Centre for Education and Documentation
08 / 2010
L’Inde est l’un des pays du monde les plus exposés à la sécheresse. Plus de 75% des terres cultivées se situent dans les régions tropicales semi-arides du pays, soit 131 millions d’hectares sur 174 millions. La Commission Centrale de l’Eau estime que 99 districts répartis sur 14 États sont exposés au risque de sécheresse. La plupart se situe en Andhra Pradesh (AP), au Maharashtra, au Tamil Nadu au Karnataka et au Rajasthan, touchant 265 millions de personnes en zone rurale. Des précipitations faibles et irrégulières alliées à des températures extrêmes et une radiation solaire intense rendent ces régions extrêmement vulnérables (1).
Les sources d’eau dans les régions arides et semi-arides
Par définition, l’eau est rare dans les régions arides et semi-arides : les nappes phréatiques y sont basses, les précipitations faibles, se situant entre 100 et 400 mm ou 400 et 800 mm, et le ruissellement est élevé.
Les régions arides du Nord (désert du Rajasthan, Kutch) et les régions semi-arides du Penjab et du Gujarat sont entièrement dépendantes des eaux souterraines et des réservoirs d’eau en surface (artificiels et naturels) : aucune rivière ne coule dans ces régions. La péninsule Sud est en revanche parcourue par des rivières alimentées par les sources souterraines et les pluies de mousson.
Les réservoirs d’eau de petite et moyenne taille constituent la principale source d’eau pérenne de ces régions.Dans de nombreuses régions le réservoir est la seule méthode permettant de stocker l’eau de pluie (2). Environ 120.000 petits réservoirs irriguent près de 4,12 millions d’hectares, principalement dans les Etats semi-arides du Sud (AP, Karnataka, Tamil Nadu).
Moyens de subsistance et stratégie de réduction des risques
Les régions arides et semi-arides font face à des difficultés importantes dues à l’absence de sécurité alimentaire et/ou d’opportunités économiques.
La faible productivité des terres et les propriétés de petite taille ont conduit à du chômage déguisé, augmentant la vulnérabilité de la région. Avec les pratiques agricoles actuelles, de nombreux agriculteurs sont incapables de gagner leur vie à l’année. Pour les éleveurs nomades et les bergers, la rareté de l’eau et de la nourriture ainsi que les maladies des animaux constituent des problèmes majeurs, tandis que la réduction des terres de pâturage et des terres communales créent une pression supplémentaire.
La population rurale survit en combinant l’agriculture pluviale, l’élevage et d’autres activités génératrices de revenus. Les familles créent également des stocks d’urgence de produits agricoles ou de liquidités et ont recours au crédit pour survivre pendant les périodes de vaches maigres.
Mais face aux chocs globaux elles sont bien plus vulnérables. Une météo défavorable, comme une sécheresse prolongée, affecte fortement la production et ont un impact très fort sur la vie des habitants. Ces chocs touchent toutes les personnes présentes dans l’environnement local et constituent des risques d’autant plus difficiles à diversifier.
Migrations
On ne peut parler des régions arides et semi-arides sans évoquer la migration. En continuité avec les modes de vie nomade et semi-nomade des population de ces régions, la migration sous ses diverses formes (saisonnière, d’urgence, rurale à rurale, rurale à urbaine) y est fréquente. Les revenus de la migration jouent un rôle vital pour fournir un soutien aux familles pauvres, la migration devenant une stratégie, parfois principale, de survie et de subsistance.
La migration se fait vers les zones irriguées où l’on trouve du travail agricole rémunéré ou bien vers les zones urbaines où divers emplois sont disponibles : travail salarié (secteurs de la construction, des travaux publics, etc.), emploi indépendant en tant qu’artisan ou travailleur qualifié (maçon, sculpteurs de statues, mécanicien, chauffeur) et emploi contractuel (gardien, domestique, petits boulots dans les bureaux) (3).
D’après une étude conduite en Andhra Pradesh par Priya Deshinger de l’Overseas Development Institute (4), 66% des migrants proviennent des régions arides et isolées et ils peuvent réaliser un bénéfice de 55% de la migration. Vingt-quatre pour cent viennent des régions semi-arides connectées à des villes. Ils ont un retour de 22%. Une très faible migration provient de régions irriguées et le rapport est inférieur à 10%. La plus faible migration concerne les régions proches des villes. La migration est donc essentiellement rendue nécessaire dans les régions arides pour assurer la survie des communautés.
Bio-diversité et sécurité alimentaire
La variabilité du climat a été et continue d’être la source principale des fluctuations dans la production alimentaire, en particulier dans les régions tropicales semi-arides. Conjuguée à d’autres facteurs physiques, sociaux, politiques et économiques, la variabilité climatique contribue à la vulnérabilité à travers les pertes économiques, la faim et les déplacements.
