06 / 1995
La plupart des théories sociologiques contemporaines sont construites à partir d’une représentation des rapports et des acteurs (les individus socialisés et agissants)au système (l’ordre social). Elles rejettent autant la "mort du sujet" de la sociologie structuraliste et marxiste des années 70, que l’acteur lui-même, par le recouvrement exact de ces deux réalités : l’acteur et le système. En conséquence, l’auteur se pose trois questions principales :
- Faut-il reconnaître aux individus une capacité d’initiative et de choix ?
- et... leur attribuer une distance à l’égard du système ?
- Les marges d’initiative laissées aux acteurs, sont-elles de nature fonctionnelle, adaptatrice, ou innovatrice ?
Dubet propose en réponse, la notion d’"expérience sociale", comme alternative de celle de "rôle social" : "la notion d’expérience paraît plus adéquate que celles de rôle ou de statut parce qu’elle évoque une hétérogénéité du "vécu" là où la notion de rôle suggère la cohérence et l’ordre". Le rôle donnait naissance à un personnage, c’est-à-dire, à la fusion des codes culturels et de la personnalité, alors que l’expérience fait jouer l’hétérogénéité et l’arbitraire.
L’objet de la "sociologie de l’expérience" proposée dans ce texte est très exactement la subjectivité des acteurs, c’est-à-dire, la conscience qu’ils ont du monde et d’eux-mêmes. Aussi, l’expérience sociale désigne "l’objet sociologique où les conduites sociales n’apparaissent pas réductibles à des pures applications de codes intériorisés ou à des enchaînements de choix stratégiques faisant de l’action une série de décisions rationelles... Cette notion existe là où les acteurs sont tenus de gérer simultanément plusieurs logiques de l’ordre social, qui n’est pas un système mais la coprésence de systèmes structurés par des principes autonomes".
La diversité des logiques entraîne donc une diversité de rationalités de l’action et le tout assure à la fois la socialisation et la distance à soi de l’acteur. Or, c’est cette distance qui fait que l’acteur soit un sujet.
Ainsi, l’acteur n’est pas entièrement socialisé puisque son expérience s’inscrit dans des registres multiples et non congruents; l’autonomie relative de l’acteur qui en résulte, ne tient pas au fait qu’il lui préexistent des éléments "naturels" et irréductibles (tels que l’âme ou la raison, par exemple), mais tient justement au fait que l’action sociale n’a plus d’unité, qu’elle n’est plus réductible à un programme unique. Il s’affirme donc comme sujet dans un processus qui le démarque de l’évidence de l’ordre des choses, recoupant à la fois une activité de critique, de distance et d’engagement.
Mais il ne faudrait pas penser que cette sorte d’auto-détermination est pour autant complètement asociale, car la logique du sujet reste socialement ancrée par la tension entre ses composants qui sont, eux, sociaux : culture, rapports de domination, communauté et marché... Si cette action sociale n’est pas le règne de la liberté, elle n’est pas conçue non plus comme un conditionnement, mais comme une intériorisation du social permettant à l’individu de produire ou d’inventer les conduites adaptées au fonctionnement du système dont il fait siens les principes fondamentaux en les transformant en catégories du Moi. L’individu est d’autant plus autonome qu’il intériorise consciemment le social.
Le sentiment de liberté manifesté dans les enquêtes de l’auteur (jeunes, lycéens, marginaux), témoigne de la nécessité de gérer plusieurs logiques de l’action dont il a été déjà question. Ces acteurs vivent plus volontiers leur activité de sujets dans la souffrance que dans le bonheur, et leur désir d’être l’acteur de sa vie se présente plus un projet éthique qu’un accomplissement.
ator social, autonomia, teoria científica
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Livro
DUBET, François, Sociologie de l'acteur, SEUIL, 1994/10/00 (France)
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