Les activités de l’association AFPAD (Pierrefitte)
Association Raconte-nous ton histoire
01 / 2011
L’Association pour la formation, la prévention et l’accès au droit (AFPAD) a été créée en octobre 2001 à Pierrefitte, dans le département de la Seine-Saint-Denis en France. Elle développe ses activités selon trois axes : l’accès au droit, la médiation sociale et l’éducation à la citoyenneté.
Les problèmes sociaux sont aussi des problèmes juridiques
L’AFPAD gère un point d’accès au droit qui accueille entre 2500 et 3000 personnes par an et fait l’objet d’une convention avec le Ministère de la Justice et le Conseil départemental d’accès au droit. Il s’agit d’un ensemble de permanences avec des professionnels du droit : avocats, juristes, notaires, écrivains publics. Tous ces services sont offerts gratuitement aux habitants pour les aider dans les difficultés qu’ils rencontrent au quotidien.
L’idée de mettre en place ce point d’accès au droit vient du constat que les problèmes sociaux et personnels des gens sont souvent inextricablement liés à des problématiques juridiques. Or, trop souvent, les travailleurs sociaux chargés d’accueillir et accompagner les gens ne tiennent pas compte de cette dimension et abordent la situation d’un point de vue purement social, ne serait-ce que faute des compétences nécessaires. Cela vaut par excellence pour les problèmes de plus en plus fréquents de femmes seules avec des enfants : elles sont traitées comme des cas sociaux davantage que comme des sujets de droit. Autrement dit, on ne prend pas la peine de leur expliquer qu’elles ont des droits, que dans le domaine familial et marital il y a en des lois qui s’appliquent et qu’elles peuvent faire valoir face à leurs ex-maris. Pour les migrants, et en particulier pour les femmes, se dire que l’on a des droits n’a rien d’évident. Au vu du système qu’ils ont connu dans leur pays, ces gens pensent qu’ils n’ont aucun droit, que le droit est réservé aux riches ou aux puissants (ou aux hommes).
Le point d’accès au droit de l’AFPAD vise dès lors à pallier l’absence d’articulation entre le social et le juridique avec des professionnels qui portent ces deux dimensions. Le message général que ce projet cherche à faire passer est que « tout le monde a droit au droit ».
La médiation sociale : un besoin criant
L’expérience du point d’accès au droit a mis en lumière un problème plus large, qui est que les gens arrivent souvent non pas avec un seule problème, mais avec des « valises de problèmes ». Ils viennent pour parler d’un sujet particulier, mais en les écoutant, on se rend compte qu’ils ont de nombreux problèmes. Là encore, c’est le cas notamment pour les femmes seules avec leurs enfants : elles ont des problèmes d’argent et de travail, des problèmes pour gérer leurs enfants et communiquer avec eux, des problèmes pour communiquer avec les institutions… Or il y a très peu d’institutions qui puissent prendre en charge la situation des gens dans sa globalité, en analysant les différents problèmes pour les prendre un par un. Quand les gens arrivent à la mairie, par exemple, on leur demande quelle est leur demande et on les redirige ensuite vers le service approprié : service social, service logement, etc. Lorsque des gens arrivent avec leur détresse et leurs difficultés, et qu’ils ne connaissent pas bien le système administratif, ils ont le sentiment de ne pas être compris et d’être baladés de droite à gauche, perdus dans les rouages des institutions. C’est une source de tension et d’agressivité entre les usagers et les institutions.
Les habitants arrivaient donc au point d’accès au droit en se plaignant de leurs assistantes sociales, du service logement, etc. Parfois, c’est parce qu’ils ne connaissent pas la réalité de la société : ils se plaignent de ne pas obtenir de logement social, mais ils ne connaissent pas les conditions d’attribution, ils ne savent pas qu’il y a une énorme liste d’attente et très peu de nouvelles constructions. Ils pensent être victimes de discrimination alors qu’il s’agit d’un problème qui touche la société dans son ensemble.
L’AFPAD a dès lors essayé de nouer des liens avec les institutions afin de constituer un espace de médiation pour tâcher d’accueillir les différents conflits qui caractérisent notre espace urbain – conflits entre habitants et institutions, mais aussi entre habitants, entre locataires et bailleurs, entre jeunes et policiers, entre famille et école, etc. Lorsqu’un habitant a un problème avec le service logement, par exemple, il n’a personne à qui s’adresser à part la mairie elle-même, qui est juge et partie. À l’inverse, des institutions qui ont des difficultés avec des usagers n’ont personne vers qui se tourner non plus pour les aider. C’est une caractéristique de la société française dans son ensemble : on est dans un face-à-face permanent, sans tiers vers qui se tourner pour aider à résoudre les problèmes. Dans un collège, un enfant qui est tout le temps sanctionné, exclu, n’a jamais affaire à personne d’autre que son Conseiller principal d’éducation, ses professeurs. Idem pour un jeune face à la police, ou un habitant face à sa mairie. Ce face-à-face permanent crée des frustrations et de la tension, un sentiment de discrimination et d’injustice.
