08 / 2011
La Constitution indienne répertorie les « forêts » dans la liste de ses compétences concurrentes. Cette liste est administrée et gérée par les deux composantes de la structure fédérale indienne : le gouvernement central et les gouvernements des États. Aux niveaux national et étatique, un ensemble de lois et de politiques détermine la propriété forestière et les procédures qui restreignent ou attribuent l’accès aux forêts aux usagers potentiels.
Cependant, c’est la loi sur la préservation des forêts (Forest Conversation Act – FCA) de 1980, mise en application par le gouvernement central, qui fixe les procédures à suivre dans le cas où un organisme utilisateur souhaite convertir une zone forestière pour un usage non forestier et/ou abattre des arbres. La FCA établit une distinction entre la gestion des forêts et l’« utilisation non forestière », à savoir les activités industrielles, le développement d’infrastructures ou l’annulation du classement des terres pour d’autres catégories administratives. Pour l’utilisation non forestière explicite d’une forêt comme l’exploitation minière, la construction de routes ou l’annulation du classement des forêts, une autorisation doit être demandée auprès du Ministère de l’environnement et des forêts (MoEF).
La loi définit de manière large l’objectif non forestier comme un morcellement ou un nettoyage de toute zone forestière pour la culture du thé, du café, des épices, du caoutchouc, des palmiers à huile, des plantes oléagineuses, la culture horticole, des plantes médicinales et toute activité autre que le reboisement. La loi prévoit que la modification de l’affectation des terres doit être compensée. L’obligation d’un reboisement compensatoire est considérée comme l’une des conditions les plus importantes prévues par la loi quand les forêts sont « converties » à des fins non forestières, quand des arbres doivent être abattus ou quand le classement d’une forêt est sur le point d’être annulé. Toutes les propositions de conversion sont présentées accompagnée d’un projet complet de reboisement compensatoire. La réglementation forestière de 2003 relative à la conservation (Forest Conservation Rules, la version sans amendement date de 1981) s’effectue par le biais de formulaires à remplir par le Département des forêts, agence qui propose une conversion au nom des organismes utilisateurs. Le MoEF a également émis des directives spécifiques relatives à la mise en œuvre et au contrôle du reboisement compensatoire.
Selon le MoEF, le reboisement compensatoire doit être effectué sur une superficie équivalente de zone non forestière. Par exemple, si 100 hectares sont « perdus » pour un objectif non forestier, 100 hectares de zone non forestière devront être reboisés. Des exceptions à cette règle sont toutefois prévues en cas de non-disponibilité de zone non forestière, auquel cas le reboisement doit être effectué dans les même proportions sur une zone forestière dégradée. Cependant, les projets entrepris par le gouvernement central peuvent pratiquer le reboisement compensatoire sur une zone forestière dégradée dont la superficie est deux fois supérieure à la zone forestière convertie pour ses projets. De plus, les directives du MoEF permettent à d’autres catégories de forêts reconnues par la loi indienne sur les forêts (Indian Forest Act) de 1927 et par la FCA de 1980 d’être également utilisées pour le reboisement compensatoire. Ces zones peuvent être des revenue lands (terrains agricoles non constructibles et non industriels) ou des catégories de zone telles que zudpi jungle, Chhote, Bade jhar ka jungle, jungle-jhari land, civil, soyam lands. Ces catégories ont leurs propres régimes de propriété et pratiques de gestion. Reboiser un terrain éloigné, situé en dehors du district ou de l’État, n’est possible que si aucune zone dans l’État concerné n’est disponible.
Rôle de la Cour suprême indienne
Depuis 1995, la Cour suprême de l’Inde a commencé à jouer un rôle proactif en matière de politique forestière et de gouvernance. L’affaire qui commença alors et qui est toujours en cours à la Cour suprême oppose T.N. Godavarman Thirumulpad à l’Union indienne [W.P. (Civil) No.202 de 1995]. Elle est plus connue sous le nom de Forest Case (le procès « forêt ») ou procès Godavarman. Ses origines remontent au moment où la Cour suprême a pris des mesures à l’encontre d’un vaste abattage illégal de bois et du dépouillement des forêts à Gudalur Taluk au Tamil Nadu.
