Pour un développement durable et équitable
Centre for Education and Documentation
08 / 2010
L’Inde a toujours vanté son potentiel de génération électrique éolien, de la petite hydroélectricité et de la biomasse estimé autour de 80.000 MW. Ainsi, Suzlon Energy construit à Dhule, au Maharashtra, la plus grande ferme éolienne du monde avec une capacité de 1.000 MW.
De son côté, le Ministère des sciences et des technologies, alors qu’il pilotait la loi sur la responsabilité nucléaire (Nuclear Liabilities Bill), visait à ouvrir la voie à davantage d’énergie nucléaire, arguant que la production de la même quantité d’énergie par des sources renouvelables comme le solaire, confisquerait de très grandes surfaces de terre. Pour le gouvernement indien et les entreprises, les grands projets centralisés restent donc la solution de l’avenir.
Kapil Mohan, du Ministère de l’Énergie, admet cependant que l’augmentation de la production décentralisée réduirait de manière significative les émissions de gaz à effet de serre (GES). Le Ministère a publié des recommandations pour l’électrification des villages via la production décentralisée sous le projet Rajiv Gandhi Grameen Vidyutikaran Yojana (plan Rajiv Gandhi d’électification des villages) en janvier 2009.
Actuellement, des travaux ponctuels sont effectués par des ONG pour mettre en place des systèmes d’énergie décentralisée. Cependant, sans l’engagement total et sincère du gouvernement, la tâche est difficile. T. Gangadharan de la Kerala Sasthra Sahithya Parishad (Association du Kerala pour la Science, KSSP) a partagé son expérience au Kerala, qui a vu de nombreux projets démarrés avec enthousiasme mais abandonnés en raison de plusieurs lacunes. A en juger par ce qui s’est passé pour des projets de micro-hydroélectricité qui avaient demandé le soutien du gouvernement, Gangadharan pense que s’adresser à l’État revient à s’attirer des ennuis.
Au début des années 90, dans la région isolée d’Alacode, des militants sociaux ont installé un système de production électrique de 10 KW sans informer ni chercher le soutien des autorités gouvernementales. Le système n’a rencontré aucun problème et approvisionne aujourd’hui 50 familles. A l’inverse, l’initiative de l’assemblée villageoise (gram panchayat) de Karimba visant à mettre en place un système micro-hydroélectrique à Meenvallam, dans le district de Palakkad, a tourné court. Ils se sont adressés au centre de technologie rurale intégrée, l’unité de recherche de la Kerala Sasthra Sahithya Parishad pour un soutien technique. Le centre a estimé le site approprié et une société a été créée et enregistrée par le panchayat du district de Palakkad pour mettre en Ĺ“uvre ce projet devant générer 3 MW pour un coût de 100 millions de roupies. Dix ans ont passé mais le projet n’est toujours pas terminé en raison de délais dans les aides financières et l’octroi de terres pour la construction de la petite centrale.
INECC et la campagne pour les énergies décentralisées
Le réseau indien sur l’éthique et le changement climatique (INECC), une large coalition d’ONG, défend l’énergie décentralisée pour plusieurs raisons :
l’énergie conventionnelle n’a toujours pas atteint les communautés marginales pour qui l’énergie est également essentielle à leur subsistance
les systèmes d’énergie décentralisée (SED) offrent une opportunité de contrôler et de gérer l’énergie localement
les SED permettent d’adopter une approche alternative pour le développement dans des contextes micro.
Dans un entretien avec le CED, Ram Subbramanian, un ingénieur ayant monté plusieurs projets de micro-hydroélectricité en milieu rural et tribal en Andhra Pradesh et en Orissa, affirme que les systèmes d’énergie décentralisée atteindront mieux les populations et les zones non connectées au réseau national. Ces systèmes sont plus inclusifs car les communautés locales peuvent être impliquées dans le processus de mise en place et de gestion. Extraits :
CED : En quoi les systèmes d’énergie décentralisés sont-ils inclusifs ?
Ram Subramanian: Dans le cadre du réseau national, l’utilisateur final est complètement hors champ. L’électricité est produite quelque part et est transmise par divers mécanismes. L’usager n’a aucune idée de son origine, ni de son coût de production ni de son impact écologique. En conséquence, la plupart des usagers n’utilisent pas l’énergie de manière judicieuse.
Tandis que dans un système décentralisé, si vous avez, par exemple, un système d’énergie solaire dans votre maison, vous savez quelle quantité vous produisez et vous connaissez votre consommation exacte. Cela crée un sens de la responsabilité pour un usage judicieux de l’énergie. De plus, les systèmes d’énergie décentralisée sont efficaces. Dans un système de réseau national, vous produisez l’électricité quelque part à coût élevé et la transmettez sur de longues distances. Il y a une perte d’énergie de 40% pendant la conversion et la transmission de l’énergie. C’est l’un des systèmes les moins efficaces au monde. Le système décentralisé est plus équitable, chacun dans le village reçoit une énergie égale.
