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Nouvelle dimension de la malédiction des ressources naturelles en Asie

Le problème des accords et la détérioration de la démocratie aux Philippines - Partie 1

Kurita Hideyuki

06 / 2010

Introduction

Les ressources naturelles sont-elles une « bénédiction » ou une « malédiction » ? Cette question est récurrente depuis l’époque préhistorique. Parce que les ressources naturelles servent au commerce et à la production aussi bien qu’à la diplomatie et aux armes, beaucoup de gens les ont considérées comme une bénédiction. De plus, en raison de la détérioration de la qualité des gisements et de l’accroissement rapide de la demande provoqué par l’expansion de l’économie, un développement à grande échelle de ces ressources s’est trouvé justifié.

D’autre part, les ressources naturelles ont toujours été le facteur crucial d’évènements mondiaux négatifs : la colonisation, les deux guerres mondiales du XXième siècle, le nationalisme des industries pétrolières et minières dans les pays en développement qui a conduit à la dépression économique des années 70 et également l’invasion américaine de l’Afghanistan et de l’Irak. En outre, la richesse en ressources naturelles s’est trouvée liée à la stagnation économique, l’autoritarisme et la dictature, la corruption, la guerre civile et la pauvreté au niveau national ; la plupart des gens qui vivent près de ces ressources n’ont pas pu en profiter mais ont été obligés d’accepter la destruction massive de leur environnement, leur déplacement, la violation des droits de l’homme, en particulier les opposants ou les pétitionnaires qui se mobilisaient contre ce développement à grande échelle de l’exploitation des ressources naturelles. Pour tous ceux-là, l’abondance de ressources naturelles était encore une malédiction plutôt qu’une bénédiction.

Bien qu’une organisation du développement durable dans le domaine minier ait été construite il y a plus de dix ans à l’intention des pays en développement, la plupart des pays au sous-sol riche sont encore prisonniers d’une société instable et destructrice. Les Philippines sont un de ces pays. Après la politique de libéralisation accompagnée de l’institution d’un cadre pour le développement durable de l’industrie minière qui soutenait le renforcement de la démocratie, les énormes investissements des firmes transnationales minières ont été systématiquement à l’origine de nombreuses et graves violations des droits de l’homme, sur chaque grand projet d’exploitation, et cela continue.

1/ Comment éviter la malédiction des ressources naturelles ?

Dans les dernières décennies, l’habilitation, la participation et la démocratie ont été invoquées conjointement pour combattre l’effet destructeur de l’industrie minière. Des études sur la malédiction des ressources naturelles ont rendu évidente la corrélation entre la nature de l’industrie des ressources naturelles, y compris l’industrie minière, et une société anti-démocratique (1). De plus les études sur une industrie minière durable se concentrent sur la conduite du projet d’exploitation minière, spécialement le manque de participation de la population locale à ce projet (2). Bien que toutes ces études considèrent que ces valeurs jouent un rôle crucial pour une exploitation minière durable et pour la stabilité sociale ou le développement, dans les pays en développement, le gouvernement, y compris son échelon local n’a pas assez d’incitations et de capacité pour mettre en œuvre et faire fonctionner une organisation démocratique.

Dans ces conditions devons-nous attendre pour le développement des mines dans les pays en développement que ceux-ci aient construit assez de démocratie ? Non. La clé pour résoudre ce problème est le contrôle des firmes transnationales minières et des agences internationales de financement. Leur forte influence sur les gouvernements des pays en développement et leur réglementation stricte peuvent et doivent renforcer l’intervention des populations locales et mettre en place une procédure démocratique du développement des mines.