Dans cette affaire, l’une des ordonnances initiales a substantiellement modifié la vision et la gestion des forêts. L’ordonnance du 12 décembre 1996 a élargi le sens de « forêts » à sa signification littérale définie dans la FCA de 1980. Ainsi, toute zone s’apparentant à cette définition – répertoriée officiellement comme une forêt ou pas – nécessiterait une autorisation en vertu de la FCA et de ses règles correspondantes pour une conversion en usage non forestier (1) (voir Forest Case Update).
Jusqu’aux interventions de la Cour suprême dans l’affaire Godavarman, le reboisement compensatoire et l’argent destiné à cette opération étaient traités par le gouvernement de l’Etat concerné. Les directives ont permis la création d’un fonds spécial utilisé à cette fin. La responsabilité d’une personne ou d’un promoteur de projet chargé de la conversion d’une zone forestière prend fin lorsque le montant nécessaire à la réalisation de cette activité est transféré au gouvernement de l’Etat.
Depuis les premières observations de la Cour Suprême en 1998-1999, on a compris que même si la conversion des zones forestières en usage non forestier était systématique et officielle, les conditions d’indemnisation de cette détérioration n’étaient pas opérationnelles. Cela faisait près de 20 ans que la FCA était entrée en vigueur, avec un ensemble de pratiques compensatoires qui veillent à maintenir la couverture forestière par la conversion controversée des revenue land en forêt. Les revenue land qui devaient être reboisés étaient déjà utilisés à des fins humaines et écologiques.
Alors que le débat évoluait devant la Cour, une ordonnance datée du 30 octobre 2002 prévoyait la constitution d’un organisme chargé de gérer les fonds perçus pour convertir les zones forestières en terres non forestières. L’organisme devait gérer les fonds collectés pour le reboisement compensatoire en utilisant la VAN (valeur actuelle nette – une nouvelle méthode, en développement, visant à tarifer davantage la conversion de zone forestière) (2) et tout autre fonds recouvrable sous forme d’amendes ou de pénalités, conformément à la FCA. Une notification dans ce sens a été adoptée par le MoEF le 23 avril 2004 afin de créer l’organisme de gestion des fonds de reboisement compensatoire et de planification (Compensatory Afforestation Fund Management and Planning Authority, CAMPA).
Si les mécanismes prévus par ce processus juridique semblent relativement simples dans la mise en œuvre du reboisement compensatoire, il n’en va pas de même dans la pratique. Ainsi, en septembre 2010, la Haute Cour du Gujarat a demandé des explications à la zone économique spéciale du Port de Mundra (MPSEZ), au Département des forêts du Gujarat, au Ministère de la défense, à l’Autorité nationale sur la biodiversité et au receveur du district du Kutch concernant la cession d’une zone de 2.000 hectares. Cette zone appartenait à la force de sécurité des frontières (BSF) et était désormais destinée à un reboisement pour compenser la conversion de terres forestières dans le cadre des activités de la société basée dans la région de Mundra, dans le district du Kutch au Gujarat. Cette zone devait être acquise et transmise au Département des forêts du Gujarat dans les six mois qui suivaient l’obtention de l’autorisation. En raison du conflit, aucun boisement compensatoire ne put être effectué dans la zone appartenant à la BSF. Cependant, il semblerait que 965.933.159 roupies aient été versées par la société au fonds CAMPA.
