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Sodexo, champion du travail bas de gamme au Maroc

Agnès ROUSSEAUX

02 / 2011

Nordine travaillait au Maroc pour Sodexo, leader mondial de la restauration collective, depuis 2002. Début février 2011, il est licencié. Le motif ? Il a lancé une invitation aux autres salariés pour créer une section du syndicat de l’Organisation démocratique du travail (ODT). « On s’est présenté au ministère du Travail pour demander des explications. Il est licencié pour faute grave, mais impossible d’avoir plus de détails », raconte Mohammed Ennahili, membre de la direction du syndicat. Le cas de Nordine n’est pas isolé. « Si les salariés de Sodexo essayent de se syndiquer ou de s’organiser, ils sont licenciés. » Mohammed Ennahili coordonne une campagne pour dénoncer les violations du droit du travail par Sodexo.

Pour le gouvernement marocain, Sodexo n’est pas « socialement responsable »

Sodexo, implantée dans 80 pays, avec plus de 350 000 « collaborateurs », assure la restauration collective en entreprise. Parmi ses multiples activités : la stérilisation des instruments chirurgicaux, le tri et traitement des déchets, l’éducation nutritionnelle dans les écoles ou la dépollution des sites. 20 millions de « bénéficiaires » dans le monde « mangent » Sodexo. Au Maroc, les clients sont des sociétés - comme Alcatel, des écoles, des hôpitaux, des administrations, comme le ministère des Finances. Soit 20 000 couverts par jour dans une soixantaine de cantines. La société emploie officiellement 776 salariés marocains. « En réalité, le nombre de salariés atteint sans doute le double », estime Mohammed. L’entreprise ne titularise pas ses salariés, les laissant enchaîner les CDD.

Sodexo n’a pas obtenu le certificat pour les « entreprises responsables », décerné par les ministères de l’Emploi et de l’Industrie. Un certificat qui prouve qu’une société respecte les règles sur le travail des enfants ou le droit syndical. « À l’assemblée des actionnaires de Sodexo fin janvier, Pierre Bellon, fondateur et Président de Sodexo a répondu qu’il n’y avait pas eu d’élection des délégués du personnel, car personne ne s’était porté candidat », explique Mohammed.

« Les salariés mangent parfois les restes des clients »

Sodexo ne prend pas seulement ses aises avec le droit syndical. Elle n’attache que peu d’attention aux conditions de travail. « Les salariés travaillent 3 ou 4 heures supplémentaires par jour, sans être payés », s’indigne Mohammed. L’activité est organisée par tâches. Les salariés commencent à 7h le matin et partent quand le travail qui leur est assigné est terminé. Une mission impossible à réaliser en 8h, temps légal de la journée de travail.

Que fait le gouvernement face aux abus de l’entreprise ? « Le ministère du Travail est complice de cette situation. Ce qui compte pour eux, c’est créer de l’emploi. Ils disent que Sodexo participe au développement du pays. » Et qu’importent les conditions. « La multinationale n’a qu’une envie : augmenter son chiffre d’affaires. Et tant pis si ça crée de la misère. » Les salaires sont en dessous du minimum légal, situé autour de 2 200 dirhams (220 euros). 400 dirhams sont retirés du salaire brut sous forme d’« indemnités de restauration ». Une nourriture dont les salariés ne voient jamais la couleur. Une « simple écriture comptable », selon Mohammed, qui permet de baisser les salaires, alors que « les salariés mangent parfois les restes des clients ».

Une campagne internationale a été lancée il y a deux ans. Au Mexique, en France, au Brésil, aux États-Unis ou en République dominicaine, tous dénoncent les pratiques de Sodexo. Avec pour objectif de faire signer à la multinationale un protocole d’accord sur le droit salarial et syndical. Selon un rapport de Human Right Watch, aux États-Unis, la multinationale a « menacé, interrogé, et licencié des salariés qui tentaient de se syndiquer ». La campagne fait état de témoignages sur l’obligation de passer des tests de grossesse pour des candidates à l’embauche en Colombie.

Surveillance, harcèlement et pressions

En Guinée, des employés affirment qu’ils doivent manger dans une cafétéria séparée de celle des Européens et des autres étrangers. C’est ce que révèle un autre rapport, publié en janvier par une organisation afro-américaine, qui fait état de travailleurs « laissés en situation de pauvreté par une multinationale puissante », qui affirment « avoir subi ou constaté des pratiques de harcèlement, de pressions et de licenciements lorsqu’ils expriment leurs droits ». Pour Transafrica, le « modèle d’entreprise de Sodexo maintient les travailleurs dans la pauvreté et enferme leurs communautés dans des cycles de pauvreté apparemment sans fin ». Un diagnostic peu reluisant pour une entreprise qui se targue d’une politique sociale exemplaire.

Sodexo, dont les profits se sont élevés à près de 810 millions d’euros en 2009, affirme sur son site être guidée par des principes de « loyauté, respect de la personne, transparence, lutte contre la corruption et concurrence déloyale. » La soirée annuelle pour les salariés de Sodexo Maroc est ainsi « l’occasion de récompenser les équipes ayant fait preuve d’un réel Esprit de Service, d’un complet Esprit d’Équipe et avec un fort Esprit de Progrès »…

Un long combat syndical

ODT veut poursuivre l’entreprise devant les tribunaux, « pour stopper ce discours de mensonge ». Parmi les six principaux syndicats marocains, ODT, avec ses 12 000 adhérents, se revendique comme le seul en opposition au gouvernement. Au Maroc, le taux de syndicalisation se chiffre à 6%. Mais 62% des délégués syndicaux d’entreprise sont « SAS », « sans appartenance syndicale ». C’est-à-dire souvent désignés par les patrons. Chez Sodexo, comme ailleurs, les luttes pour le droit syndical au Maroc sont loin d’être terminées.

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