L’archipel des Philippines est peuplé d’environ 65 millions d habitants. Ces îles ont une longue histoire de domination coloniale, d’abord par l’Espagne, ensuite par l’Amérique et enfin par le Japon. Pendant 20 ans, une longue guerre d’insurrection contre les conditions sociales et la dictature de Marcos a déchiré le pays, engendrant des dizaines de milliers de morts et le déplacement de millions de personnes.
L’île de Negros
Depuis 150 ans, la principale activité économique de l’île de Negros est les plantations de canne à sucre, héritées de la période coloniale. Les conditions de vie déplorables et misérables des paysans ont maintenu l’île dans un état insurrectionnel depuis 25 ans. La révolution de Negros, dominée par la Nouvelle Armée du Peuple marxiste, était indissociable de la situation insurrectionnelle qui prévalait à l’échelle de toutes les Philippines, mais elle fût toujours contenue par les actions militaires dévastatrices du dictateur Marcos puis des présidents Aquino et Ramos. En dépit de la répression, de petites bandes bien organisées subsistent toujours.
Il faut attendre la fin des années 60 et l’arrivée du nouvel évêque de Negros, Antonio Fortich, pour que l’image de l’Eglise, jusqu’alors compromise aux côtés des propriétaires terriens et du régime, commence à changer. Ses positions en faveur des populations les plus défavorisées (« l’Eglise des pauvres ») la firent connaître dans le monde entier. Aux Philippines, elle montrait par ses prises de position et ses actions que l’idéologie marxiste « de changement par la lutte armée » n’était pas la seule réponse à l’oppression et proposait une alternative, la lutte non-violente. L’église avait acquis une réelle crédibilité lorsque survint le moment historique de passer à l’action et était en position de devenir le facteur d’unité.
Points positifs : l’Eglise a choisi un parti difficile, elle a donc souffert, s’est appauvrie et a subi la répression - de nombreux prêtres furent assassinés, emprisonnés et torturés par le régime des Marcos. Mais en se rangeant du côté des pauvres et en préconisant la lutte non violente, elle représente désormais une alternative crédible à la lutte armée proposée par les rebelles marxistes, dont la crédibilité au départ était largement due à leurs actions d’auto-sacrifice.
Points négatifs :
- la principale erreur de l’Eglise fut, dans un premier temps, de ne pas s’être opposée au dictateur Marcos tout en témoignant son hostilité à la lutte armée des marxistes. Ce n’est que tardivement que l’Eglise a développé une stratégie convaincante à partir d’une idéologie claire et cohérente, basée sur la non violence active. Pendant longtemps, l’Eglise se contentait de dire « n’utilisez pas les armes » mais était incapable de proposer au peuple une alternative à la lutte armée.
- de son côté, la guérilla marxiste n’a pas su tenir compte de la culture de masse et des gens « ordinaires » dans sa stratégie de changement. La population compte 86% de catholiques et bien que la majorité ne soit pas pratiquante, elle n’a jamais totalement accepté une idéologie qui excluait l’Eglise, même si les marxistes proposaient une amélioration sociale des classes défavorisées. Les musulmans des Philippines du sud n’ont pas commis cette erreur car ils n’ont jamais séparé révolution et islam; c’est en tissant des liens entre religion et culture qu’ils se sont renforcés.
L’éviction non-violente du dictateur Marcos
En 1985, après vingt ans de dictature douloureuse, le peuple philippin a renversé le président Marcos, devançant ainsi le projet de destitution violente du dictateur préconisée par l’Armée Révolutionnaire Marxiste. Cet événement, connu sous le nom de Révolution EDSA, s’est déroulé sans violence. A l’appel personnel du cardinal Jaime Sin, des centaines de milliers de civils non armés se sont massés dans les rues contraignant, par leur simple présence physique, les tanks et les véhicules blindés de Marcos à faire demi-tour. Aucun acte provocateur n’a marqué cette période insurrectionnelle : les manifestants tendaient des fleurs, des sandwiches et des cigarettes aux soldats; ils se dressaient ou s’allongeaient sur la route devant les tanks; ils priaient ou chantaient des chants religieux et utilisaient leurs statues religieuses pour bloquer les routes. Ce vaste mouvement populaire de protestation a provoqué la fuite de Marcos, suivi de la prise de pouvoir pacifique de Cory Aquino.
Le rôle de l’Eglise avant l’insurrection fut déterminant. Une première lettre pastorale rédigée par les évêques catholiques, déclarant que le gouvernement de Marcos était illégitime et que le peuple avait le droit des y opposer mais qu’il devrait le faire par des moyens non violents, avait préparé le terrain avant les premières manifestations. Ce fut l’une des rares occasions où une hiérarchie religieuse a condamné un dictateur avant sa chute. Auparavant, une retraite de réflexion sur le thème de la non-violence proposée par deux personnalités pacifistes, les Gross-Mayer, avait aussi joué un certain rôle dans la sensibilisation du clergé à la stratégie non-violente. Pendant plusieurs jours, les méthodes non-violentes et leur efficacité avaient été présentées et expliquées aux évêques; l’accent avait été mis sur le fait qu’une telle stratégie était en droite ligne avec l’évangile du Christ.
Le boycott des institutions fut l’un des moyens non-violents utilisés contre le régime de Marcos après la diffusion de la lettre pastorale. Cette méthode d’action a été très efficace dans la mesure où elle a permis d’unir les gens et d’organiser une pression multiforme - économique, sociale et institutionnelle.
Points positifs :
- Le fait que les militaires n’aient pas pris l’initiative d’un bain de sang au moment du renversement du dictateur Marcos, alors qu’en de nombreuses autres occasions ils avaient perpétré des massacres, a permis d’éviter un nouveau cycle de violence qui aurait entretenu un héritage de haine et de revanche.
Points négatifs :
L’occasion d’instaurer des réformes sociales a été tragiquement manquée. Le nouveau gouvernement avait promis d instaurer une réforme agraire mais rien n’a été fait dans ce sens jusqu’à présent. L’absence de réformes agricole, juridique et électorale met en danger les acquis de la période post dictatoriale et pose les jalons à un retour à la guerre. De même la promesse de venir à bout de la corruption s’est soldée par un échec complet. La corruption a causé la perte du régime de Marcos et des gouvernements qui ont suivi. Tant qu’une solution n’aura pas été trouvée pour y mettre un terme, l’idéologie du pouvoir en place aux Philippines aura peu d’importance. Tant que l’oppression des pauvres perdurera, nul ne peut exclure le déclenchement d’une nouvelle insurrection et d’une longue guerre.
Reste aussi l’ambivalence de certains secteurs de l’Eglise par rapport à l’action non violente et l’attrait qu’exerce sur eux la théorie de la guerre juste. Le problème est que chaque partie considère sa guerre comme juste! Or l’expérience montre que la théorie de la guerre juste conduit à davantage de guerre.
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, Filipinas
Expériences et réflexions sur la reconstruction nationale et la paix
L’auteur de la fiche est le Président du groupe « Pax Christi » aux Philippines. Texte d’origine traduit de l’anglais.
Séminaire sur la reconstruction du Rwanda, Kigali, 22-28 octobre 1994.
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