La biodiversité et la sécurité alimentaire sont directement liés. Des variétés traditionnelles ont plus de chances de survivre à une mauvaise mousson et permettent aux agriculteurs d’assurer leurs besoins de base. La diversification des cultures et les systèmes de pluriculture sont un moyen de réduire le risque de mauvaise récolte en raison du temps ou des ravageurs.
Morduch (5) montre que les foyers dont les niveaux de consommation sont proches de la subsistance consacrent une plus grande part de leurs terres aux variétés traditionnelles plus sûres de riz et de ricin qu’aux variétés à haut rendement et qu’ils diversifient spatialement leurs parcelles pour réduire l’impact des chocs climatiques variable selon le lieu.
Cependant les tendances qui se profilent sont source d’inquiétude. Les banques de semences de cultures traditionnelles et robustes disparaissent progressivement pour laisser place à la monoculture commerciale d’arachide ou de tournesol. Or, une mauvaise récolte en monoculture peut anéantir un agriculteur et le pousser vers l’endettement. Cela a été amplement démontré par les nombreux suicides de paysans dans le centre de l’Inde où le redressement après une mauvaise récolte s’est révélé impossible (voir infra l’étude de cas en Andhra Pradesh).
Effets prévus du changement climatique
Il est prévu que les régions arides connaissent des changements de climat importants mais il existe de grandes incertitudes et variabilité dans les estimations selon les différents scenarii. La complexité des changements dans les précipitations, des interactions entre le climat et la végétation et des effets physiologiques directs du CO2 sur la végétation constituent des défis pour la modélisation du changement climatique dans les régions arides.
D’après R.K. Pachauri du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’ Évolution du Climat, les probabilités d’un assèchement des régions arides et semi-arides sont très élevées, ce qui conduirait à de graves pénuries d’eau, à une forte baisse des revenus des populations vulnérables et à une augmentation du nombre de personnes souffrant de faim. Il souligne aussi la vulnérabilité de certaines régions qui seront exposées au double risque du changement climatique et de la mondialisation. Ainsi, la vulnérabilité du Karnataka qui sera en pénurie d’eau, sera exacerbée par la pratique de l’agriculture sous contrat et des cultures commerciales destinées à l’exportation.
Évolution attendue des précipitations
On observe une tendance à une augmentation des pluies de mousson le long de la côté occidentale, au nord de l’Andhra Pradesh et dans le nord ouest de l’Inde (+ 10 à 12% par rapport à la normale sur 100 ans) tandis qu’elles baissent à l’est du Madhya Pradesh, au nord-est de l’Inde et dans certaines régions du Gujarat et du Kerala (6 à 8% de baisse sur 100 ans).
Les sécheresses se concentreront au Gujarat et au Rajasthan, déjà touchés par ces phénomènes, et en Orissa, actuellement plutôt touché par des inondations.
Sécurité alimentaire et migration
Des contraintes non climatiques affectent d’ores et déjà les populations agraires dans les régions arides. Elles seront aggravées par les effets du changement climatique. La baisse de la productivité agricole due aux changements de température et de précipitations aggravera les effets de la fragmentation de la propriété foncière renforcée par l’augmentation de la population.
La baisse des précipitations et les pénuries d’eau entraîneront une baisse de la productivité de la terre et donc de la production alimentaire. La sécurité alimentaire conduira à plus de migration et à la perte de main d’œuvre agricole. Les villes déjà surpeuplées auront du mal à faire face à cet afflux de population des zones rurales qui s’ajoutera aux pressions qu’elles devront déjà gérer en raison du changement climatique.
Communautés pastorales
Selon le dossier “Climate Change and Drylands” de l’International Institute for Environmental Development, les groupes pastoraux qui gèrent une part importante des têtes de bétail au niveau national sont particulièrement vulnérables au changement climatique. Suite aux changements dans les précipitations les zones de pâturage seront de plus en plus incertaines, rares et éparpillées, avec un risque de perte de bétail et de moyens d’existence. Le nombre, la distribution et la productivité des pâturages et des points d’eau permanents qui constituent des éléments critiques pour la survie des animaux en saison sèche iront déclinant. Des ressources plus rares couplées à l’augmentation de la population risquent d’entraîner une compétition plus grande et des conflits entre les communautés pastorales et avec les autres groupes.
