"Essayant d’analyser la récurrence historique du conflit entre partisans de la langue des signes et oralistes, j’ai été amenée à m’interroger sur ce que les sourds suscitaient, consciemment et inconsciemment, chez les professionnels entendants. Pour ce faire, j’ai réalisé et analysé des entretiens auprès d’un certain nombre de professionnels. Il est apparu que l’étrangeté de la voix du sourd, ou son absence, peut entraîner, à notre insu, la sensation que notre propre voix se perd ou qu’elle nous revient en écho. Ces propos peuvent être illustrés en évoquant ce que raconte Blanche. C’est en effet grâce à ce que dit cette jeune psychologue que la surdité a pu être envisagée dans cet effet d’écho. Au fur et à mesure du déroulement du discours de Blanche se dégage un certain malaise, imputable à plusieurs causes: la communication gestuelle se charge d’une connotation transgressive; Blanche réalise rétrospectivement combien il lui est difficile de penser son travail; elle craint d’avoir été séductrice. Ce malaise devient intense et se double d’un fort sentiment de culpabilité. A l’acmé de son angoisse, Blanche parle alors du fait d’être entendante, face à un enfant qui n’entend pas, qui appartient à un monde qui ne reçoit pas de sons. Elle dit qu’elle imagine être prise dans une sorte de miroir. Ses difficultés à réfléchir se redoublent de l’incertitude de ce qui est réfléchi, au sens optique et acoustique. Dans une sorte d’hyper-conscience et d’hyper-perception figeante d’elle-même, Blanche a le sentiment que ce qu’elle dit lui est renvoyé directement. Elle se retrouverait malgré elle face à sa propre parole et à sa propre image, sans le décalage introduit par l’autre, ni la distance introduite par la voix. Dans cet arrêt sur image que constitue cette évocation de la surdité comme miroir, Blanche serait telle Narcisse face à Echo, dans une relation à l’autre purement imaginaire, charmée ou désarmée par son propre reflet. L’enfant ne serait qu’un leurre, support de ses projections personnelles. Après avoir fait part de ses impressions, Blanche passe d’un discours souple à un discours défensif, dans lequel son angoisse se déplace par projections sur les positions adoptées par les autres professionnels."
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, Franca, Europa, Paris
Ce qui se passe pour Blanche semble révélateur de ce qui peut se jouer pour d’autres, dans la relation entendant-sourd. L’effet d’écho souligne l’étrangeté de la permanence de l’image de l’autre, en l’absence de sa présence vocale. Il vient vider les mots de leur sens et exacerber la perception des corps. Les professionnels chercheraient généralement à éviter ces impressions, parce qu’elles portent une menace de vacillement identitaire. Ils s’en défendraient en se raccrochant à un sentiment d’identité du même au même, dans une identification visuelle et imaginaire, ou au contraire en introduisant une distance grâce à la stigmatisation de la surdité ou des autres professionnels.
GESTES Groupe d’Etude Spécialisé "Thérapies et Surdités"a organisé à Paris le troisième congrès international de l’ESMHD European Society for Mental Health and Deafness, en décembre 1994. Une publication des actes sera faite ultérieurement.
Fiche rédigée d’après l’intervention d’Alix BERNARD, psychologue, 18 rue Saint-Placide, 75006, Paris, FRANCE. Tel: OO 331 45 44 42 59.
Actas de colóquio, seminário, encontro,…
BERNARD, Alix, GESTES
GESTES (Groupe d’Etudes Spécialisé Thérapies et Surdité) - 8 rue Michel Peter, 75013 Paris, FRANCE. Tel/Fax 00(331)43 31 25 00 - Franca - gestes (@) free.fr