2/ L’organisation d’une extraction minière durable

Les Philippines ont été l’un des premiers pays où a été mis en place le dispositif de développement soutenable des mines tel que l’envisageaient les institutions internationales comme la Banque mondiale, le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) et la Banque asiatique de développement. Après des négociations entre le gouvernement et ces institutions, puis avec des firmes transnationales du secteur et aussi quelques gouvernements étrangers — Australie, Canada et Etats-Unis — les Philippines ont mis en œuvre la loi de 1995 sur les mines qui ouvrait l’industrie minière aux transnationales. Dès avant, et après l’application de la Loi sur les mines, des préoccupations sérieuses quant à la destruction de l’environnement, la répartition inégalitaire des bénéfices et la violation des droits de l’homme, ont été exprimées par des ONG nationales et internationales. Par conséquent, la loi fut mise en rapport avec de nombreuses lois de la démocratie et du droit local qu’il fallait renforcer, en particulier dans le cas des projets miniers, pour accroître la participation des populations concernées de manière à les protéger des effets négatifs et les faire participer aux bénéfices de l’exploitation des mines, ce qui définit un dispositif pour un développement durable du secteur minier.

L’organisation envisagée pour ce développement est composée de six sous-organisations concernant respectivement :

  • a/ les réglementations directes et indirectes comme les normes d’émission totale ou la fiscalité ;

  • b/ l’évaluation de l’impact environnemental ;

  • c/ le gouvernement local (l’autonomie locale) ;

  • d/ les peuples indigènes ;

  • e/ la participation des populations concernées ;

  • f/ la réglementation interne du type « bonnes pratiques ».

La mise en place des cinq premiers dispositifs dépend de la gouvernance du pays où prend place le projet et le fait est qu’il est rare qu’un gouvernement de pays en développement s’engage suffisamment pour bien le gérer, étant donné le caractère anti-démocratique des structures sociales basées sur des rapports de clientélisme, le manque de compétence administrative, des préjugés forts contre la population locale et une discrimination à l’égard des peuples indigènes. Par ailleurs, l’énorme endettement du gouvernement fait inévitablement et fortement pression pour choisir les projets pour les bénéfices qu’ils apporteront non pas à long terme mais à court terme, sans tenir compte vraiment des habitants et de l’environnement.

Toutefois, le comportement boiteux du gouvernement comme développeur n’est pas celui de la plupart des firmes transnationales du secteur minier. Tout d’abord ces firmes raisonnent plus sur les bénéfices à long terme que ne le fait le gouvernement ; ensuite, la plupart de ces grandes entreprises dépendent encore principalement de mines et de raffineries situées dans les pays développés, malgré les investissements importants qu’elles ont fait récemment dans les pays en développement. En outre la stratégie désespérée qu’elles ont menée pour « changer d’image », avec un effort vigoureux de recherche et d’améliorations techniques, sous la pression du mouvement anti-exploitation minière dans les pays développés, leur ont fait modifier leurs propres règles — leurs « bonnes pratiques » — en y ajoutant des dispositions plus strictes même que la réglementation légale des pays développés. Ainsi les « bonnes pratiques » disqualifient-elles la réglementation dans les pays en développement. Le problème de la gouvernance dans ces pays perd lui-même toute signification pour le développement durable dès lors que ce type de règles est mis en œuvre par les transnationales du secteur minier.

3/ La libéralisation : effets et réactions

Après la promulgation de la loi sur les mines en 1995, nombre de transnationales du secteur minier, d’Australie, du Canada ou des États-Unis, se sont précipitées vers les Philippines pour ouvrir des mines d’or, de cuivre et de nickel. Dans la seule année de la promulgation plus de 100 projets avec participation des transnationales — ce qu’on appelle Accord d’assistance technique ou financière — et plus de 1400 projets sous contrôle national — ce qu’on appelle Accord de partage de production minière — la plupart financés par des transnationales, ont été soumis au gouvernement philippin. Si tous les projets devaient être acceptés par le gouvernement, presque la moitié des terres de tout le pays devrait être couverte par une concession minière.

