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L’empreinte écologique des transports

Natacha Gondran, Aurélien Boutaud

07 / 2010

Grâce à ses qualités pédagogiques, l’empreinte écologique connaît aujourd’hui un succès spectaculaire. L’objectif de ses concepteurs est d’en faire un indicateur incontournable qui permettrait aux décideurs politiques et aux citoyens de suivre l’évolution des « actifs écologiques » d’un pays au même titre que le PIB suit sa santé économique[>1]. Cependant, si les calculs d’empreinte au niveau « micro » (régions, villes, organisations) différencient les responsabilités liées à l’alimentation, au logement, à la mobilité et aux biens et services, les calculs nationaux ne représentent pas clairement les contributions de ces divers secteurs à l’empreinte nationale. Est-il possible d’estimer le poids des transports dans l’empreinte écologique d’une nation ? Cet indicateur est-il pertinent pour évaluer le poids écologique lié aux transports ?

Qu’est-ce que l’empreinte écologique ?

L’empreinte écologique cherche à représenter la quantité de « nature » qu’il faut mobiliser pour faire fonctionner durablement l’économie humaine (2). Plus précisément, elle s’intéresse aux aspects les plus critiques de cette quantité de « nature », c’est à dire ceux qui concernent la partie vivante et régénérative de l’écosystème terrestre (la biosphère) dont le maintien dans le temps dépend de sa capacité de charge… elle-même caractérisée par deux fonctions essentielles : la capacité de renouvellement des ressources issues de la biomasse, et sa capacité d’assimilation des déchets. Partant de là, le système comptable de l’empreinte écologique repose sur un constat simple : la plupart de ces services biologiques (production de ressources renouvelables, épuration et séquestration de nos déchets) trouvent leur origine dans le processus de photosynthèse. La quantité de services que la biosphère peut rendre dépend donc en grande partie de la surface disponible sur Terre pour capter la lumière du soleil par le biais de la photosynthèse. Les surfaces mondiales de sol et de mer dotées de cette capacité (surfaces dites « bioproductives ») représentent environ 13,4 milliards d’hectares (soit un « seuil de durabilité écologique » de 2,1 hag/hab) (3). Cette « offre de nature » (biocapacité) est ensuite comparée à la « demande » : l’empreinte écologique (2,7 hag/hab) (4).

Au niveau des nations, une des spécificités de l’empreinte écologique consiste à imputer aux consommateurs de biens et services les impacts liés à leur production et transports. Le poids de tous les biens et services échangés entre nations est passé de 8 % de l’empreinte écologique mondiale en 1961 à plus de 40 % en 2005. L’augmentation de ces échanges internationaux génère des interdépendances de plus en plus fortes entre les modes de consommation et les biocapacités des différents pays du monde. Les pays à haut revenu sont les plus dépendants de ces importations de ressources écologiques : en 2005, l’empreinte de leurs importations (production et transports des produits alimentaires, biens et services consommés) représentait 61 % de leur empreinte totale, contre seulement 12 % en 1961 tandis que, pour les pays à faible revenu, elle était de 13 % en 2005 contre seulement 2 % en 1961. Mais retracer les trajets et imputer les impacts de ces biens est complexe et approximatif : si une part des ressources importées est effectivement consommée dans le pays d’importation, d’autres sont transformées et ré-exportées pour réaliser un gain économique.

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Quelle est la part des transports dans l’empreinte écologique ?

Si les calculs d’empreinte écologique au niveau « micro » (régions, villes, organisations) font apparaître la mobilité comme une catégorie bien défi nie, les calculs nationaux ne proposent pas encore d’analyse thématique des diverses contributions à l’empreinte écologique. La répartition par type de sol permet cependant de visualiser les impacts respectifs de la production de ressources biologiques (cultures, pâturages, forêts, pêcheries) et des consommations d’énergie.

L’empreinte écologique prend en compte les aspects suivants liés aux transports :

  • Les surfaces rendues non productives à cause de la construction des infrastructures de transports : réseaux routiers interurbains, chemins de fer, ports et aéroports : ces zones sont en forte expansion (+ 14 % de 1990 à 2000) (5).

