M.CISSOKHO explique les premiers pas du Comité de Bamba Tialène auquel il a participé personnellement comme animateur.
"En 1976, la création du Comité de Bamba Tialène (dont sont issues les Unions de groupements appelées : Ententes), est partie d’un questionnement, d’une autoréflexion au village. Les gens ont essayé de se situer dans la vie qu’ils mènent et également face à la vie qu’ils voudraient mener. Cette réflexion a tourné autour de deux thèmes importants : quelle est ma responsabilité en tant que personne dans ma vie et quelle est ma responsabilité en tant que personne dans ma société ? Clarifier ces deux responsabilités nous a permis de nous identifier. Pour le 1er thème, nous étions en contradiction entre ce que nous croyions profondément et ce que nous vivions. Car jusqu’à cette époque, nous ne supportions aucune responsabilité négative de notre côté. Par exemple nous disions : "Il ne pleut pas : c’est Dieu". Quant au 2ème thème, nous avons analysé 3 points : ce que nous sommes, ce que nous voulons et comment nous pensons y parvenir. Après une réflexion, nous avons conclu que dans ces 3 points, il y avait 70 % de la responsabilité qui m’incombait à moi en tant que personne. La vie c’est ce qu’on est, ce qu’on veut et comment on pense y arriver par soi-même. Dans "quelle est ma responsabilité dans la société", on a analysé que, culturellement, le "moi" n’existe pas. C’est le "nous" : parents, famille, etc. C’était donc un non-sens que de se limiter au "moi". Essayer de s’en sortir seul est contraire à notre culture. Alors, nous avons compris et accepté qu’il fallait que nous nous organisions mieux afin de permettre la satisfaction des besoins essentiels pour que chacun vive mieux. Il était de notre responsabilité de définir les efforts pour y arriver. A cette période, on ne connaissait pas d’aides extérieures. Notre seul appui était celui de l’Etat et si nous arrivions à faire tout ce qu’on avait décidé, on pourrait demander l’appui du gouvernement.
En 1976, les conditions naturelles de notre zone étaient relativement prospères : pas de sécheresse, les gens gagnaient beaucoup. Mais 4 mois après la récolte, il n’y avait plus d’argent dans la zone; on était en surproduction de céréales mais en juin les greniers étaient vides; les gens passaient toute la saison sèche sous l’arbre à palabres pour se plaindre. D’autres problèmes ne dépendaient pas de nous (aucun centre de santé, ni écoles, ni pistes)mais nous allions d’abord régler ceux qui nous incombaient directement. Notre production devait être bien gérée; il fallait fixer des règles. Pour cela, il ne fallait pas chercher ailleurs car les méthodes de gestion des stocks de céréales étaient connues des ancêtres. Les familles savaient également ce qu’elles consommaient par jour en épis de mil et qu’en le multipliant par 10 mois, elles pouvaient faire des réserves. Les connaissances existaient donc pour agir. C’est seulement le laisser-aller et l’insouciance qui faisaient qu’on ne s’en occupait pas. Les gens étaient intéressés, c’était en effet la première fois qu’ils se posaient des questions, qu’ils critiquaient leur comportement. Nous avons même fait une relecture du Coran, une rediscussion des principes traditionnels d’éducation car on avait relevé des contradictions. On a fait une sorte d’autoévaluation des aspects spirituels, matériels, physiques et même du milieu. Par exemple, le seul village de Bamba gérait 100 millions CFA par an mais malgré cela, de mai à novembre, c’était la misère. Nous avons, avec chaque famille, mesuré les biens, les revenus et les consommations. Cela a convaincu les gens. Ce n’est pas la sécheresse qui nous a poussés; la première est arrivée chez nous en 85, 86 seulement. D’ailleurs, en 76 au moment des débats, les gens, devant le fait que nous disions de nous organiser face au risque de sécheresse avaient trouvé cela inadmissible : "Comment pouvez-vous déjà commencer à réfléchir en disant : au cas où ?" C’est pourquoi nous avons essayé de partir de notre réalité : nous avons d’énormes potentialités mais n’arrivons pas à ce qu’elles puissent nous servir. Le principe décisif de cette réflexion (qui a duré 18 mois)a été : "Si nous voulons vivre chez nous, il faut que nous fassions en sorte que cela soit possible". Tout le travail a été orienté sur cela et nous avons sorti notre "premier programme". Puis un "premier programme de formation" en 10 points. Nous avons affirmé : "Nous ne sommes ni des mendiants, ni des pauvres". Chacun avait de l’argent mais il fallait le mobiliser. On a commencé à faire des champs collectifs et à vendre 50 % de leur production pour faire face aux dépenses au niveau de chaque groupement. Nous avons décidé aussi que toute personne qui refuse de se former sera exclue. Un des problèmes était que trois ethnies vivaient dans les villages sans relations entre elles. Nous avons mis fin à cela en organisant des visites entre elles."
organização camponesa, autoavaliação, método do diagnóstico, identidade cultural, dimensão cultural do desenvolvimento
, Senegal, Bamba Tialene
Parmi les modes de naissance des organisations de base, il est rare d’en trouver une qui s’appuie sur une autoévaluation critique des comportements des villageois eux-mêmes. C’est en partant de l’évaluation de leurs capacités de gaspillage et de leur tendance à rejeter sur autrui la responsabilité de leurs difficultés qu’est née cette Union de groupements.
Entretien effectué par LECOMTE, Bernard.
Mamadou CISSOKHO est le président de la Fédération des ONG du Sénégal (FONGS) qui, malgré son nom, est une fédération d’Unions d’organisations paysannes. Il a fondé, en 1978, le comité de Bamba Tialène qui a ensuite bourgeonné pour donner naissance à l’Union des "Ententes".
Entrevista
1993/10 (France)
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