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L’industrie automobile face au défi énergie-climat

François Jaumain

01 / 2009

LEF-Global Chance (Propos recueillis par Pierre Cornut le 20 octobre 2008) :

Alors que la menace climatique se conjugue avec la perspective du « peak-oil », pensez-vous que les facteurs énergie et environnement déterminent désormais le devenir de l’industrie automobile ?

François Jaumain :

Il est clair que l’on ne peut comprendre les mutations actuelles de cette industrie sans prendre en compte ces deux enjeux.

En ce qui concerne le prix du pétrole, la tendance, au-delà des fluctuations de court/moyen terme, est structurellement orientée à la hausse sur le long terme ; toutes choses égales par ailleurs, il en est donc de même pour le coût d’usage de l’automobile. Résultat : les véhicules trop gourmands n’ont plus la cote. D’autant que les inquiétudes relatives à la sécurité énergétique s’accentuent dans un contexte de forte croissance de la demande de brut et d’incertitude sur les réserves.

Le facteur environnemental joue lui aussi un rôle croissant, avec la prise de conscience écologiste et ses conséquences en termes de réglementation. L’Union Européenne par exemple s’est fixé des objectifs très volontaristes en matière d’émissions de particules (normes EURO 5 et EURO 6) tout en s’attaquant parallèlement aux émissions de CO2 des véhicules neufs, avec, là aussi, des objectifs ambitieux.

L’Europe n’est d’ailleurs nullement un cas isolé : qu’elle soit motivée par la protection de l’environnement ou par des considérations telles que la sécurité énergétique, l’augmentation de la contrainte réglementaire est une tendance générale. Les constructeurs automobiles doivent composer avec cette nouvelle donne.

LEF-Global Chance :

Face au double défi énergie-climat, des constructeurs comme Toyota ont su anticiper et marquent des points, d’autres comme General Motors voient leur existence même remise en cause : l’intérêt des constructeurs n’est-il pas de jouer le jeu plutôt que de s’opposer au changement ?

François Jaumain :

Au-delà des effets d’images (les voitures proposées par Renault et PSA sont en moyenne plus vertueuses que celles vendues par Toyota), les acteurs qui tirent le mieux leur épingle du jeu sont toujours ceux qui savent anticiper l’évolution des caractéristiques du marché pour être à même de proposer une offre adaptée. C’est d’autant plus vrai que le temps des producteurs automobiles est un temps long : si l’on ajoute au processus de développement produit (de l’ordre de 18 mois à 2 ans) l’éventuelle construction d’une usine, on est sur un délai de 5 ans entre la conception et la mise sur le marché. Cette temporalité longue, d’ailleurs, est un argument important pour les constructeurs dans leur dialogue avec les pouvoirs publics : il n’y a pas d’opposition de principe à un mouvement inéluctable vers des véhicules plus sobres et moins émetteurs, mais une volonté d’en négocier le rythme en faisant valoir les contraintes propres au secteur, y compris sur le plan économique.

Alors que l’Union Européenne souhaite orienter la demande vers des véhicules moins polluants et a dévoilé en décembre 2007 son plan pour atteindre la barre de 130 g/km de CO2 en moyenne, se pose par exemple la question du surcoût entraîné et de son acceptation par les consommateurs. L’Union Européenne table sur un surcoût par véhicule de 1 300 euros, mais l’Association des Constructeurs Européens d’Automobiles estime qu’il atteindra 3 650 euros (soit environ 15 % du prix de vente moyen) et que le marché n’est pas mûr pour une telle augmentation. Le but des constructeurs, dès lors, est de parvenir avec les pouvoirs publics à équilibrer l’équation en jouant sur ses différents paramètres : recherche de nouveaux gains de productivité, aides d’Etat (primes à l’achat avec les dispositifs de type bonus-malus déjà adoptés par 15 pays européens, ou aides directes aux constructeurs comme aux Etats-Unis), mise en avant, dans un contexte de hausse tendancielle du prix du baril, des économies de carburants réalisées à l’usage, etc. Cette question du surcoût et du consentement à payer est en effet centrale : législateurs et constructeurs doivent avoir à l’esprit que les technologies « vertes » ne pourront pas s’imposer si leur coût dépasse trop largement celui des technologies classiques.

LEF-Global Chance :

Sur le plan technologique, précisément, quelle est votre analyse des perspectives ouvertes, que ce soit dans une logique d’amélioration ou de rupture ? Les gains théoriques en cycle de conduite normalisé continueront-ils d’être annulés dans le monde réel à cause des évolutions structurelles du parc et des conditions de circulation ?

François Jaumain :

Depuis les années 90, effectivement, les progrès considérables qui ont été enregistrés ont été contrebalancés par des facteurs tels que la recherche de sécurité, de confort, de puissance… Mais l’analyse des tendances récentes du marché montre que cet effet pourrait s’amortir à l’avenir : face à une demande qui s’oriente vers les segments moins coûteux à l’achat et à l’usage, on constate une évolution de l’offre avec, en particulier, le report des programmes les moins adaptés à la nouvelle situation. D’un côté comme de l’autre, la priorité n’est plus à la puissance pour la puissance. Et des marges de manœuvre effectives existent pour améliorer encore l’efficacité des véhicules à propulsion classique, tout en augmentant le recours à des carburants alternatifs.