L’AFPAD essaie donc de créer un espace qui soit vraiment impartial, sans préjugés en faveur de l’une ou l’autre partie, afin de permettre aux gens d’exprimer leur point de vue, de faire en sorte que chacun comprenne le problème de l’autre et la cause de sa colère, ou comprenne pourquoi il n’est pas facile d’obtenir un logement social, qu’il y a des règles, et que ce n’est pas forcément la faute du responsable du service logement. Cela permet de prévenir les conflits et de renouer des liens constructifs entre les gens, et entre les gens et les institutions. En ce sens, la médiation est constructrice de lien social.
Accompagner les enfants exclus du collège : le projet « Fil continu »
Le projet « Fil continu » constitue un bon exemple de cette démarche de médiation. Il est né du constat que face à des enfants qui posent problème, la seule réponse dont dispose un collège est de les exclure quelques jours, voire quelques semaines. Le problème est que laisser ces enfants traîner dans la rue quelques jours ne fait qu’aggraver leurs difficultés scolaires et leurs problèmes de comportement. Ces situations sont source d’incompréhension et de conflit entre les parents et l’école. Les enfants concernés ont le sentiment d’être des victimes et sont dans un rapport de vengeance vis-à-vis de l’école et de l’autorité. Cela a des répercussions pour les autres élèves et pour l’avenir des enfants exclus.
L’AFPAD a créé un espace pour accueillir ces élèves le temps de l’exclusion, intégrant cette dimension de « tiers » et de médiation sociale. Ce projet a été médiatisé, il a suscité beaucoup d’intérêt de la part d’autres villes et a fait récemment l’objet d’un livre (1). Les enfants restent de 8h à 15h30 et déjeunent sur place. Ils sont accueillis par une équipe pédagogique multidisciplinaire qui cherche à faire comprendre aux enfants le sens de la sanction qu’ils ont subie et à favoriser leur réintégration dans l’établissement scolaire, en expliquant notamment que l’école a sanctionné un comportement mais ne les a pas abandonnés en tant que personne.
Le projet est né d’un constat partagé au niveau de la commune par les différentes parties – tribunal pour enfants, commissariat, mairie, écoles. Le problème vient en partie du fait que l’Éducation nationale en général et les professeurs en particulier refusent, pour des bonnes et des mauvaises raisons, d’assumer entièrement leur responsabilité vis-à-vis de ces enfants. D’un côté, on dit qu’aller à l’école est obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans, mais de l’autre côté, on met dehors les enfants qui ont des problèmes. Ils disent qu’ils n’ont pas les moyens, ou encore qu’il est impossible de gérer une classe avec un ou deux perturbateurs. Mais un enfant est un tout, et l’école ne peut pas se contenter d’une responsabilité partielle. Il faut que les différentes instances (école, famille, etc.) travaillent ensemble et se concertent pour gérer les enfants, faute de quoi on ne fera que fabriquer des délinquants, avec pour seule réponse de baisser continuellement l’âge de la responsabilité pénale.
Les relations avec l’Éducation nationale n’ont pas toujours été faciles, surtout au début du projet. Initialement, les professeurs étaient opposés au projet parce que le lieu d’accueil était à l’intérieur d’un des collèges de la ville. Ils avaient vraiment beaucoup de mal à accepter que des élèves qui avaient été exclus par l’institution puissent « rentrer par une autre porte ». Certains professeurs ont fait valoir que l’exclusion était un moyen de dire aux parents « Prenez vos responsabilités ! ». Ce qui est légitime en théorie, mais ne signifie pas grand-chose en pratique quand ces parents sont des femmes seules qui font des ménages toute la journée et que ce sont les enfants qui traduisent, qui ouvrent le courrier, accompagne leur mère à la CAF… Un autre reproche adressé au projet était que Fil continu plaisaient trop aux enfants, qu’ils préféraient cela à l’école, alors que le but était de les sanctionner. Il s’agissait au fond d’un débat entre deux conceptions de la sanction. On a l’impression que pour certains professeurs, la sanction vise à faire « payer » les enfants en les faisant souffrir, alors que le projet Fil continu cherche plutôt à expliquer le sens de la sanction et à donner envie à l’enfant de s’intégrer dans la vie scolaire, de ne pas être agressif. Lorsque le projet a été médiatisé, les professeurs se sont sentis remis en cause dans leur travail. Ils ont du mal à accepter que d’autres acteurs puissent être porteurs d’une démarche pédagogique différente de la leur. Ceci dit, le projet a maintenant fait l’objet d’une convention au niveau départemental avec l’Inspection académique, et une cinquantaine de collèges ont manifesté leur intérêt pour le dispositif. Mais, au niveau national, l’Éducation nationale continue à fonctionner comme elle l’a toujours fait. Le Conseil général de Seine-Saint-Denis, en revanche, a intégré ce type de démarche dans sa politique départementale, avec les financements nécessaires. Un poste de médiateur a aussi été créé en partenariat avec le collège pour assurer la communication avec les parents, pour aider ces derniers à connaître et comprendre l’institution et ses règles.