Bien que la plupart des provinces soient concernées par des demandes d’ouverture de mines, la région Cordillera et Mindanao où vivent beaucoup d’autochtones et de musulmans sont devenues la zone de concentration des projets d’exploitation minière. Compte tenu de ce que beaucoup de leurs ancêtres et parents ont déjà sérieusement souffert des projets développés dans cette région au cours de la période coloniale dans cette activité, la plupart d’entre eux ne peuvent pas croire que des mines à grande échelle soient bénéfiques pour leur vie à eux et sont absolument persuadés qu’elles vont détruire leur existence (3). Presque tous les gens du lieu ont pensé que le gouvernement était du côté des transnationales et que, donc, il n’y avait pas moyen de s’opposer au projet par le biais d’une procédure légale. C’est pourquoi, lorsque les gens ont eu connaissance d’un projet minier sur le territoire où ils vivaient, beaucoup d’entre eux se sont tournés à nouveau vers les mouvements communistes qui sont les seules agences et réseaux à leur disposition pour s’opposer au projet (4). En fait la guérilla communiste (la NAP, Nouvelle Armée du Peuple) lançait si souvent des appels dans les journaux qu’ils pouvaient trouver des supporters en nombre sur le site de leur mine (5).

BAYAN (Bagong Aylansang Makabayan), un groupe national d’ONG de tous secteurs qui est issu du mouvement communiste a réussi à construire un vaste et puissant réseau avec ceux qui s’opposent à ces activités minières à grande échelle tant au niveau national que mondial. Après la loi sur les mines, BAYAN a commencé à organiser un vaste réseau contre cette industrie avec les opposants locaux et les ONG locales ou internationales. Leur organisation s’est développée dans presque toute la zone où s’exerce ce type d’activité minière, entraînant des obstacles non négligeables aux projets miniers. De plus, les médias, les groupes religieux, les ONG locales ou étrangères engagées dans les questions d’environnement, de droits de l’homme et de droits des peuples autochtones lancèrent aussi des mouvements d’opposition très durs. Alors, dans toutes les Philippines, se répandit une forme extrême de violation des droits de l’homme : l’exécution extra judiciaire ou l’assassinat politique.

Les exécutions extra judiciaires (des meurtres) et les assassinats politiques aux Philippines furent déclenchés par l’opération « Guerre à la terreur » qui donna aux services publics de maintien de la paix et de l’ordre comme la police ou l’armée, et aux politiques locaux la justification pour agir contre ceux qui étaient suspectés de terrorisme sans attendre un jugement. La plupart des victimes de ces exécutions extra judiciaires sont des responsables de BAYAN, tout particulièrement ceux qui étaient engagés dans les mouvements anti-corruption et anti-projets gouvernementaux. Depuis peu, le groupe de BAYAN a vu augmenter le nombre de ses sièges au parlement national, phénomène assez dérangeant pour les politiciens traditionnels (6). Après l’opération « Guerre à la terreur » et la montée des exécutions extra judiciaires, les politiciens traditionnels ont eu de bonnes conditions pour harceler leurs opposants par l’intermédiaire de la police, de l’armée et même des bandits. Même si le gouvernement reconnaît lui-même que des exécutions sans jugement ont été accomplies par l’armée, le nombre des victimes reste vague et aucune évaluation sérieuse n’a été faite jusqu’ici. Le Rapporteur spécial du Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies en a comptabilisé 220 en 2006, 94 en 2007 et 64 en 2008 (7). KARAPATAN, une ONG philippine des droits de l’homme fait état de beaucoup plus de victimes : 1190 exécutions sans jugement (dont 470 membres de BAYAN) et 205 disparitions forcées (dont 68 « BAYAN ») entre janvier 2001 et mars 2010 (8)1. Si nous essayons d’inclure la violation du droit à la justice, des milliers de personnes et plus devraient être comptabilisées comme victimes.

