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Tammaiah, ou l’émigration comme solution au problème des dots en Inde

Frédéric LANDY

12 / 1993

Tammaiah est un paysan du village de Naragalu, dans le Karnataka (Inde du sud). Il avait hérité de 1,2 ha de son père, mais ces terres sont peu fertiles et les rendements de l’éleusine (millet)ou du sorgho y sont faibles: il fallait un revenu d’appoint. Comme les possibilités d’emploi agricole au village étaient très faibles en raison de l’absence d’irrigation, Tammaiah décida donc en 1975, à 23 ans, d’émigrer à Bombay, à 1000 km de là, où travaillaient déjà nombre de personnes de la région qui lui avaient indiqué qu’il pourrait trouver un emploi dans un restaurant. C’était le début d’une vie bien peu sédentaire, puisqu’après plusieurs années passées à Bombay, où il put gagner jusqu’à 500 roupies par mois comme serveur, il devint gérant d’une boutique de rationnement à Bangalore (à 150 km du village)où il investit 14 000 Rs. Mais la boutique était au nom d’un beau-frère qui l’escroqua. Tammaiah perdit tout: terrible déception, alors qu’il rêvait de pouvoir vivre enfin avec sa femme, épousée un an après être parti à Bombay. Il demeura alors 7 mois au village, puis, découragé par les faibles ressources de l’environnement (un journalier gagne moins de 10 Rs... quand il trouve du travail), repartit à Bombay. Là bas, il parvint après maint déboires à monter un petit commerce ambulant de snacks, qui lui rapportait souvent 1000 Rs par mois même après paiements de bakchichs à la police et à la mafia locale. Mais le mal du pays aidant, voulant profiter des quelques économies faites, il est rentré au village en 1989.

Economies? En 15 ans d’absence, Tammaiah a pu acheter 0,7 ha de friches caillouteuses (7000 Rs)et 6 ares irrigués par un étang (7000 Rs); ainsi qu’une maison à un carrefour commercialement actif (30 000 Rs)qu’il veut louer comme fonds de commerce. Il doit aussi payer pour les frasques d’un frère qui fait des dettes et dont il se sent responsable bien qu’ils ne vivent pas ensemble. Enfin, Tammaiah cultive illégalement 0,8 ha de terres publiques qu’il a lui-même aménagées à grand frais: terrasses, tranchée contre le ruissellement... Il va y planter 50 cocotiers car il est sûr que l’administration lui concèdera la parcelle. Ses terres lui rapportent au total 7 q d’éleusine, 1 q de paddy, et de 2 q d’autres grains: c’est assez pour être autosuffisant; du coup sa femme ne travaille plus comme ouvrière agricole, d’autant que sa bufflesse produit du lait qui peut être vendu.

Tout dans sa stratégie révèle le souci du long terme. Ambitieux? sans doute. A Bombay, il a vu des paysans enrichis. Il parle désormais l’hindi, le marathi, et pas seulement la langue locale, le kannada. Mais la source principale de son insatisfaction, c’est cette menace qui vit chez lui, et que pourtant il chérit: ce sont ses 3 filles dont il faudra dans 5 ans, dans 10 ans payer les dots. De quoi ruiner 15 ans d’émigration. Aussi pouvait-on comprendre l’angoisse de la maisonnée quand en 1990 accoucha une quatrième fois sa femme: serait-ce enfin un garçon? Ce fut une fille. Cinq mois plus tard, Tammaiah repartait à Bombay.

Palavras-chave

êxodo rural, migração


, Índia, Karnataka

Comentários

Le cas de Tammaiah est un bon exemple de l’enracinement rural indien. Il vit dans une région pauvre, et surpeuplée (140 hab/km2 de densités rurales). Et pourtant, il est certain qu’il terminera sa vie au village de Naragalu, et sûrement pas à Bombay ou à Bangalore, où pourtant il peut gagner 10 fois plus. Dans la grande ville en effet, les conditions de vie sont terribles: il faut se satisfaire quand on est serveur de dormir dans la salle du restaurant, de subir brimades et exploitation de toutes sortes de la part de son employeur ou des multiples racketteurs. Il faut vivre dans une région où l’on parle une langue "étrangère" écrite dans un autre alphabet (Tammaiah a été quelque temps à l’école au Karnataka). Aussi cherchera-t-on à rentrer, une fois des économies faites. Et tant pis si la pression sociale vous fait alors tout sacrifier pour payer les dots de vos filles (dots qui en Inde sont de plus en plus lourdes depuis une vingtaine d’années, et qui ne sont plus seulement pratiquées par les hautes castes comme jadis).

Notas

Cette fiche a été élaborée à partir de ma thèse qui doit être publiée en 1994 sous le titre : "Paysans de l’Inde du Sud", chez Karthala.

Fonte

Tese e memoria

LANDY, Frédéric

Université de Paris 10 (Centre d’étyudes de l’Inde et de l’Asie du sud) - 59 Rue Bazire, 76300 SOTTEVILLE LES ROUEN. FRANCE. Tel 33 (0) 140 97 75 58. Fax 33 (0) 140 97 70 86 - Franca - frederic.landy (@) wanadoo.fr

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