Dans le long terme, les éleveurs devront sans doute diversifier leurs moyens de subsistance à la fois au sein du système pastoral (par exemple en privilégiant des espèces plus résistantes à la sécheresse telles que les chameaux) et en dehors de l’élevage. Ils migreront vers des zones plus humides aux précipitations plus prévisibles, exacerbant la pression sur la terre et risquant d’alimenter des conflits entre communautés.
Risques liés aux politiques non adaptées aux régions vulnérables : le cas du district d’Anantapur en Andhra Pradesh
Le district d’Anantapur en Andhra Pradesh reçoit environ 500 mm de précipitations par an. La distribution des précipitations varie considérablement d’une saison à l’autre et d’une année sur l’autre. Avant les années 60, l’agriculture pluviale visait principalement à subvenir aux besoins du foyer et à la demande du marché local en produits alimentaires et en fourrage. Le millet était la principale culture de la région. Dans quelques petites régions le pois d’angole, le ricin, le sorgho ou l’arachide étaient les principales cultures. Alors que l’arachide était d’abord utilisée comme condiment, l’huile d’arachide était aussi produite grâce à des moulins traditionnels actionnés par des bœufs.
Ce système complexe de culture s’était développé au fil des années et était certainement adapté à la variabilité du climat de la région. Les trois dernières décennies ont vu des changements importants dans les modes de production et les choix technologiques. La variété d’arachide cultivée dans les années 60 et 70 était une variété traditionnelle demandant 150 jours pour arriver à maturité. La variété TMV-2 a été introduite dans la région au début des années 70. Progressivement, elle a totalement remplacé la première et est aujourd’hui la principale culture dans la région pluviale d’Anantapur.
La monoculture de l’arachide a fait son apparition seulement ces vingt dernières années. Les agriculteurs n’ont donc pas encore un recul suffisant quant à l’impact du changement climatique sur les différents étapes de la croissance et sur la productivité de cette variété. Mais les sécheresses fréquentes ont déjà causé de fortes baisses de production. Lors de ces périodes, les revenus des paysans, en particulier des plus pauvres, s’effondrent et les niveaux d’endettement dus à des investissements importants les placent dans des situations très difficiles. La spécialisation des cultures dans une région de précipitations faibles et variables augmente la vulnérabilité des agriculteurs à la sécheresse sur le long terme.
Conclusion
Le développement des régions arides implique de s’attaquer au problème de la dégradation des écosystèmes, de généraliser la gestion durable des ressources naturelles et de valoriser les capacités d’adaptation des populations et des institutions. Les actions réalisées dans le passé n’ont pas produit les résultats escomptés, les institutions nationales et internationales ayant choisi de développer d’autres écosystèmes considérés comme de meilleurs investissements (la Révolution verte a ignoré les régions arides). Le changement climatique risque de renforcer la rareté des ressources. Il constituera un défi supplémentaire pour la pérennisation des moyens d’existence des habitants de ces écosystèmes sensibles.
Afin d’assurer la sécurité alimentaire, il est donc nécessaire d’assurer l’accès à l’alimentation, de créer des plans d’urgence pour les récoltes, le fourrage, l’eau potable, de stabiliser les cultures, de lancer des programmes de gestion des bassins versants, de favoriser la gestion communautaire des ressources naturelles et l’agriculture biologique afin d’augmenter la productivité de la terre, de revitaliser des cultures et pratiques traditionnelles, y compris l’élevage d’espèces animales traditionnelles.
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, Índia
L’Inde et le changement climatique
Lire l’article original en anglais : Impact of climate change on arid regions in India
Traduction : Valérie FERNANDO
Pour aller plus loin :
Ashish KOTHARI, “Agro-Biodiversity The Future Of India’s Agriculture”, in Indian Explorations in Sustainable Development, 2008
Ritu KUMAR, Climate Change and India: Impacts, Policy Responses and a Framework for EU-India Cooperation, TERI Europe, 2008
Chandan K. SAMAL, “Remittances And Sustainable Livelihoods In Semi-Arid Areas”, in Asia-Pacific Development Journal, Vol. 13, No. 2, December 2006
Helene BIE LILLEOR et al., Weather Insurance in Semi-Arid India, 2005
A. Arivudai NAMBI, « Vulnerability Assessment & Enhancing Adaptive Capacity to Climate Change in Semi-Arid Areas in India », Discussion Paper, MS Swaminathan Foundation, September 2004
A.R. SUBBIAH, « Establishing common ground to bring together disaster reduction and climate change communities-Challenges and opportunities », présentation à la réunion du groupe d’experts du PNUD Integrating Disaster Reduction and Adaptation to Climate Change, La Havane, 17-19 Juin 2002
J. MORDUCH, ‘Income Smoothing and Consumption Smoothing’, in Journal of Economic Perspectives, Vol. 9(3), 1995
Texto original
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