Le mouvement des pêcheurs a largement occupé la scène politique et médiatique française au cours du mois de février 1994. Parti de la base, ce mouvement de revendication et de désespoir, a d’abord touché la Bretagne avant de s’étendre à la France entière et de concerner des individus aux intérêts souvent divergents (matelots, mareyeurs, pêcheurs industriels).
Leur revendication, "pouvoir vivre de leur travail", s’est exprimée dans un mouvement de grève -qui a duré jusqu’à trois semaines dans les ports du Sud-Finistère- et par une série de manifestations, parfois violentes.
Avec le recul du temps, il convient d’examiner les causes de cette flambée de violence, puis les mesures qui ont été prises pour y répondre et, enfin, les perspectives de la filière pêche en France.
La principale cause de ce conflit résulte de la baisse des cours mondiaux du poisson. Alors qu’ils étaient stables et plutôt rémunérateurs jusqu’en 1991, ils ont commencé à chuter à partir du premier trimestre 1992. De 19 FF en 1991, le prix moyen du kilogramme de produit de la mer est passé à 17,50 FF en 1992 et environ 15 FF au cours des neuf premiers mois de 1993. Cette baisse a principalement touché les pêcheurs artisanaux, patrons ou employés qui ne bénéficient pas d’un minimum salarial. Leur salaire est déterminé par la recette de la pêche. Ainsi certaines familles, endettées, vivent avec 2 000 FF par mois depuis six mois.
La baisse des cours mondiaux du poisson a elle-même pour cause une conjonction de facteurs :
- la pression des importations à faible prix,
- la récession générale de l’économie qui a modifié le comportement des consommateurs, les poussant vers les prix les plus faibles, vers le surgelé au détriment du poisson frais,
- la concurrence de l’aquaculture (saumon, crevette, bar)
- les dévaluations au Royaume-Uni, en Espagne, en Italie, les principaux partenaires commerciaux de la Francedans le secteur de la pêche.
La situation de ce secteur n’a cependant pas que des causes économiques générales. Il a aussi sa propre part de responsabilité. Le surendettement et le suréquipement, souvent impulsés par la Communauté européenne, en témoignent.
Pendant le conflit, le gouvernement a annonçé deux séries de mesures, le 2 février et le 4 février. Ces mesures sont de quatre ordres, elles concernent le soutien au marché, le soutien aux entreprises, et un volet social.
En ce qui concerne le marché, 50 millions de FF sont mis à la disposition des organisations de producteurs pour le soutien au marché (dont 27 millions déjà promis en 1993). La seconde mesure concerne les importations : modification, en concertation avec la profession, de l’arrêté autorisant le pétoncle canadien à prendre l’appellation "noix de saint-Jacques" ; la Commission européenne rétablit les prix minima à l’importation pour certaIns poissons le 4 férier à la demande du gouvernement français. Le 8 février, les postes d’inspection sanitaires frontaliers sont limités à 20, les agréments des établissements qui exportent vers la France, contrôlés. Enfin, le gouvernement français débloque 10 millions de FF consacrés à la promotion du poisson français.
Le soutien aux entreprises fait l’objet de deux mesures :
- la réduction des charges sociales patronales de 50 % pour les industriels,
- l’allègement des charges financières par une baisse de 1 % du taux des prêts bonifiés.
Enfin, le volet social comprend trois mesures :
- la mise en place, d’ici au 1er juin, d’une caisse mutuelle de garantie des salaires permettant d’assurer aux marins de la pêche artisanale un revenu minimum, à l’image des marins des armements industriels
- la réduction de la part salariale des cotisations sociales de 50 % pour les matelots et patrons embarqués jusqu’au 1er juin avec effet rétroactif au 1er janvier
- l’aide aux familles en difficulté, 10 millions FF y seront consacrés.
Ces mesures s’accompagnent de la nomination d’une commission de suivi, chargée de faire des propositions sur l’avenir de la pêche en France, et d’une mission d’étude sur la modernisation du secteur du mareyage.
Les mesures prises par le gouvernement restent toutes en deçà des revendications des grévistes. Elles ne satisfont pas les côtiers et les matelots, sont jugées peu efficaces en ce qui concerne le volet marché et trop ciblées sur les bateaux de plus de 12 mètres. Elles n’ont surtout qu’une visée à court terme, alors que le secteur de la pêche exige des restructurations très longues et difficiles à mettre en oeuvre.
La commission de suivi et la mission d’étude doivent impulser ces restructurations. On peut lui fournir quelques axes de réflexion, quelques mesures à envisager :
- une réduction des coûts d’exploitation notamment par la budgétisation des taxes portuaires,
- une restructuration du mareyage, le maillon faible de la filière,
- une table ronde entre organisations de pêcheurs et le secteur de la grande distribution,
- enfin, si l’on ne veut pas laisser les pêcheurs européens sur le quai, il semble difficile de défendre le libéralisme sauvage. Les bateaux européens ne peuvent prétendre à des coûts d’exploitation aussi faibles que leurs homologues du Tiers-Monde. Il s’agit donc de revoir les règles du commerce international afin de permettre une survie de la pêche européenne.
La pêche française sort de ce conflit profondément morcelée et inquiète pour son avenir. La crise a exacerbé les divergences d’intérêts, aussi bien catégoriels que régionaux. Elle a fait se développer une forte méfiance, voire une hostilité vis-à-vis des structures représentatives.
Le temps de la restructuration semble être arrivé. Elle sera douloureuse pour les plus faibles, mais indispensable pour sauver ce qui peut encore l’être.
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Artigos e dossiês
FRANCE ECO PECHE, 1994/03 (France), 387
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