Le Contrôleur et vérificateur général (CAG) a également réalisé un examen complet de l’utilisation du fonds de reboisement compensatoire. Dans une analyse de données recouvrant dix-sept divisions territoriales forestières dans le seul État du Madhya Pradesh, une zone forestière fut convertie à des usages forestiers pour une durée de dix ans, entre 1997-1998 et 2006-2007. Le rapport 2007 du CAG indique que durant cette période, 8.915,214 hectares ont été convertis pour 96 projets. Ce compte-rendu précise également qu’une zone de 7.060,979 ha a été prescrite pour un reboisement compensatoire avec un fonds de 380.370.000 Rs versé par les organismes utilisateurs. Des 380.370.000 Rs, seuls 20.310.000 Rs ont été utilisés pour le reboisement compensatoire, ce qui ne représente que 6% du fonds mis à disposition. Le CAG a indiqué que 67 projets et 5.340,197 ha n’étaient absolument pas couverts dans le cadre du reboisement compensatoire à l’époque. Les raisons de déficit ont été signalées par le responsable de la Division des forêts comme un défaut d’attribution de fonds pour les 64 projets. Une autre raison repose sur le fait que dans un cas la zone non forestière n’a pas été transférée, et dans deux cas le reboisement compensatoire n’a pas été réalisé malgré la disponibilité des fonds (CAG, 2007).
Il faut examiner les années de débat autour du reboisement compensatoire, de l’application des mécanismes institutionnels pour les fonds et de la mise en place de nouveaux mécanismes d’évaluation de la valeur des forêts pour comprendre comment les agences impliquées s’occupent des questions de détérioration forestière et de dédommagement. Afin de se pencher sur le noyau du problème, l’analyse des processus judiciaire, exécutif et législatif conduisent à des résultats spécifiques :
1. L’un des premiers enjeux concerne les débats ayant eu lieu tout au début à la Cour suprême. Toute activité de reboisement compensatoire doit avoir une durée déterminée, puis un délai doit être fixé pour l’achèvement du reboisement compensatoire, ce qui n’a jamais été mis en œuvre. Le tribunal avait également déclaré que la responsabilité du reboisement doit être étendue aux organismes utilisateurs plutôt qu’au département des forêts. Dans un système antérieur, l’organisme utilisateur aurait déposé les fonds au gouvernement étatique ; aujourd’hui, il les dépose à la CAMPA ad hoc. C’est ici que s’arrête sa responsabilité, et c’est le département des forêts qui est dans l’obligation d’effectuer le reboisement compensatoire et toute autre activité de conservation utilisant le fonds de la VAN. Le tribunal avait également inscrit une mention essentielle liée à la nécessité d’une évaluation environnementale publique avant toute autorisation forestière. De même, ce point est resté sans suite.
2. Depuis l’époque de la mise en pratique du reboisement compensatoire, il apparaît que le seul paramètre quantifiable nécessaire à la décision du boisement compensatoire était « le terrain » de la zone forestière concernée. C’est sur cette base que l’étendue où entreprendre le reboisement compensatoire était déterminée. Les questions de perte de biodiversité, de moyens de subsistance et d’incidences culturelles n’étaient pas prises en compte au début, et très marginalement par la suite. Les calculs permettant de déterminer le coût d’un tel reboisement compensatoire étaient plus ou moins fixés par le coût des semis, le coût de la main-d’œuvre et d’autres éléments connus par expérience. Dans le cadre des délibérations de la Cour suprême, ces calculs sont toutefois devenus de plus en plus complexes alors que de nouveaux paramètres tels que les produits forestiers tangibles et les « services » forestiers intangibles étaient identifiés. Après avoir été déterminés, ils ont dus être convertis en unités qui permettraient à ces produits et services d’être facturés en termes monétaires.