Peut-être, quelques-unes des victimes ci-dessus n’ont-elles pas été tuées pour des raisons politiques mais pour des affaires personnelles. Encore faut-il remarquer que ces exécutions extra judiciaires facilitent les meurtres non politiques dans tout le pays. Quoique une petite partie seulement des victimes soit liée au conflit sur l’exploitation minière à grande échelle, nous pouvons traiter ce phénomène national de recul de la démocratie comme un effet négatif de cette activité et cela pour les raisons suivantes :

  • a/ la campagne contre les projets miniers d’envergure est une des actions centrales de BAYAN ;

  • b/ la structure anti-démocratique, corruption comprise, est un des principaux effets structurels de la malédiction des ressources naturelles ;

  • c/ toute la zone des projets miniers a de mauvaises performances en matière de démocratie, du type exécutions extra judiciaires avec militarisation et procédures illégales, spécialement dans la conclusion des accords.

1 La malédiction des ressources naturelles a d’abord été analysée comme un phénomène de stagnation économique ou de développement lent mais une définition plus large est venue ensuite, intégrant ses effets négatifs au plan social. Dans cet article, j’ai traité de la malédiction des ressources naturelles dans son acception large, non seulement comme dépression macroéconomique mais aussi comme instabilité sociale incluant le conflit, les guerres civiles, la destruction de l’environnement et la pollution, l’autoritarisme, la corruption, la violation des droits de l’homme, etc. qui vont de pair avec l’exploitation des ressources naturelles. Pour l’étude de cette corrélation voir Michael L. Ross, Extractive Sectors and the Poor, Oxfam America, 2001 ; Philippe Le Billon, Fuelling War: Natural resources and armed conflict, Routledge, 1995 ; Kiminori Matsuyama, « Agricultural productivity, compara-tive advantage and economic growth », Journal of Economic Theory, 1992, Vol. 58 ; Paul Collier, Anke Hoeffler, Greed and Grievance in Civil War, Oxford University, Center for the Study of African Economies, Working Paper 2002-01 et Democracy and Resource Rents, Global Poverty Research Group, 2005 (www.gprg.org/) ; Robert Wade, « East Asia’s economic success: Conflicting perspectives, partial insights, shaky evidence », World Politics, Vol. 44, N° 2, 1992.
2 UNEP, APELL (Awareness and Preparedness for Emergencies at the Local Level) for Mining (Technical Report N° 41), 2001 ; Turlough L. Guerin, « Self-regulation as an opportunity for sustainability », Mining Environmental, Management, mars 2000 ; Olivier Bomsel et alii, « Is there room for environmental self-regulation in the mining sector? », Resources Policy, Vol. 22, 1996.
3 Sur l’histoire des mines et de leurs problèmes aux Philippines voir : William H. Scott, The discovery of the Igorots, New Day, 1974 ; Salvador P. Lopez, Isle of Gold ; History of Mining in the Philippines, Oxford University Press, 1992 ; Howard T. Fry, A History of the Mountain Province, New Day, 1983.
4 Dans les zones rurales des Philippines, beaucoup de gens ont ou ont eu l’expérience de relations avec la guérilla communiste du temps du régime Marcos et pendant la seconde guerre mondiale.
5 Voir le journal Today du 4 janvier 1997.
6 A partir de 1998, les Philippines ont introduit un système de liste pour les élections nationales et nombre de partis chapeautés par BAYAN ont obtenu des sièges au parlement. Les élus de ces partis font peser une contrainte dure sur les politiciens traditionnels fortement soumis à la corruption et au clientélisme, en déposant de nombreux projets de loi anti-corruption.
7  Le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies fit aussi état de victimes des « tribunaux populaires » du NPA, le groupe communiste armé. Pour le rapport du Conseil des droits de l’homme sur les exécutions extra-judiciaires voir le site de l’OHCHR.
8 Karapatan Monitor, Janvier–Mars, 2010.

Lire la suite : Partie 2

Palavras-chave

recursos naturais, gestão de recursos naturais, direitos humanos, violação dos direitos humanos, indústria minéria, liberalismo, governança


, Filipinas

dossiê

Revue Informations et Commentaires : le développement en questions

Notas

Kurita Hideyuki est professeur associé, Université Ehime, Matsuyama, Japon.

Fonte

Informations et Commentaires, n° 151, avril – juin 2010

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