Ou comment concilier obligations domestiques, sociales et productives
10 / 1996
Safiatou s’est récemment mariée dans le village même où vit sa famille. Elle a été élevée par la soeur de sa mère, celle-ci étant décédée quand elle était toute jeune. Elle a eu un bébé durant notre séjour en 1992 (1).
Safiatou doit effectuer de nombreuses tâches pour l’ensemble des membres de la concession dans laquelle elle vit avec son mari. C’est par exemple le puisage de l’eau. Malgré son état avancé de grossesse, elle mène de nombreuses activités lucratives. Elle participe aussi à des activités socioculturelles qui sont très importantes pour les femmes et dont elle ne peut se soustraire : l’excision des filles du village a lieu durant le mois précédant son accouchement ; les festivités préparatoires à l’initiation des garçons dans le village de Kagnobon se déroulent depuis le moisd’avril.
Au total, avant son accouchement, Safiatou a ramassé le bois mort pour constituer son stock de bois de chauffe avant l’hivernage prochain (11 jours de travail); elle a aussi ramassé du sel (3 jours)et extrait de l’huile de palme, essentiellement pour la consommation familiale (25 litres)et en faible partie pour la vente (3 litres). La participation aux différentes cérémonies l’a occupée durant près de deux mois. Quelques jours ont par ailleurs été consacrés aux visites prénatales.
Aprèsson accouchement, Safiatou s’est "reposée" durant plus d’un mois, c’est-à-dire qu’elle n’a pas quitté sa maison (sans pour autant n’avoir aucune activité). Après ce laps de temps, l’hivernage était bien avancé et elle a effectué le repiquage du riz dans les parcelles familiales et dans celles de sa tante ; puis à partir de novembre, elle a récolté le riz en compagnie des femmes de la concession. Parallèlement à son travail dans les rizières, Safiatou s’est lancée dans des activités commerciales, en vendant d’abord du thé et du sucre. Ce qui lui a permis de disposer d’un petit pécule pour démarrer la fabrication de beignets au sucre durant les vacances scolaires de la fin de l’année civile : en quatorze jours, elle a obtenu un gain net de 5450 FCFA *. Ensuite, elle a rendu visite à sa grande soeur en Gambie (3 semaines)où elle s’est procuré des marchandisespour en faire le commerce (sucre, savon). Durant la période de maturité des oranges (février), elle a acheté plusieurs paniers qu’elle a vendus ensuite à Ziguinchor : avec son bénéfice de 16000 FCFA, elle a effectué quelques achats et a décidé d’en conserver plus de la moitié pour financer ses diverses dépenses quotidiennes, en l’absence de son mari.
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, Senegal
Même s’il y a parfois un effet de "mode" dans la façon dont est affirmée ici et là la nécessaire prise en compte du rôle économique des femmes dans le développement, les observations et les travaux qui ont nourri cette reconnaissance officielle soulignent le nombre et la diversité des fonctions économiques exercées par les femmes rurales africaines. Les fonctions domestiques ont toujours été reconnues par tous les observateurs, même s’ils sont moins nombreux à avoir évalué leur importance capitale dans la reproduction de la force de travail et la quantité de travail non rémunéré qu’elles mobilisent. En une trentaine d’années, les sociétés rurales africaines ont bénéficié d’investissements qui ont partiellement allégé leurs tâches domestiques, notamment avec la multiplication des puits et des forages. Mais le puisage manuel demeure encore d’usage courant ; la collecte du bois est une activité très consommatrice de temps ; les techniques culinaires ont peu évolué, mise à part la diffusion des moulins à mil et décortiqueuses à riz qui constituent souvent encore la demande première de nombreuses femmes rurales et dont ces dernières, pour des raisons diverses, ne bénéficient pas ; les soins aux enfants et les tâches ménagères occupent les femmes plusieurs heures par jour. /Les femmes africaines ont des responsabilités tout aussi importantes dans la production. Elles effectuent 70 à 80 % des travaux agricoles (2)dans les champs familiaux. Dans de nombreux pays, elles ont la responsabilité des cultures vivrières. Elles cultivent, en outre, leurs propres parcelles et peuvent en utiliser le produit à des fins personnelles qui sont souvent aussi liées à la survie familiale (santé, scolarité de leurs enfants, compléments alimentaires...). D’après la Banque Mondiale, elles sont responsables d’environ 70 % de la production vivrière de base en Afrique (3). Le petit élevage fait souvent partie de leurs occupations "domestiques". Enfin, bon nombre d’activités de transformation alimentaire sont aux mains des femmes, dans un cadre domestique évidemment (pour la préparation des repas de la famille)mais aussi dans une optique commerciale. Citons la restauration de rue dans les villes, la fabrication de produits prêts-à-consommer (huile,beignets, jus de fruits...).
* Avant la dévaluation de 1994 : 1000 FCFA=20FF. Après 1994 : 1000 FCFA=10 FF
(1)L’Agroindustrie rurale AIRet les Petites Entreprises Agroalimentaires PEAsont des thèmes de recherche-action privilégiés du groupeALTERSYAL
Cette fiche s’appuie les recherches menées par DARDE, Christianedans le cadre de sa thèse réalisée auCIRAD-SAR= Centre de Coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement - départementSystèmes Agroalimentaires et Ruraux. Adresse : cf. ALTERSYAL
(2)FAO. Les femmes et la production alimentaire.Rapport du groupe consultatif des Nations Unies sur les protéines et les calories. Rome, 1979. In : Bisilliat, J. et Fieloux, M.Femmes du tiers-monde - Travail et quotidien. Le sycomore, 1983, p. 34
(3)MURPHY, J. Women and agriculture in Africa,A guide to Bank Policy and Programs for Operations Staff. The World Bank, 1989
Texto original ; Tese e memoria
DARDE, Christiane, ENSAM, Les initiatives individuelles et collectives des femmes rurales, 1995
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