Le cas des Tagbanwa aux Philippines
12 / 1994
Poursuivant des études anthropologiques au sein d’une communauté Tagbanwa, dans l’île de Palawan (Philippines), John B. Raintree s’était demandé comment l’aider à définir une voie de développement durable. Cette communauté, forte d’environ 500 membres, avait en effet été chassée de ses terres ancestrales, plus au nord de l’île, par l’arrivée de compagnies forestières et de paysans-colons venus d’autres îles de l’archipel. Elle se retrouvait isolée sur la côte ouest de la province et son savoir traditionnel en matière de riziculture ne pouvait lui permettre de survivre dans son nouvel environnement.
J.-B. Raintree revint dans cette communauté après deux ans d’absence, équipé d’ouvrages de référence sur les technologies appropriées et avec comme objectifs de développer la riziculture irrigée en complément de la traditionnelle culture sur brûlis, mettre au point une technologie appropriée d’irrigation par éolienne, introduire des cultures vivrières organiques, explorer les possibilités agro-forestières.
Il savait que la tâche serait difficile. Les Tagbanwa étaient très conservateurs dans le domaine de la technologie. Leur identité personnelle et communautaire était en fait attachée à la pratique exclusive de la culture sur brûlis. Ils identifiaient la riziculture irriguée au monde de ces colons qui les avaient chassés. Les résistances à l’innovation étant profondes, comment arriverait-il à jouer son rôle de médiateur, à faciliter l’accès à l’information et sa mise en oeuvre pratique ? Pour être efficace, il a fallu que la communication emprunte les modalités culturelles propres à cette communauté.
Diverses méthodes ont aidé à la transition psychologique des Tagbanwa. Mais c’est l’expérimentation pratique en équipe qui a joué le rôle principal pour l’adoption de la riziculture irrigée. Une équipe fut mise sur pied avec des membres de la communauté et l’expert. Le matin, elle discutait à fond de la journée de travail. Mais, bien souvent, les choses ne se clarifiaient qu’une fois la journée bien avancée. En effet, chez les Tagbanwa, le savoir-faire se transmet plus souvent par l’exemple que oralement. La démonstration de nouvelles techniques devait être concrète avant tout.
Par ailleurs, les Tagbanwa utilisent beaucoup plus le discours très indirect et les paraboles. Ainsi, quand d’autres Tagbanwa passaient près de leur lieu de travail et leur demandaient ce qu’ils faisaient, les membres de l’équipe de J.-B. Raintree adoptaient un comportement volontairement très détaché. Cela frustrait beaucoup l’expert qui avait compté sur ces rencontres pour diffuser les nouvelles connaissances, et ce, jusqu’au moment où il comprit qu’il s’agissait pour les membres de son équipe de se protéger du risque social associé à un possible échec de leur entreprise. Un dialogue typique donnait ceci : "Que faites-vous ?" -"Oh rien, nous jouons seulement". -"Que fabriquez-vous ?" -"Rien, juste un jouet". -"Cela ressemble à un drôle de piège à singe, qu’est-ce que c’est ?" -"C’est utile". Ce n’est que lorsque le visiteur insistait et manifestait un véritable intérêt que, parfois, l’explication venait : "Si tu veux vraiment le savoir : je fabrique un élément d’une machine qui fera monter l’eau afin d’irriguer un champ de paddy pour l’oncle" ("oncle" était le rapport fictif de parenté dont J.-B. Raintree avait été doté). Une discussion animée sur les mérites de l’éolienne pouvait alors s’en suivre, mais uniquement si le visiteur avait montré qu’il n’allait pas se moquer de cette équipe qui s’engageait dans une entreprise aussi hasardeuse.
C’est ainsi que J.-B. Raintree avait fini par comprendre que le comportement de ses collaborateurs procédait d’un mécanisme culturel élaboré permettant aux individus d’expérimenter de nouvelles idées et d’acquérir de nouvelles qualifications. Pour ce faire, ces activités étaient qualifiées de "jeux".
Le mot des Tagbanwa pour "jouet" ("buabua")est une forme diminutive du mot "travail" ("buat")et aussi du mot "fruit" ("bua"). Qualifier une activité de "juste un jeu" écarte le risque inhérent à toute "affaire sérieuse" de perdre sa face sociale en cas d’échec. Une fois que l’innovation ludique a mûri et s’est avérée efficace, alors, elle peut être comparée à d’autres modes de travail et les gens peuvent décider s’ils souhaitent l’adopter ou non.
Le dynamisme de l’équipe s’est grandement amélioré à partir du moment où cet esprit d’"innovation ludique" a pu jouer librement, chacun a pris beaucoup plus de plaisir au projet et s’y est impliqué de manière beaucoup plus créative.
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, Filipinas, Ile de Palawan
Contact : John B. Raintree, P.O. Box 1038, Kasertsart P.O. Box, Bangkok 10903, Thaïlande
Artigos e dossiês
ILEIA NEWSLETTER, 1994/03, N°1
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