Nous avons observé que dans de nombreux endroits où nous avons des projets de micro-hydro-électricité, la population améliore le système à sa façon. Elle développe un sens de la propriété et prend soin des systèmes. Il ne s’agit pas que d’électricité mais aussi de développement.
Mais les systèmes décentralisés ont aussi leurs limites. La capacité de production est limitée, donc il faut être plus discipliné dans l’usage de l’énergie. Il faut aussi planifier. Par exemple, si vous voulez un système hydro-électrique vous ne pouvez pas augmenter le volume. Après 10 ans, vous ne pouvez pas installer un autre courant d’eau pour générer plus d’électricité. Les systèmes solaires eux ne connaissent pas ces limitations, vous pouvez ajouter un panneau après l’autre. De même avec le biogaz, vous pouvez ajouter plus de matières organiques.
CED : Qu’entendez-vous par micro-hydroélectricité ?
Ram Subramaniam : La micro-hydroélectricité signifie que nous ne stockons pas l’eau au fil des saisons, les réservoirs ne servent qu’à la diversion de l’eau. La micro-hydroélectricité peut produire jusqu’à 1 MW, ce qui est très différent des systèmes hydro-électriques. Cela fait 50 ans qu’on l’utilise. Elle a été popularisée au Népal où elle s’est développée. Au début, elle était utilisée pour générer de l’énergie mécanique afin de moudre le blé et pour la menuiserie.
Un système micro-hydroélectrique se compose d’un barrage qui détourne l’eau d’un ruisseau, d’un canal d’amenée qui conduit l’eau vers un bassin de compensation, d’une conduite à travers laquelle l’eau va du réservoir à la centrale et de la centrale proprement dite.
Dans la centrale, une turbine ou une pompe est entraînée par l’eau qui coule via la conduite. La turbine ou la pompe font fonctionner le générateur qui produit l’électricité. Un contrôleur de charge électronique produit un système triphasé équilibré. L’éclairage public peut alors être installé dans les villages, et des lampes et prises électriques dans les maisons. Ce système est viable y compris dans les petits villages isolés. Dans la plupart des cas, nous avons réutilisé de petits barrages existant pour fournir l’eau. Nous avons expérimenté de simples pompes pour générer l’électricité, rendant ainsi la technologie très accessible. Deux membres de la même communauté villageoise sont formés dans les opérations et l’entretien de base de la centrale.
L’électricité est généralement disponible 24 heures sur 24, contrairement aux systèmes solaires ou éoliens, car l’eau est disponible en permanence. Vous pouvez la stocker et l’utiliser. Comparée aux autres technologies, la micro-éhydroélectricité demande peu d’entretien, a de faibles coûts et dure longtemps. Mais elle ne peut être mise en place que dans les zones où il y a un gradient suffisant. La puissance électrique générée dépendra de la hauteur et de la quantité d’eau. La quantité d’électricité que l’on peut obtenir de la micro-hydroélectricité est fixe et peut souffrir de variations saisonnières.
Un système micro-hydroélectrique convient bien aux zones montagneuses car on a besoin d’une pente naturelle, l’eau tombe d’une certaine hauteur pour faire tourner la turbine. Ces 15 dernières années, j’en ai mis en place en Orissa, en Andhra Pradesh et dans les Ghâts orientales. Nous les appelons des systèmes hydro-communautaires car les communautés les gèrent. Ces 10 dernières années, nous avons mis en place 10 unités en Andhra Pradesh.
Un système d’une capacité d’1 KW coûte environ 150.000 roupies, donc un système de 10 KW coûtera 1,5 million. D’ordinaire, 80% de l’argent provient d’une subvention, 20% de la contribution de la population locale sous forme de travail. Avant de commencer un projet, nous mettons généralement en place un comité d’électrification villageois qui prend diverses décisions relatives au travail, gère le système et collecte les droits qui reviennent à 50 roupies par mois par famille. L’argent est déposé sur un compte en banque. Lorsqu’il faut remplacer des pièces ou qu’il faut acheter de l’huile, ou autre, cet argent est utilisé.
CED : Comment faites-vous pour réaliser un travail aussi technique que l’installation d’un système micro-hydroélectrique tout en impliquant la communauté ?
Ram Subramaniam : Nous commençons par identifier un lieu et étudier sa topographie, ce qui nous donne une idée de la quantité des précipitations. Nous discutons alors avec les villageois sur la possibilité de construire un système micro-hydroélectrique. S’ils sont d’accord, nous signons un accord avec eux où ils acceptent formellement de soutenir et de mener à bien le projet. L’ONG envoie alors des ingénieurs et un comité villageois est formé.