En matière de rupture technologique, par contre, il convient d’être lucide : il y a un large consensus par exemple sur le fait qu’une option telle que la pile à combustible ne saurait s’imposer avant plusieurs dizaines d’années. Certes, on observe une relative diversité au niveau des stratégies de long terme des dix principaux constructeurs : certains investissent sur l’électrique classique tandis que d’autres misent directement sur la pile à combustible. Mais la plupart des experts s’accordent sur un constat : le moteur à explosion a encore de l’avenir devant lui. Avec en arrière plan deux tendances lourdes : la diésélisation croissante du parc, avantageuse sur le plan des émissions de CO2 mais qui n’est pas sans poser des problèmes en termes d’émissions de particules, et le développement des motorisations hybrides, dans une logique de transition progressive vers le tout électrique.

LEF-Global Chance :

Pour limiter le réchauffement à +2 °C d’ici 2100, le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat préconise une réduction de 50 % à 85 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre d’ici 2050, tout en insistant sur la nécessité d’agir de façon forte et rapide afi n d’orienter à la baisse les émissions dès 2015. Face à ce défi , les réponses technologiques mises en avant par les constructeurs automobiles sont-elles à la hauteur ?

François Jaumain :

Pour diverses raisons, les émissions provenant du secteur des transports suivent une courbe ascendante qui est effectivement très préoccupante à l’échelle planétaire. Aujourd’hui, 14 % des émissions mondiales proviennent par exemple des transports routiers, ce qui leur confère une lourde responsabilité sociale. Pour les constructeurs automobiles, il s’agit là d’un vrai challenge, y compris bien sûr en termes d’image. Mais ils ont une culture d’entreprise très forte, dans le meilleur sens du terme, avec une vraie capacité de mobilisation, de recherche et développement, d’innovation, etc. Sans aller évidemment jusqu’à remettre en cause leur cœur de métier, ils paraissent donc en mesure de relever le défi et de proposer des produits moins impactants pour répondre aux attentes des pouvoirs publics et des consommateurs.

Reste que l’augmentation tendancielle des émissions des transports routiers est de plus en plus liée à leur explosion dans les pays émergents. Plus que sur les questions technologiques, c’est peut-être là que se joue le défi énergétique et climatique, avec l’apparition d’une classe moyenne d’un milliard de personnes. Les pays émergents, et en particulier les BRIC (Brésil-Russie-Inde-Chine), devraient par exemple assurer 95 % de la croissance du marché mondial de l’automobile d’ici 2015. La production mondiale, qui s’est établie en 2007 à 69 millions de véhicules, devrait alors atteindre le chiffre de 85 millions, et un pays comme la Chine sera vraisemblablement devenu le premier marché automobile du monde. De plus, les modèles commercialisés dans ces pays – y compris par les constructeurs occidentaux – ne présentent pas les mêmes niveaux de performance que ceux proposés à l’achat dans les pays développés. Ces marchés ne sont donc pas des modèles de « croissance verte » : en Chine, d’ailleurs, les segments les plus dynamiques sont actuellement les SUV2 et les berlines de luxe…

LEF-Global Chance :

Les pays en développement, justement, sont dans le contexte actuel considérés par l’industrie automobile comme un véritable « relais de croissance ». Peut-on dès lors établir un parallèle entre la stratégie des constructeurs automobiles, qui misent sur ces nouveaux marchés, et celle des multinationales du tabac, qui, après avoir nié la dangerosité de leur produit pour la santé, ont choisi d’orienter leurs efforts vers les consommateurs du Sud ?

François Jaumain :

La question des pays émergents doit être analysée avec plus d’optimisme et en tenant compte de facteurs multiples. Ainsi, il ne faut pas oublier que le développement de la circulation automobile dans ces pays entraîne une augmentation de la pollution locale, en particulier dans les villes, ce qui conduit les autorités concernées à adopter des mesures de régulation, éventuellement sous forme de normes d’émissions. De ce point de vue, ces pays n’échappent pas à la tendance générale. Pour certains d’entre eux, dont la Chine, l’enjeu est également énergétique : l’expansion du parc automobile se traduit par une hausse continue de la consommation de carburants, donc des importations de pétrole, avec à la clé une dépendance croissante et une dégradation de la balance extérieure. La Chine, suivant l’exemple d’autres pays asiatiques dont l’Inde, a d’ailleurs été récemment amenée à réviser sa politique de subvention des prix à la pompe, qui se traduisait par un écart croissant entre l’évolution des cours mondiaux du brut et celle du prix local des carburants. Enfin, les pays émergents seront inévitablement amenés dans un avenir proche à accorder une importance croissante au facteur climat, et donc à adopter des mesures pour réduire les consommations unitaires des véhicules commercialisés, comme l’ont fait avant eux les pays développés.

Il faut, d’autre part, prendre en compte le facteur « concurrence industrielle » : d’une certaine façon, les normes imposées sur leurs marchés par les pays du Nord sont autant de barrières pour les constructeurs du Sud. Il est donc dans l’intérêt des pays émergents de se donner les moyens d’un alignement technologique, entre autres via des alliances industrielles avec les constructeurs historiques des pays riches. De ce point de vue aussi, on peut penser qu’une certaine convergence s’imposera à terme, même si pendant une période de transition plus ou moins longue les modèles produits pour les marchés intérieurs des pays en développement resteront moins performants que ceux destinés à l’exportation vers les pays développés, en particulier dans les segments de marché les plus accessibles économiquement.

Palavras-chave

meio de transporte, transporte urbano, domínio da energia, política de energia


,

dossiê

Vers la sortie de route ? Les transports face aux défis de l’énergie et du climat

Fonte

Références

François Jaumain, Les enjeux de l’industrie automobile face au changement climatique, Actualités du Commerce Extérieur - ACCOMEX, novembre/ décembre 2007, n° 78 (article également publié par Problèmes Economiques, n° 2947, 7 mai 2008, pp. 38-42).

PricewaterhouseCoopers, The automotive industry and climate change - framework and dynamics of the CO2 (r)evolution, septembre 2007, 127 pages.

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