes s’accroissent. Tel est l’enjeu actuel de l’engagement au jour-le-jour des femmes dans des micro-entreprises.
mulher, produção, associação de produtores, trabalho comunitário, relações com o mercado, diversificação da produção, relações sociais, discriminação das mulheres, dependência econômica, iniciativa económica, inovação social, inovação
, Senegal
* L’Agroindustrie rurale AIRet les Petites Entreprises Agroalimentaires PEAsont des thèmes de recherche-action privilégiés du groupe ALTERSYAL
Cette fiche s’appuie sur les recherches menées par DARDE, Christianedans le cadre de sa thèse réalisée au CIRAD-SAR=Centre de Coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le développement-département Systèmes Agroalimentaires et Ruraux. Adresse : cf. ALTERSYAL
Colloque PEA= Petites Entreprises Agroalimentaires,Montpellier, 19 et 20 octobre 1995. Montpellier : CIRAD-SAR.
Texto original ; Tese e memoria ; Actas de colóquio, seminário, encontro,…
DARDE, Christiane, ENSAM, Les initiatives individuelles et collectives des femmes rurales : (...)femmes du département de Bignona, Sénégal, 1995; Lire aussi : <POURCET, Guy>, 1994. Instabilité etstructuration du secteur informel. In : L'enfant en milieu tropical : Micro-entreprises : réalités et potentiels,n°211 , p. 31-43 (Consultable au <CIE>= Centre International de l'Enfance. Château de Longchamp75016 Paris, FRANCE. /Tel (33)1 4430 20 00 Fax (33)1 45 25 73 67)
ALTERSYAL (Alternatives Technologiques et Recherche en Systèmes Alimentaires) - Coronado, San José, COSTA RICA c/o CIRAD-SAR, 73 rue J.F.Breton - BP 5035- 34032 Montpellier cedex 1. FRANCE - Tél. 04 67 61 57 01 - Fax 04 67 61 12 23