L’approche de la ville renouvelée vise la reconquête urbaine, la réhabilitation écologique et sociale du bâti ancien, par îlots ou quartiers
2001
L’approche de la ville renouvelée vise la reconquête urbaine, la réhabilitation écologique et sociale du bâti ancien, par îlots ou quartiers, comme en ex-RDA. Le premier objectif est de favoriser le caractère évolutif de la ville. La réutilisation permanente des lieux et des tissus urbains est une acception de la ville durable, de la ville capable de se renouveler dans le temps long. Le recyclage des tissus urbains est par ailleurs une pratique très ancienne.
Un second objectif est de « ramener les habitants au centre», explique l’architecte Richard Rogers (1), ce centre n’étant pas forcément unique (pouvant s’inscrire dans une structure polycentrique). En d’autres termes, le projet de la ville durable implique un travail de revitalisation et d’adaptation des tissus anciens aux pratiques des habitants, dans l’idée d’enrayer le mouvement centrifuge des populations et des emplois.
Les cibles privilégiées du renouvellement urbain en Europe sont les zones désindustrialisées ou démilitarisées, et les grands ensembles de l’époque moderne. Les difficultés pour réinscrire ces tissus souvent en déshérence dans la dynamique urbaine sont importantes mais constituent un chantier prioritaire dans l’optique d’un développement durable. Le recyclage des friches industrielles est bien avancé en Allemagne, celui des grands ensembles, notamment à l’Est, fait l’objet de nombreux programmes mais en rencontrant certaines impasses. L’intense réhabilitation du quartier du Grünau (2), dans la périphérie de Leipzig, n’a pas suffi par exemple à endiguer la fuite des habitants vers l’habitat pavillonnaire, posant aujourd’hui la question de la destruction d’une partie du quartier.
Le nouveau plan régulateur de Rome, qui se réfère souvent au développement durable, préconise lui aussi la réhabilitation des friches industrielles, dont certaines sont actuellement transformées en pôles culturels. L’extension du réseau ferroviaire urbain avec l’ouverture de nouvelles gares de banlieue et le renforcement des petites centralités périphériques forment l’ossature du plan. L’objectif est de ne pas urbaniser les zones non construites, qui couvrent 70% du territoire municipal, très étendu.
La densité est loin d’être le seul objectif. La cohérence de la ville, la vie de son patrimoine, la qualité et l’identité urbaines, garantes de son attractivité, passent par le recyclage ou le réemploi des bâtiments. Aux yeux de l’association nationale des municipalités néerlandaises, la durabilité est une question de maintenance, d’usage de l’existant et de gestion précautionneuse. Une des trois caractéristiques de la planification durable pour l’association porte sur le respect et l’amélioration de la qualité et de l’identité des sites (3).
Aux Pays-Bas, une politique de recyclage urbain a d’ailleurs été initiée dès le début des années soixante-dix, en réponse aux mouvements de contestation qui s’opposaient aux grands projets modernistes des années soixante (4). La régénération privilégie d’abord la construction de logements sociaux sur des espaces recyclés (friches, bâtiments d’activités, emprises sportives) ou interstitiels, grâce à l’aide de l’Etat qui compense le surcoût du foncier. L’objectif est aussi de protéger l’espace agricole de la pression urbaine. La politique de la ville compacte remplace officiellement celle des villes nouvelles en 1984.
L’enjeu est de redonner une attractivité aux villes centres, notamment aux yeux des classes moyennes suburbaines. Car la politique de logement social intra-muros avait eu comme effet pervers de paupériser les villes, à l’exception des hypercentres gentrifiés. Dès lors, le « Fonds de rénovation urbaine », créé en 1985, cherche à diversifier l’offre de logements sociaux et subventionne le secteur privé qui s’implique dans la régénération urbaine, afin de diversifier aussi la clientèle. Les nouveaux quartiers des villes néerlandaises ne sont pas ainsi caractérisés par des normes minimales de logements sociaux mais par des normes maximales. Le fonds de rénovation permettra de financer notamment la reconversion d’immeubles de bureaux en logements destinés plutôt aux classes aisées, représentant 15% des logements construits entre 1984 et 1995. Le secteur privé prend progressivement le relais de l’intervention publique pour la régénération urbaine, toujours selon l’ADEF.
