Boumaza Beyram est un marin-pêcheur issu de la formation de lieutenant de pêche à Alger avant de devenir le patron d’un bateau corailleur puis le gérant d’une société de pêche et transformation de corail. Il est le fondateur et le président de la première association socio-professionnelle de pêcheurs en Algérie et raconte comment est née cette organisation à Annaba (600 km à l’Est d’Alger)d’où il est originaire.
"Je me rends souvent à Alger où j’ai fait mes études à l’Institut Technologique des Pêches et de l’Aquaculture (ITPA). Avec mes anciens camarades de promotion, nous évoquons souvent les problèmes que nous rencontrons comme celui du statut social des marins. Les cotisations n’ont pas été réactualisées depuis plus de quinze ans et entre temps il y a eu l’inflation et la dévaluation. Un café qui valait 1,5 dinars à l’époque coûte maintenant entre 10 et 15 dinars. Nous nous sommes dit : "Pourquoi ne pas s’organiser? Pourquoi ne pas faire une association"? Les anciens élèves de l’ITPA viennent de tous les ports d’Algérie et nous sommes ainsi au courant de ce qui se passe dans toutes les villes côtières. Nous avons alors pensé que chacun de nous devait sensibiliser les pêcheurs en rentrant. Je dois dire que, personnellement, j’ai eu un fort taux d’écoute. A Annaba, Il n’y avait jamais eu d’association à caractère socio-professionnel et cela correspondait à une demande. Il a existé des syndicats qui avaient des revendications salariales vis à vis des armateurs et qui ne voyaient que l’aspect commercial. C’est aussi l’une de nos préoccupations mais nos objectifs sont beaucoup plus porteurs d’avenir.
J’ai commencé par contacter mes amis pêcheurs avec qui nous avions déjà parlé de nos problèmes sans penser à nous organiser. Comme le veut la législation en Algérie, l’association a été créée avec quinze membres fondateurs. Je suis membre-fondateur de l’association d’Alger et fondateur de l’association d’Annaba dont les quinze personnes en question ont été choisies avec dicernement pour qu’un maximum de professionnels se sentent concernés. Le port d’Annaba est très découpé et abrite plusieurs communautés de pêcheurs en fonction du type de pêche qu’ils pratiquent. J’ai donc misé sur les têtes de files de ces différents groupes. Je les connaissais pour la plupart. En général, ils étaient très contents qu’on s’occupe d’eux car, n’ayant généralement pas fait beaucoup d’études, ils se sentaient un peu débordés par les problèmes administratifs. Ils interprétaient les problèmes à leur façon et avaient parfois du mal à situer les carences, les vides juridiques. Ils nous ont dit : "Nous vous faisons confiance par le simple fait que vous êtes pêcheurs". Pour fonder l’association, nous avons eu l’agrément de la circonscription, l’agrément des collectivités locale et celui du Ministère de l’Intérieur. Dans le contexte actuel, toutes les organisations sont extrêmement légiférées, les objectifs sont dictés par l’Etat, la collecte des cotisations est interdite. En tant que président, j’ai été sujet à plusieurs enquêtes. Le dossier de chaque membre-fondateur a été examiné et nous avons du en changer deux. Voilà ce que nous avons pu publier lors de la création de notre organisation (il ne fallait pas badiner avec les mots car s’il y avait eu à lire entre les lignes, nous n’aurions pas eu l’agrément): "L’association socio-professionnelle des marins pêcheurs a pour objectifs de représenter la profession de marin pêcheur, de participer à l’organisation et au développement du secteur des pêches, de défendre les intérêts moraux et matériels des marins pêcheurs, d’entretenir un dialogue permanent avec les autorités et de protéger les richesses de la mer et l’environnement."
L’association a été créée sur la base de problèmes sociaux : relever les cotisations, faciliter l’accès au crédit aux professionnels pour s’équiper d’unités récentes et pour se loger. Actuellement, les marins n’ont pas la possibilité de faire partie d’une coopérative immobilière et les problèmes de logement sont très importants en Algérie. Nous avons proposé à l’administration un nouveau statut du marin et nous avons auditionné chaque pêcheur pour savoir quels étaient les préoccupations majeures de chacun. Un des objectifs prioritaires de l’association est de créer une "base-vie" pour les professionnels dans un local qui existe sur le port et qui est actuellement vide. Dans cet espace, il y aura un comptoir de criée où pourra se faire un contrôle sanitaire du poisson (actuellement la vente du poisson se fait sur les quais à n’importe quelle heure), une coopérative, une cafétaria, des douches et un centre d’information où les pêcheurs pourront se documenter sur les nouvelles techniques et leurs droits. Ils pourront ainsi prendre conscience de leur importance du point de vue économique parce que leur métier n’est pas du tout valorisé en Algérie. Il y aura également des cours pour les analphabètes et des consultations médicales pour les familles des professionnels. Rien n’est fait actuellement pour nous par l’administration. A chaque fois, ils minimisent nos problèmes du fait qu’ils n’ont pas compris que le secteur des pêches pourrait participer activement à l’économie du pays. Nous avons envoyé des lettres, nous avons relancé, nous avons même pour la première fois siégé dans une réunion qui nous concernait pour exposer tout cela au responsable de la circonscription. Nous étions ravis parce que le nom de notre association était inscrit sur le procès verbal. Cela veut bien dire que nous existons, que nous commençons à être reconnus. Pourtant, rien n’est fait. Les administrateurs des pêches en Algérie sont pour la plupart des cadres formés dans le domaine de l’agriculture du fait que la tutelle du secteur de la pêche soit le Ministère de l’Agriculture. Ils ne connaissent généralement rien aux problèmes maritimes et ne peuvent pratiquement prendre aucune initiative car il ont une énorme hiérarchie au-dessus d’eux. Personne ne lévera le petit doigt si ce n’est nous, les professionnels. C’est pourquoi nous avons fondé cette association. Il fallait qu’on prenne les choses en main. Pourtant, aujourd’hui, certains membres n’y croient plus car ils ne voient rien bouger. La prise de conscience des tenants du pouvoir quant au rôle que peut jouer la pêche sur le plan économique est lente à venir mais j’essaie de rester optimiste."
pesca, mar, organização de pescadores, Estado e sociedade civil, vida associativa
, Argélia
"Le rôle de rassembleur ou d’initiateur d’une métamorphose socio-économique demande beaucoup d’assurance en soi, une conviction certaine et un sacrifice de temps et d’argent."
Entretien réalisé par Sophie Nick au CEASM dans le cadre de la capitalisation d’expérience de cette association.
Entretien avec BEYRAM, Boumaza
Entrevista
CEASM (Association pour le Développement des Activités Maritimes) - Le CEASM a arrêté ses activités en 2001. - Franca