  • La surface de forêt (6) qui serait nécessaire pour absorber les émissions de CO2 liées à la combustion des énergies fossiles consommées par les transports sur le territoire étudié, déduction faite de la part assimilée par les océans. (7)

  • La surface nécessaire à la culture des agrocarburants consommés, dans le pays étudié, pour les transports.

  • La surface de forêt qui serait nécessaire pour absorber les émissions de CO2 liées à la combustion des énergies fossiles nécessaires aux transports des biens importés consommés par la population étudiée.

Si les deux premiers points sont facilement identifiables avec la méthode de calcul actuelle, ce n’est pas le cas des deux derniers aspects, qui sont pour l’instant intégrés dans le résultat final d’empreinte écologique de chaque pays mais ne sont pas distingués en tant que tels. On ne peut donc estimer facilement leur part dans l’empreinte totale de chaque pays. Il en résulte que les résultats de calculs « d’empreinte écologique des transports » minimisent la part réelle des transports puisque seuls les deux premiers aspects identifiés sont pris en compte.

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La figure ci-dessus présente les résultats des estimations de l’empreinte écologique (8) liée aux transports pour la France (9), Madagascar (10), la Hongrie, et le Monde dans son ensemble. Nous avons représenté le poids écologique du secteur des transports par rapport à celui d’une fonction que l’on peut considérer comme plus « vitale » pour l’être humain : l’alimentation.

Pour un « Français moyen », les transports intérieurs représentent près de 18 % de son empreinte écologique totale (4,9 hag/habitant/an). Pour un pays à revenu moyen tel que la Hongrie, la part des transports dans l’empreinte écologique est bien plus faible (moins de 8 %). Pour un pays à faible revenu (Madagascar), elle n’est plus que de 2 % ! Au niveau mondial, les transports représentent près de 13 % de l’empreinte écologique moyenne mondiale de 2,7 hag : mais cette valeur intègre l’empreinte écologique liée aux transports internationaux, contrairement aux données pour la Hongrie et la France où l’empreinte écologique liée aux transports des biens importés est imputée aux biens et services consommés (et donc noyés dans la partie « Empreinte écologique hors transports et alimentation » de la figure ci-dessus).

Ces résultats sont sans réelle surprise : d’une part, l’empreinte écologique de la majorité de la population mondiale, vivant dans des pays à faible revenu, est bien plus basse que la nôtre (et proche, voire conforme au seuil de durabilité écologique !). Automatiquement, l’empreinte écologique consacrée aux transports est plus faible en valeur absolue. Mais les données en valeurs relatives nous indiquent également un autre phénomène : la composition de l’empreinte écologique est très différente selon les différents modes de vie. La part d’empreinte écologique liée à la production de ressources biologiques, principalement alimentaires, est bien plus forte pour les pays à faibles revenus (0,55 hag, ce qui correspond à 55 % de leur empreinte écologique totale en 2008 (11)) que pour ceux à revenus élevés (1,6 hag, mais qui ne correspond qu’à un quart de leur empreinte écologique totale !). La part d’empreinte écologique consacrée aux transports est donc bien plus faible dans les pays à faibles revenus que dans les pays industrialisés.

Les limites de l’exercice

Les impacts environnementaux qui dégradent à moyen ou long terme la productivité des sols ne sont pas directement pris en compte par l’empreinte écologique – si ce n’est par une réduction probable de la biocapacité des années à venir. Ces impacts ne sont pourtant pas négligeables. En particulier, pour les infrastructures de transports, on peut distinguer deux types d’effets qui provoquent une dégradation des écosystèmes et qui ne sont pas pris en compte par l’empreinte écologique :

  • Certains impacts « directs » des infrastructures et de leur utilisation : modification des hydrosystèmes (altération des écoulements superficiels et des cours d’eau, dégradation de la qualité des eaux par la mise en circulation de polluants divers (MES, hydrocarbures), consommations d’eau (pour les chantiers, par exemple), dégradation de la terre végétale, destruction d’habitats et coupures pour la biodiversité (faune et flore), contribution à l’extinction d’espèces animales et végétales, pollution atmosphérique locale, production de déchets (déblais inertes, déchets dangereux liés aux opérations de construction, maintenance et d’utilisation), consommation de matières premières (remblais, granulats, chaux, énergies fossiles, acier, explosifs, etc.), nuisances sonores et visuelles, etc.