Le principal point de départ pour développer l’énergie est d’aller dans un lieu et d’y étudier les sources disponibles. Par exemple, y a-t-il un cours d’eau ? Est-ce un endroit ensoleillé ? Y a-t-il une couverture forestière ? Etc.
Les besoins énergétiques sont toujours là. Mais nous devons étudier les diverses formes d’énergie utilisées et comment elles sont reliées aux sources. Combien de kilo de bois, combien de lampes ? Quelle sont les priorités ? De la lumière, ou bien une machine pour moudre : décortiqueuse de paddy, moulin à farine, moulin à huile… Ce n’est qu’alors que nous évaluons dans quelle mesure une nouvelle source comme l’hydro-électricité est nécessaire. L’idée n’est pas de remplacer le cycle ou les cycles énergétiques efficaces existants, mais d’ajouter l’électricité au système énergétique existant. C’est une approche que la science moderne trouvera difficile à accepter car cette dernière ne cesse de créer des produits qui rendent les gens toujours plus dépendants de l’électricité. Son système de planification a pour point de départ une demande d’énergie, puis les scientifiques planifient afin de produire cette quantité d’énergie généralement sous forme d’électricité ou de carburant, enfin les techniciens restructurent la région pour rendre cela possible.
CED : Si c’est la solution, des mécanismes de marché comme le MDP peuvent être certainement utilisés pour la financer
Ram Subramaniam : Puisque vous me posez la question, selon moi, le MDP est un prétexte que les pays développés utilisent pour continuer à faire ce qu’ils font. Je pense que le MDP est éthiquement injuste car il permet de continuer à émettre des tonnes de CO2 dans l’atmosphère tout en affirmant que l’on soutient, par exemple, un projet à Putsil (Orissa) qui économise 100 tonnes d’émissions de CO2 par an. On voit des consultants de MDP partout. C’est devenu une manière de financement. Ainsi, des fabriques de sucre réalisent plus de profits grâce au MDP que par leur activité propre. Le MDP n’est pas une bonne approche pour les petits projets, mais il peut être efficace pour les grands projets.
L’approche de développement groupé
L’ONG Integrated Rural Development of Weaked Section in India (Développement rural intégré des sections les lus faibles en Inde, ou WIDA), qui est à l’origine du premier projet micro-hydroélectrique à Putsil en Orissa, fait partie des efforts d’INECC pour développer l’énergie décentralisée. Sa vision part de la conviction que le changement climatique est fondamentalement une question de développement, et non un problème de pollution. La décentralisation et la durabilité sont deux thèmes étroitement liés. INECC a développé le concept de réseau d’énergie renouvelable pour un groupe (« cluster ») de villages pour dépasser les questions d’opportunité locale, d’échelle, de transfert de technologie et de viabilité. Après le succès de Putsil, des études de faisabilité avec 20 organisations de 4 États tribaux (Nord de l’Andhra, Orissa, Chhattisgarh et Jharkhand) ont mis au point la méthodologie de l’approche groupée.
Un « cluster » est un groupe de villages situés à proximité et utilisant des technologies renouvelables. Les villages sont groupés à deux niveaux : géographiquement, une région qui est idéale pour la micro-hydroélectricité est aussi liée aux autres initiatives énergétiques des autres villages ; et techniquement, quand les conditions permettent d’établir et de standardiser ces technologies.
Un ensemble de technologies est planifié pour un groupe de villages en fonction des conditions locales. Cela inclut la lumière solaire (lanternes solaires LED), projets micro-hydroélectriques, et fours à bois améliorés. Ils sont ajoutés aux types d’énergie traditionnellement utilisés. Ces sources d’électricité, gérées et détenues par la communauté, assurent, avec les autres sources d’énergie, la sécurité énergétique pour les villageois. De plus, chaque projet répond à d’autres besoins. Les projets micro-hydroélectriques, par exemple, servent à récolter l’eau pour l’irrigation, ou bien à organiser l’activité économique d’une manière collective, comme la mouture du riz. Dans certains projets, les membres d’INECC ont mis en place une centrale solaire. Cela a permis de générer plus de puissance et de fournir une alimentation électrique sans coupure (UPS) et donc de l’électricité à 230 V pour le matériel électronique.
Conclusion
L’expérience d’INECC montre que les systèmes d’énergie décentralisés et communautaires permettent d’améliorer les conditions et moyens de subsistance des populations vulnérables qui ont jusqu’à présent été exclues du développement et sont les plus touchées par les effets du changement climatique, et de leur apporter un développement durable.
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, Índia
L’Inde et le changement climatique
Lire l’article original en anglais : Decentralising Energy Options as a response to climate change
Traduction : Valérie FERNANDO
Texto original
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