3. L’expérience du reboisement compensatoire et les débats relatifs à celui-ci révèlent que les modèles d’évaluation du reboisement compensatoire, de la VAN etc. séparent habilement et de manière quelque peu hypocrite les conservateurs et les utilisateurs des forêts en deux groupes. Alors que les utilisateurs aspirent à modifier la nature des forêts par la construction et la déforestation, les conservateurs sont les départements des forêts qui peuvent donc prétendre aux fonds de reboisement compensatoire et à la VAN pour effectuer le reboisement. Bien qu’aucun des rapports ne présente forcément d’observation sur le sujet, leurs recommandations sont implicites dans la conclusion.
4. La conséquence la plus exceptionnelle et la plus spectaculaire des interventions juridiques et de l’exécutif sur le reboisement compensatoire a été le nombre d’institutions qu’ils ont engendré dans le but principal de gérer les fonds recueillis auprès des organismes utilisateurs ayant besoin d’une zone forestière pour démarrer leurs projets. Dans le système actuel, il existe trois groupes d’institutions. Premièrement, il y a l’organisme ad hoc CAMPA qui collecte et distribue l’argent destiné à la conversion des zones forestières. Dans chaque État, il y a aujourd’hui un CAMPA étatique créé exclusivement pour la recherche et la redistribution de fonds aux départements d’Etat des forêts. Enfin, il y a le conseil consultatif CAMPA fondé afin de contrôler la totalité des encaissements et des dépenses. Mais, la question des transferts de fonds et de leur application reste un sujet de désaccord entre les gouvernements central et étatiques.
5. Les délibérations portant sur l’organisme CAMPA et la VAN ont limité les questions de mise en œuvre du reboisement compensatoire à une seule portant essentiellement sur les encaissements et dépenses relatifs aux fonds. Au cours des débats tenus à la Cour suprême, la question centrale concernant la non mise en œuvre du reboisement des terres et les raisons de ce problème étaient pratiquement absentes. Aucun des organismes, qu’il s’agisse des départements des forêts, de la Cour suprême et de son comité agréé, du MoEF ou du comité parlementaire, n’a prêté attention au caractère social d’une activité telle que le reboisement. Les facteurs qui rendent nécessaires de reboiser de plus en plus de zones, les réactions et les réponses des communautés habitant et dépendant de ces zone et les conséquences sociales d’un tel système ont été à peine abordés. Malgré l’encaissement d’importants montants financiers destinés au reboisement compensatoire et la création de mécanismes de dépense, les facteurs limitant le champ d’application du reboisement compensatoire – tels que les activités pour lesquelles le fonds est attribué, le manque de zones disponibles, le fait de limiter la conservation aux plantations, etc. – existent toujours.
Tout le débat de 1999 a débuté autour du fait que les fonds pour le reboisement compensatoire n’étaient ni collectés, ni dépensés par les États. A travers cette réforme institutionnelle, nous avons mis au point un nouveau moyen d’administrer les fonds. Cependant, les difficultés de dépense et de bon usage de ces fonds demeurent. Les fonds de la VAN sont utilisés pour les plantations, tandis que les fonds du reboisement compensatoire sont employés pour la réalisation d’infrastructures.
Récemment, les pouvoirs judiciaires et exécutifs ont constaté que le reboisement compensatoire n’était pas réalisé de manière satisfaisante. Malgré ces observations, la question clé de la conversion des forêts grâce aux autorisations forestières n’a jamais été traitée. Alors que les directives sont émises d’en haut, la disponibilité des zones à reboiser, les facteurs socio-économiques déterminant les possibilités de reboisement, le conflit sur les droits de propriété et plusieurs autres réalités du terrain sont intégralement abandonnées au personnel sur le terrain.
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, Índia
Mouvements sociaux et environnementaux en Inde et en Colombie
Lire l’article original en anglais: Can environment damage be mitigated? An analysis of schemes to compensate for the loss of forests in India
Traduction : Samuel Villeneuve
La chercheuse Manju Menon travaille sur les conflits entre environnement et développement en Inde. Elle est actuellement doctorante au Centre for Studies in Science Policy, JNU, New Delhi. Contact : manjumenon1975(@)gmail.com
Texto original