  • Les effets « collatéraux » sur l’aménagement du territoire et sa biodiversité : remembrements qui recomposent les surfaces des exploitations agricoles et la physionomie du territoire (destruction de haies et bocages, par exemple), incitations aux implantations d’entreprises et de zones d’habitations le long des accès aux infrastructures, mais aussi introduction délibérée ou non d’espèces invasives. Ainsi que l’affirme le Président de la Commission Européenne, José Manuel Barroso (12) « On ne peut mesurer les défis du futur avec les outils du passé ». Nous avons besoin de nouvelles lunettes pour observer les conséquences de nos modes de vie. L’empreinte écologique est un indicateur agrégé, certes imparfait et qui nécessite encore des améliorations méthodologiques, mais qui donne une représentation facilement compréhensible et pédagogique des défi s écologiques. En particulier, cela permet de comparer des aspects qui sont généralement traités de façon séparée. Par exemple, il apparaît que les consommations de ressources des populations des pays à faibles revenus se concentrent sur la réponse aux « besoins vitaux » de leur population (se nourrir, en particulier) tandis que la part d’empreinte écologique consacrée à des activités moins vitales, comme les transports, est plus élevée pour les pays à hauts revenus. Cela soulève des questions quant aux choix inévitables et aux priorités à établir en termes de répartition de la consommation des ressources limitées de notre planète. Par exemple, on peut se demander si les « débauches » de transports constatées actuellement de par le monde répondent réellement à un besoin « essentiel » des populations. D’autant que l’essentiel de ces transports profite précisément aux pays qui sont déjà les mieux nantis…

1 - Aurélien Boutaud, Natacha Gondran (2009) L’empreinte écologique, Coll. Repères, Editions de La Découverte, Paris.
2 - Aurélien Boutaud (2008) « L’empreinte écologique, entre fantasmes et réalité », article à paraître dans la revue EcoRev www.ecorev.org/.
3 - Chris Hails (ed.) (2008) Rapport Planète vivante 2008, World Wildlife Fund, Gland. Disponible sur assets.panda.org/downloads/lpr_wwf_2008_french.pdf.
4 - hag : un hectare global est un hectare dont la productivité équivaut à la productivité moyenne mondiale.
5 - Les données utilisées sont celles de la base de données européenne CORINE land cover, elles sont donc disponibles pour l’Europe seulement. En France, par exemple, ces infrastructures représentent 4 % de l’ensemble des sols construits.
6 - Cette méthode de comptabilisation des émissions de CO2 découle de la logique conceptuelle de l’empreinte écologique ; elle ne signifie donc pas que la plantation de forêts soit la bonne réponse face au changement climatique. Bien au contraire, elle conduit à conclure que la planète n’a pas la capacité d’assimiler ainsi tous les gaz à effet de serre émis par les activités humaines !
7 - Par exemple, en France, les transports représentent 34 % des émissions de CO2 (source : CHANG Jean-Pierre (Dir.) Inventaire des émissions de gaz a effet de serre en France au titre de la convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, Synthèse CCNUCC / CRF, décembre 2007, disponible sur unfccc.int/files/national_reports/annex_i_ghg_inventories/national_inventories_submissions/application/x-zip-compressed/fra_2008_nir_10apr.zip.
8 - Nos calculs ont été réalisés à partir de C. Hails (ed.) (2008) op.cit.
9 - Pour voir l’évolution de l’empreinte écologique totale de la France et de la Belgique : Thierry Thouvenot, Geoffroy De Schutter, EMPREINTE ECOLOGIQUE France et Belgique, WWF France et WWF Belgique, Disponible sur www.wwf.fr/pdf/7LPR-bijlage-2008FRANS.pdf
10 - Données tirées du rapport national d’émissions de gaz à effet de serre disponible sur unfccc.int/resource/docs/natc/mdgnc1.pdf.
11 - C. Hails (ed.) (2008) op.cit.
12 - Beyond GDP : Measuring progress, true wealth, and the well-being of nations, Conférence organisée par la Commission Européenne, le Parlement Européen, le Club de Rome, l’OCDE, et le WWF, 19 & 20 Novembre 2007, Disponible sur www.beyond-gdp.eu/download/bgdp-summary-notes.pdf.

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