02 / 1996
Alexis MAHEUT, ancien pêcheur, dirige la coopérative de pêche du Havre et le comité local des pêches. Il a effectué des missions à Madagascar pour le compte d’une ONG française.
"J’étais parti à Madagascar pour montrer quelques techniques de pêche dans un lycée agricole dirigé par un prêtre (Frère Félix)mais, comme il n’y avait pas de moyens de conservation, pas de circuit routier et que la commercialisation était locale, je me suis concentré sur l’organisation de la pêche. Le matin, quand les pêcheurs rentraient à terre, je leur demandais de fixer l’heure du départ du soir. Ils étaient à quatre par bateau mais s’il en manquait un, le bateau ne partait pas, par superstition peut-être ou par solidarité avec la personne absente. Sur une semaine, ils travaillaient 2 ou 3 jours car il y en avait toujours un qui était malade du fait des mauvaises conditions d’hygiène. Ils étaient quatre à bord mais chacun pêchait pour soi. S’il y en avait un qui se faisait manger sa ligne par un requin et qui n’en avait pas une de rechange, il restait sans pêcher toute la nuit parce que les autres ne lui en prêtaient pas. A bord, j’ai vu un gars qui ne savait pas pêcher et que les autres n’aidaient pas. Ca m’a paru incroyable surtout en sachant la solidarité qu’il y a entre eux à terre. Tout le monde se fichait de lui, le considérait comme l’homme à tout faire. Il avait quelques hameçons mais avait peur de les perdre. Je lui ai monté une ligne et pendant toute une nuit je lui ai montré comment pêcher. On a attrapé le double de poissons des autres. Je leur ai tenu ce discours : "En France, il y a d’autres personnes qui m’ont appris à pêcher, je n’ai pas tout appris tout seul. Je vous ai montré ce que je savais alors, si vous voyez quelqu’un qui ne sait pas pêcher, apprenez-lui."
Je leur ai fais comprendre qu’un bateau ne pouvait pas fonctionner s’il y avait quatre personnes qui décidaient, qu’en général il fallait un capitaine, un mécanicien et des matelots qui pouvaient chacun avoir leur spécialité. Je leur ai dis : "Il faut que vous soyez solidaires à bord d’un bateau, si l’un d’entre vous n’a pas assez d’appât ou d’hameçons, il faut qu’un autre puisse lui en passer et il faut mettre la pêche en commun. Vous pêcherez plus, vous discuterez moins sur le choix des zones de pêche et celui qui est malade aura quand même une part du poisson." Ils avaient du mal à comprendre. Un soir, un seul pêcheur était présent et je lui ai dit : "ça ne fait rien, on va aller en mer tous les deux". Il ne voulait pas partir en mer sans ses copains et a finalement trouvé deux personnes. Je les ai poussés à partir en mer tous les trois pour leur prouver que c’était possible. C’est ce qu’ils ont fait. Le lendemain, ils avaient bien pêché et le quatrième était sur la plage, pas très content que les autres soient partis quand même. Je lui ai fais comprendre que s’ils avaient été unis, il aurait aussi eu le droit à une part de la pêche.
Les pêcheurs considéraient un peu le lycée comme une tirelire. J’en ai même vu vendre des lignes données par Frère Félix. Celui-ci fournissait également des hameçons, des lignes, des cordages, les bateaux. Il était curé et ne savait pas comment les gens réagissent car il n’avait pas l’esprit pêcheur. Au début, il venait aux réunions avec les pêcheurs mais quand je voyais que ça ne passait pas, je lui demandais de sortir pour m’expliquer avec eux. Je ne voulais pas qu’il y ait de conflit entre lui et eux. Lui restait, pas moi. Je leur ai fais comprendre qu’en volant la coopérative ils se volaient eux-mêmes car il allait arriver un moment où il n’y aurait plus d’argent pour acheter du matériel et qu’ils n’allaient plus pouvoir sortir en mer. Ils ne se rendaient pas compte de ça. Frère Félix ne pouvait pas leur dire parce que ça faisait longtemps qu’il était là-bas. Comme j’étais tout neuf et que je me fichais de ce qu’ils pensaient, je leur ai dis plusieurs fois. C’est la première fois qu’ils entendaient quelqu’un leur parler comme moi. Ca a été possible parce que j’avais été avec eux en mer pendant plusieurs semaines.
Quand je suis parti, les pêcheurs ont fait des équipes de quatre avec un capitaine, un mécanicien et deux matelots, ils ont mis la pêche en commun, on a monté des boites complètes de matériel. Chaque pêcheur avait deux lignes données par Frère Félix. S’ils les perdaient, ils rachetaient le matériel à moitié prix au lieu de l’avoir gratuitement."
pesca artesanal, mar, solidariedade
, Madagáscar
Il est difficile de vouloir que les pêcheurs s’organisent s’ils ont été sous la tutelle d’un projet paternaliste.
Entretien réalisé par Sophie Nick au Havre dans le cadre de la capitalisation d’expérience du CEASM.
Entretien avec MAHEUT, Alexis
Entrevista
CEASM (Association pour le Développement des Activités Maritimes) - Le CEASM a arrêté ses activités en 2001. - Franca