10 / 2010
Silvia Ribeiro synthétise les résultats de la Conférence mondiale des peuples sur le changement climatique et les droits de la Terre Mère, qui s’est tenue en Bolivie en avril dernier. L’Accord des peuples, né de cette rencontre, souligne la nature destructrice de l’agriculture industrielle, des agrocarburants et des nouvelles technologies telles que les transgéniques, les technologies {terminator ou de restriction génétique et les nanotechnologies.}
TIQUIPAYA, BOLIVIE – Plus de 3 500 personnes ont répondu à l’invitation de la Bolivie pour la Conférence mondiale des peuples sur le changement climatique et les droits de la Terre Mère (CMPCC) à Cochabamba du 19 au 22 avril derniers. Les participants sont venus de 142 pays des cinq continents, représentant mouvements sociaux et paysans, groupes autochtones, écologistes, pêcheurs et groupes de femmes. Outre les représentants des gouvernements de 47 pays, la conférence a rassemblé chercheurs, intellectuels, militants, artistes et musiciens de tous horizons. Au fil de la Conférence, les participants ont déployé leur énergie au sein des 17 groupes de travail mis en place par les organisateurs et des quelque 127 ateliers auto-organisés. Le Conseil national des ayllus et markas du Qullasuyu (CONAMAQ), l’une des principales fédérations autochtones boliviennes, a formé avec d’autres organisations le « Groupe de travail 18 », afin de débattre des enjeux jugés insuffisamment représentés dans le programme de la Conférence, comme le dialogue critique sur les projets miniers, gaziers et pétroliers.
La participation au Sommet a dépassé les attentes, en termes d’assistance comme de contenu des discussions, marquant un véritable succès historique dans le débat sur la crise climatique. Tandis que les gouvernements des grandes puissances manœuvraient à Copenhague, la Bolivie a servi de plateforme d’échanges aux mouvements sociaux et aux communautés locales du monde entier, leur permettant d’exprimer leurs points de vue et d’exiger qu’ils soient pris en compte par les gouvernements. La Conférence a également renforcé les connexions et interactions entre mouvements sociaux, marquant l’émergence embryonnaire de nouveaux réseaux mondiaux en réponse à la crise climatique. Selon l’opinion de la majorité des participants, l’important n’est pas de créer une nouvelle structure internationale mais plutôt de renforcer les flux d’interaction et la complémentarité entre les mouvements existants.
La conférence a posé les bases communes d’une analyse critique et de stratégies d’action face à la crise climatique, enrichies des diverses perspectives provenant des multiples cultures, peuples et organisations du continent et du reste du monde : l’Accord des peuples sur le changement climatique et les droits de la terre mère (pwccc.wordpress.com/).
Les discussions furent marquées par le rejet vigoureux et répété de l’Accord de Copenhague, élaboré par les pays qui sont les principaux responsables de la crise climatique et présenté en décembre dernier dans le cadre de la Conférence des parties (COP15) de la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC).
Les « engagements » cyniques pris à Copenhague impliquent une augmentation des températures de 4 degrés Celsius ; une catastrophe pour les peuples de l’hémisphère Sud. La CMPC, à l’inverse, cherche à mettre un terme au changement climatique global et à « décoloniser l’atmosphère », appelant les pays industrialisés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 50%. La CMPC refuse de reconnaître dans le mécanisme d’échange de crédits carbone une solution au changement climatique. Elle rejette également les mécanismes REDD, estimant que ceux-ci conduisent à l’aliénation de la gestion communautaire des forêts et encouragent la monoculture arboricole.
Au cœur de la critique de la CMPC se trouve la mise en accusation des causes réelles de la crise climatique. Selon les termes de l’Accord des peuples : « Nous sommes confrontés à la crise terminale du modèle de civilisation patriarcal, basé sur la soumission et la destruction des êtres humains et de la nature, crise qui s’est accélérée avec la révolution industrielle. Le système capitaliste a imposé une logique de compétition, de progrès et de croissance illimitée. Ce régime de production et de consommation recherche le profit infini en séparant les hommes de la nature, imposant une logique de domination de la nature et transformant tout en marchandise : l’eau, la terre, les gènes humains, les cultures ancestrales, la biodiversité, la justice, l’éthique, les droits des peuples, la vie et la mort. »
L’Accord des peuples condamne l’agriculture industrielle et les sociétés d’agrobusiness – directement responsables de la moitié des émissions causant la crise climatique – de même que tout mécanisme ou proposition qui tend à favoriser les sociétés transnationales et la dévastation de la Terre Mère. L’Accord cite plus particulièrement les accords de libre-échange, l’introduction des nouvelles technologies à risque telles que les transgéniques, les technologies terminator ou de restriction génétique, les nanotechnologies, la géoingénierie (la manipulation du climat) et les agrocarburants.
« Nous dénonçons la façon dont le modèle capitaliste impose des méga-projets d’infrastructure, envahit les territoires de projets extractivistes, privatise et commercialise l’eau et militarise les terres, expulsant les peuples indigènes et les paysans de leurs propres terres, s’imposant contre la souveraineté alimentaire, exacerbant les crises socio-environnementales. », déclare l’Accord.
La déclaration du « Groupe de Travail 18 » souligne des enjeux similaires et critique les politiques et les pratiques d’extraction et d’exploitation minière et d’hydrocarbures du gouvernement bolivien. La déclaration précise néanmoins que l’initiative n’était pas censée être « une tribune visant à décrédibiliser le gouvernement, ni à saper la légitimité d’une entité auprès de laquelle nous nous sentons proches… Il s’agit de reformuler des propositions qui permettent d’infléchir le cours du changement, en assumant la responsabilité de le défendre et de le protéger, comme le fait le mouvement social bolivien depuis de nombreuses années de lutte. »
La CMPC met également en avant des stratégies et des propositions telles que le recouvrement de la dette climatique, la création d’un Tribunal international de la justice climatique et la Déclaration universelle des droits de la Terre Mère. Le plus grand défi reste de mettre en œuvre la souveraineté alimentaire – basée sur les modes de vie et de production paysans, autochtones et locaux. En fin de compte, promouvoir la justice sociale et la biodiversité et retrouver un équilibre planétaire repose sur l’effectivité de la souveraineté alimentaire.
Toutes ces thématiques ceci – et davantage encore – seront abordées lors de la COP16 de la CCNUCC à Cancun, au Mexique, du 29 novembre au 16 décembre de cette année, où se tiendront les négociations officielles sur le climat. Cochabamba s’est résolument imposé comme un événement fondateur pour le mouvement contre la crise climatique, la société civile et les mouvements sociaux actifs autour du monde.
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, Bolívia, Cochabamba
Nouvelles technologies en Afrique
Pour en savoir plus sur le mouvement global sur le climat qui a émergé en Bolivie, visionnez Avi Lewis, hébergé par le programme ‘Fault Lines’ d’Al Jazeera, qui voyage en Bolivie et explore de l’intérieur la croisade climatique du pays dans l’épisode: The other debt crisis: Climate debt.
Cette fiche existe également en anglais
Traduction : Amélie Boissonnet
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