Cornélia Nauen est chargée de la coopération maritime à la Direction Générale du Développement de la Commission des Communautés Européennes. Ses réflexions sont le fruit de plus de 20 ans d’expérience dans ce domaine.
- Ne pas être trop sectoriel. "Même si la pêche est l’activité principale d’une communauté, certaines sources de revenus ne sont pas forcément perceptibles comme l’argent qu’envoie un fils émigré dans un autre pays. En ce qui concerne le crédit, nous avons ainsi assisté à de nombreuses erreurs de ciblage. Il faut garder un esprit suffisamment ouvert et curieux et mettre en jeu deux éléments : les compétences professionnelles et relationnelles. On n’arrive pas dans un village pour repartir deux heures après... Je ne pense pas qu’on procéderait comme cela en Europe. Je reviens du Tchad et du Cameroun où j’ai visité des villages et des exploitations de pêche et autres. J’ai vu que, sur le terrain, ils ne sont pas sectoriels du tout. J’ai compté jusqu’à huit types d’activités économiques différentes mais complémentaires par personne. Si l’on regarde trop étroitement, on ne comprend rien. Or, si les pêcheurs ont des bénéfices, ils vont acheter des chèvres ou des vaches qu’ils vont pouvoir revendre s’ils souhaitent investir dans la pêche. Ils n’ont jamais d’argent sur eux parce que ce n’est pas productif."
- Ecouter. "Un expert doit prendre le temps d’écouter et surtout ne pas se présenter comme celui qui sait tout, comme un expert. S’il va dans un village, il doit expliquer au chef du village qu’il est là parce que d’autres personnes pensent que sa région mérite d’être aidée et voir avec lui ce qu’il en pense. Il faut faire des triangulations parce qu’une personne peut vous dire quelque chose et une deuxième avoir une autre version. Travailler par groupe enlève la stature prédominante de l’expert. Si on ne connaît pas le tissu social, c’est extrêmement facile d’être trompé. Les personnes qui viennent le plus facilement vers l’étranger sont celles qui ont reçu une éducation formelle et c’est aussi celles qui sont susceptibles de le tromper le plus facilement. On peut même lui présenter un faux chef du village pour protéger le vrai dans certains contextes. Tout ceci pour dire qu’il faut creuser l’évidence et ne pas se contenter de la première solution."
- Utiliser les méthodologies avec intelligence. "La méthode de la grille logique (aide à la planification de projets utilisée par la CEE)peut être très utile dans certaines conditions, par exemple à la fin d’un processus de "brain storming" pour structurer les idées des participants. Personnellement, je commence à avoir des doutes sur l’efficacité de cette méthode car je la trouve très réductrice parce qu’on pose la question "comment faire pour atteindre les objectifs ?" seulement à la fin. Si on veut être rigoureux, toutes les hypothèses doivent être affichées devant tout le monde mais, dans les faits, il y a souvent des compromissions et ces hypothèses sont souvent voilées pour ne pas tuer le projet. Comme toutes les méthodologies, la grille logique doit être utilisée avec intelligence. Si elle est appliquée comme une recette par des personnes qui n’ont pas intégré le cadre conceptuel du projet, on va tout droit à la catastrophe. Un sociologue n’aurait pas conçu cette méthode car elle atomise un système pour le recomposer ensuite. Or, les sociologues font l’inverse : ils cherchent d’abord à comprendre l’ensemble pour trouver les liens fonctionnels ensuite. Travaillant à la CEE, j’utilise le cadre logique mais j’ai de plus en plus tendance à vouloir d’abord comprendre les grandes lignes avant de chercher à structurer les projets. C’est utile mais je ne commencerais pas par là."
- Ne pas projeter ses propres intérêts, proposer uniquement sur demande. "S’il est bien formé et s’il sait écouter, un expert a suffisamment de maîtrise pour voir dans quelles conditions une partie de l’information qu’il récolte peut être utile. S’il fait un discours du type sermon, c’est qu’il n’a rien compris. Cela demande beaucoup de discipline de ne proposer que sur demande car nous avons des mauvaises habitudes comme convaincre quelqu’un de quelque chose parce que ça nous arrange. C’est également très égoïste de vouloir voir les réalisations de ses propositions, de résonner à l’échelle d’une vie humaine."
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, Europa
Il est surprenant de constater qu’on veut faire faire des choses aux Africains qu’on ne songerait jamais à faire faire aux Européens...
Entretien réalisé par Sophie Nick à Bruxelles dans le cadre de la capitalisation d’expérience du CEASM.
Contact : Commission des Communautés Européennes, Direction Générale du Développement, DG VIII-D-5, 200 rue de la Loi, 1049 Bruxelles, Belgique.
Entretien avec NAUEN, Cornelia
Entrevista
CEASM (Association pour le Développement des Activités Maritimes) - Le CEASM a arrêté ses activités en 2001. - Franca