1 - Les audiences foraines
04 / 1996
Claude Beau, juge des enfants à Strasbourg, a travaillé plusieurs années dans un quartier en difficulté. Elle anime actuellement un programme sur "L’accès au droit dans les banlieues" pour la Fondation de France.
"En 1980, j’ai été nommée juge des enfants au Neuhof, dans l’agglomération de Strasbourg. Il régnait dans ce quartier une telle violence qu’on l’appelait alors le quartier "haut-les-mains". Je constatais à l’époque une réelle rupture entre les institutions judiciaires et policières et les habitants. Celles-ci n’avaient plus aucune emprise sur les conflits qui s’y déroulaient et plus de moyens d’en réguler le cours. Il m’a semblé nécessaire d’adapter les modes de fonctionnement de la justice à ce quartier pour essayer de repousser la violence du non-droit et substituer les rapports de droit aux rapports de force.
Pour un quartier de 17 000 habitants, il y avait à ce moment là près d’une centaine de travailleurs sociaux qui intervenaient sur le Neuhof. 50% de la population active vivaient surtout d’aides multiples (allocations familiales, aide mensuelle ...), 30% de jeunes de moins de 20 ans, 25 ethnies différentes cohabitaient. Un quart du budget social de la ville de Strasbourg était affecté à ce quartier. De nombreux conflits civils et pénaux avaient lieu. Des interventions policières et judiciaires y étaient aussi nombreuses qu’empiriques.
J’ai donc eu l’idée de tenir des audiences foraines dans ce quartier dans le but d’y optimiser la présence et la réponse de la justice.
Cette démarche n’a pas été facile à mettre en oeuvre, tant elle rencontrait de résistances, voire d’hostilités. Les travailleurs sociaux n’ont pas caché leur rejet de cette présence judiciaire pour plusieurs raisons. D’abord ils vivaient mal le fait de ne plus détenir le monopole en matière de transmission de l’information. De plus, ils appréciaient peu que leur tendance à utiliser le juge comme bâton sans doute pour affermir leur intervention, soit ainsi quelque peu entravée. Cette remise en cause des fonctionnements traditionnels dérangeait, d’où une certaine hostilité à ma présence. La juridiction locale a mal caché son hostilité à ce projet qu’elle percevait avant tout comme une démystification du rôle du juge. Elle y voyait une perte de symbole de nature à porter atteinte à l’autorité du juge. S’agissant des habitants du quartier la démarche a été au contraire plutôt bien acceptée. Ceux-ci avaient une forte attente par rapport à la justice et une forte demande de droit. Enfin, les partenaires administratifs et politiques préféraient attendre les résultats concrets de ce travail pour se prononcer.
Ainsi, j’ai tenu des audiences judiciaires dans ce quartier pendant neuf ans, en ne considérant sur place que les problèmes civils d’assistance éducative, et non les problèmes pénaux, car il me semblait cohérent de replacer la fonction pénale dans l’enceinte du Palais de justice. Je souhaitais ainsi nettement dissocier la fonction répressive de la fonction civile. Les audiences se déroulaient au rythme de deux par semaine. Elles devaient être un lieu de dialogue avec l’ensemble des intervenants sur ce quartier et le moyen d’instruire les conflits dont j’étais saisie, de manière plus globale, en appréhendant leurs causes et non plus seulement leurs effets. Il m’importait également de revitaliser le débat contradictoire en restituant la parole aux familles les plus démunies. L’information a vite circulé, ma présence dans le quartier a été rapidement connue. J’étais disponible aux familles et mineurs qui souhaitaient exposer les difficultés relevant de ma compétence: rupture éducative, toxicomanie, mauvais traitements, mineur en danger social, fami!ial, etc.
Les résultats ne se sont pas fait attendre. Au bout d’un an, aucun absentéisme aux audiences n’était plus enregistré (80% des convocations du juge restaient auparavant sans réponse). Familles et mineurs saisissaient plus fréquemment le juge. Les familles dans ce cadre avaient retrouvé une facilité d’expression. La justice en un mot avait retrouvé la confiance des habitants. Les habitants se remettaient à croire en l’action possible de la justice et se mobilisaient autour des questions touchant à la sécurité de leur quartier. De plus, cette immersion du juge dans le quartier a favorisé une meilleure appréhension du contexte de son Intervention et de l’amont et l’aval du contentieux dont il était saisi.
Un projet judiciaire a pris naissance sur ce territoire permettant la gestion des conflits en temps et espace réels. Il s’est à l’évidence élaboré au prix d’une remise en cause des modes d’interventions traditionnels.
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, Franca, Strasbourg
Le bilan de cette opération a donné lieu à un document intitulé "Justice et quartier" publié par le Ministère de la Justice et la Délégation interministérielle à la ville. En 1992, La Fondation de France a souhaité développer une telle initiative sur l’ensemble du territoire français. Et dans le cadre d’une convention conclue entre elle et le Ministère de la Justice, elle a mis en oeuvre un programme national appelé "Accès au droit dans les banlieues" dont elle m’a confié la responsabilité. Aujourd’hui, grâce à cette action, une formation spécifique est donnée aux magistrats dans le cadre de l’Ecole nationale de la magistrature. Elle a vocation à dispenser une culture urbaine et susciter des initiatives correspondant aux besoins de justice et à la demande des populations des zones urbaines en difficulté.
Il est permis de dire que la justice de proximité renforce la légitimité de l’action judiciaire et du même coup son autorité.
Le texte correspondant à cette fiche a été scindé en deux. Voir la deuxième partie sous le titre : "Quand un juge pour enfants adapte le mode de fonctionnement de la justice à un quartier en difficulté: 2- La réponse communautaire prend le pas sur la réponse individuelle en matière d’assistance éducative
Madame Claude BEAU est magistrat détaché auprès de la Fondation de France
L’auteur de l’article travaille pour l’Université de la paix de Namur.
Contact : Association SOS Neuhof aide aux habitants, 63 rue de la Klebsau, 67100 Strasbourg, Mr Boubacar BAL. Tel 88 39 77 08.
Entretien avec BEAU, Claude
Entrevista ; Artigos e dossiês
BAZIER, François in. Non violence actualité, 1994/01 (France), 176
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