03 / 1993
Les politiques de transferts de droits pour entraîner la croissance économique et le développement social des pays technologiquement les moins avancés sont liées à la foi des grandes puissances dans la supériorité de nature ou dans l’avance chronologique de leurs droits.
Il faut savoir que ce que les occidentaux appellent « droit » chez eux et dans les pays technologiquement moins développés, ne recouvre pas la même réalité. Ce qu’ils appellent leur droit, c’est avant tout leur discours juridique: les manuels de droit français, par exemple, développent généralement, sans le reconnaître, des récits de caractère mythique sur l’unité du droit, sa rationalité, la hiérarchie des normes, des actes et des acteurs, le pouvoir, la volonté nationale ou populaire, l’égalité des personnes, l’intérêt général, le service public, l’accord de volontés créatrices de loi, etc…, qui occultent presque toujours une pratique juridique dont l’étude leur paraît peu digne de la science juridique, sauf à être abandonnée aux sociologues du droit. A l’inverse, ce que les juristes occidentaux appellent « droit » dans les pays technologiquement moins avancés concerne plutôt les pratiques juridiques (matrimoniales, foncières, du pouvoir), répertoriées, nommées et analysées par les ethnologues et le plus souvent en fonction de l’activité économique, sans tenir compte des discours qui les accompagnent. Ces pratiques sont considérées, en raison des mythes qui les nourrissent, comme plus justiciables de l’analyse des mythologues que de celle des juristes.
Cette double mutilation du phénomène juridique entraîne l’illusion d’une opposition de nos droits et des autres droits, et d’une supériorité des premiers sur les seconds.
Il n’y a pas d’opposition de nature entre les droits européens et les droits traditionnels d’autres continents. Ceux qui ont opposé « mentalité logique » et « mentalité pré-logique », « droit » et « pré-droit », sociétés chaudes et sociétés froides, ont été victimes d’une illusion d’optique: comparant les droits de l’Occident aux droits traditionnels d’autres pays alors qu’ils identifiaient les premiers aux discours juridiques occidentaux et les seconds aux pratiques juridiques traditionnelles, ils ont cru voir une opposition géographique et, dans la mythologie darwiniste de l’Occident, chronologique là où il n’y a qu’une banale opposition entre discours et pratiques. Cette illusion leur a fait conclure à la supériorité des droits occidentaux, plus rationnels: destiné à obtenir un consensus, tout discours juridique est en effet plus rationnel que les pratiques qu’il vise à légitimer. Mais en fait, les discours des droits traditionnels ne sont pas moins rationnels que ceux des droits occidentaux: ils répondent seulement à d’autres logiques enracinées dans d’autres mythes.
Dès qu’on regarde, en Occident comme ailleurs, l’ensemble du phénomène juridique, discours et pratiques, l’illusion disparaît: il ne reste ni opposition entre les droits occidentaux et les autres, ni supériorité des premiers sur les seconds.
Rien, dans la nature du droit, ne justifie donc une politique de transfert de droits de l’Occident vers ce qu’il appelle Tiers Monde.
direito, Estado, pesquisa, antropologia, estudo comparativo, prática do direito
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Trois fiches ont été établies à partir du texte de Michel Alliot « Les transferts du droit ou la double illusion »: une première fiche d’introduction, la deuxième fiche porte le sous-titre « L’illusion de la supériorité des droits occidentaux » et la troisième, celui de « L’illusion de l’efficacité des textes juridiques ». Ces trois fiches ont un caractère complémentaire.
In: « Recueil d’articles, contribution à des colloques, textes du Recteur Michel Alliot: 1953-1989 », Paris, 330 p. Le texte analysé date du 3 mai 1982. Egalement publié dans le « Bulletin de Liaison du LAJP » (Paris: LAJP), n°5, mars 1983, p. 121-131. (Version espagnole de cette fiche: MFN 3031)
Literatura cinzenta
ALLIOT, Michel, 1982/05/03 (France)
Juristes Solidarités - Espace Comme vous Emoi, 5 rue de la Révolution, 93100 Montreuil, FRANCE - Tél. : 33 (0)1 48 51 39 91 - Franca - www.agirledroit.org/fr - jur-sol (@) globenet.org