En 2010, Fil continu a accueilli 154 élèves différents – certains sont venu deux fois et un très petit nombre est venu trois fois au cours de l’année. Seuls les élèves exclus pour plus de trois jours sont acceptés, car en deçà il n’est pas possible d’avoir un impact éducatif. La tranche 8h-11h30 est consacrée à un travail sur la langue – la plupart des enfants ont un niveau dramatiquement faible dans ce domaine, même après 7 ou 8 ans de scolarité. Or c’est une condition sine qua non de réussite personnelle, dans quelque domaine que ce soit. Ensuite vient l’heure du déjeuner (offert par le collège, ce qui a aussi provoqué des crispations). Alors qu’à la cantine, les enfants mangent en 5 minutes, à Fil continu ils restent une heure et demie à table, ce qui est l’occasion de discussions sur la sanction et son sens. Le repas est ainsi un moment très important qui permet de faire « sortir » beaucoup de choses. C’est l’un des pivots de la pédagogie du Fil continu, qui plaît particulièrement aux enfants. Toujours dans une démarche de médiation, certains professeurs ont été invités à partager ces repas, ce qui a eu un impact positif.
Pour les enfants qui effectivement aiment venir à Fil continu, des activités libres et ouvertes sont par ailleurs proposées les mercredis, samedis et pendant les vacances.
Éduquer à la citoyenneté
Le troisième axe de travail de l’AFPAD est l’éducation à la citoyenneté. Il s’agit de faire connaître la société – ses fonctionnements comme ses dysfonctionnements – à des enfants qui soit viennent d’ailleurs soit n’ont jamais eu véritablement la possibilité de connaître le monde extérieur. Connaître la société met ces enfants en position de construire leur avenir, en connaissant leurs droits et comment les choses marchent. Il s’agit d’un projet qui touche 3000 élèves d’écoles primaires et de collèges par an. Des avocats, médiateurs ou autres viennent intervenir dans des classes, appuyés par des outils pédagogiques, par exemple des expositions. Des visites sont organisées à l’Assemblée nationale, au commissariat, au tribunal, à l’Hôtel de Ville.
C’est là encore une manière de faire connaître et comprendre la loi, d’où elle vient et quel est son sens, alors que pour ces enfants la loi et la justice sont toujours vu comme injustes, des ennemis dont ils sont victimes. Ces visites leur permettent d’aller au-delà du côté négatif de la loi et de voir que la loi vise aussi à les protéger, à garantir le « vivre-ensemble ». On leur fait imaginer à quoi ressemblerait une société où la loi ne serait pas là pour protéger les faibles.
Cette démarche est importante car on constate sur le terrain que les enfants sont principalement influencés par deux « écoles » plutôt néfastes : l’école de la rue (les copains, la bande) et l’école des médias. L’école de la famille et des parents, l’école proprement dite de l’autre se retrouvent en position dominée ; leur influence est minoritaire. Il faut absolument inverser cette tendance. C’est pourquoi l’éducation au sens large (y compris la formation, le soutien à la parentalité…) doit constituer un investissement prioritaire pour les banlieues, où les jeunes représentent 30% de la population. Il s’agit là d’un potentiel immense, à condition que les décideurs politiques comprennent qu’il y a là une grande richesse. Mais c’est malheureusement le chemin inverse qui est emprunté, avec pour conséquence de transformer le potentiel à bombe à retardement.
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Ce texte fait partie du dossier « Migrations, interculturalité et citoyenneté », issu d’un ensemble de débats et de rencontres organisées dans le quartier de Belleville à Paris entre 2004 et 2009, avec des habitants (issus des migrations ou non) et des représentants de diverses institutions présentes sur le quartier. Les textes proposés dans le dossier reprennent les principaux points saillants de ces discussions, dans le but d’en partager les leçons. Le présent texte n’est toutefois pas issu de ce processus. Il a été inclus dans ce dossier à titre d’exemple d’approches parallèles des enjeux abordés dans le dossier.
Entretien avec Hibat Tabib réalisé le 3 février 2011 par Marielena Salazar et Faranguis Habibi.