A partir de 1995, les municipalités se tournent alors vers la restructuration des quartiers d’habitat social construits après la guerre et dans la première période de rénovation, en cherchant à y introduire de la diversité et de la mixité (sociale et fonctionnelle), grâce à des démolitions et reconstructions interstitielles. La régénération de ces quartiers menacés par une ghettoïsation, est par ailleurs la priorité du programme national financé à partir de 1998, qui conduit 25 villes à élaborer un projet intégré de développement, dans une démarche prospective.
L’affirmation du développement durable, ces dernières années, a aiguisé les exigences de mixité fonctionnelle et a contribué à orienter le recyclage des espaces urbains vers l’accueil d’activités économiques, comme les enseignes de la grande distribution (5). La problématique du développement durable s’est donc greffée sur une politique ancienne de renouvellement urbain. Cette continuité limite l’apport, ou la « valeur ajoutée » du développement durable, qui n’est explicite que pour la participation du public ou la prise en considération de l’environnement dans la vie quotidienne (6).
Les coûts de dépollution des sols inhibent souvent les projets de reconversion en Europe, en exigeant le déblocage de fonds publics importants. La création en 1980 du Fonds foncier de la Ruhr par le Land Rhénanie du Nord-Westphalie a servi ainsi de levier pour le réaménagement de la vallée de l’Emscher. Il a permis aux municipalités de racheter 2300 ha de friches, dont 1000 ha ont été remis en état. Cette reconversion écologique d’une partie de la Ruhr a été le premier projet en Europe de réhabilitation de friches et de paysages industriels à grande échelle (7).
Au Royaume-Uni, le « Budget Unique de la Régénération » (Single Regeneration Budget) mis en place en 1993 par le gouvernement encourage aussi la réhabilitation des terrains industriels. L’objectif est de construire 60% des nouveaux logements sur des terrains en friche ou à partir de bâtiments existants. Ce dispositif a été renforcé avec l’arrivée de Tony Blair. L’architecte Richard Rogers a été chargé de piloter un comité de travail baptisé Urban Task Force, dont la mission était d’analyser les causes du déclin urbain et les solutions pour une régénération urbaine. Le rapport final, destiné à orienter la politique nationale, est un plaidoyer pour la ville durable et renouvelée, qui puisse redevenir attractive pour ses habitants grâce à la qualité de son environnement humain et bâti (8).
Plus concrètement, quelques agendas 21 locaux, comme celui de Leicester, établi en 1996 après quatre ans de concertation, se sont orientés vers la réutilisation des friches. La ville a monté des partenariats avec les acteurs institutionnels et privés pour rendre l’espace portuaire plus attractif et revitaliser l’économie locale. Le Plan Local de Leicester adopté en 1994, qui définit la stratégie de planification de la ville, s’est concentré sur le redéveloppement de la zone de « Bede Island », après décontamination des sols. Entre 1991 et 1996, la moitié des programmes de logements et le tiers des nouveaux emplois se sont implantés sur des terrains désaffectés. Le développement d’une trame verte a permis de protéger certains terrains de l’urbanisation, 3000 hectares en tout, notamment le long de la rivière, dont 860 hectares d’espaces verts publics (9).
Les sites militaires sont également concernés par cette politique de recyclage. En France, environ 7000 hectares de terrains militaires devenus inutiles sont progressivement vendus, dont une centaine d’anciennes casernes et d’hôpitaux militaires dans les secteurs péricentraux des villes moyennes, donc bien placés. La zone non edificandi des fortifications de Lille a par exemple permis d’accueillir le projet Euralille, qui se réclamait d’un développement durable mais qui en est assez éloigné. En Allemagne, les nouveaux quartiers « durables » s’implantent souvent sur des friches militaires. Avec la professionnalisation des armées, des opportunités foncières s’ouvrent pour les villes européennes et pour les stratégies de densification.
Un dernier aspect de la ville renouvelée, bien mis en évidence par Richard Rogers, concerne son caractère renouvelable, dans une visée prospective, cette fois. L’évolution future de la ville peut être facilitée par la polyvalence des programmes et des bâtiments. Pour être en mesure de s’adapter à des évolutions urbaines rapides, il est préférable de dissocier l’usage d’un bâtiment (ou d’un ensemble bâti) de son architecture, de ne pas le spécialiser outre mesure dans sa structure. Des aménagements intérieurs permettront de l’adapter à différents usages et de le reconvertir.
Les logements modulables sont déjà répandus aux Pays-Bas, coutumiers des changements d’affectation des bâtiments d’activités ou des édifices publics. Entre 1990 et 1995 par exemple, 47% des logements construits à l’intérieur des villes étaient issus de ces changements d’affectation (10). Ce principe d’évolutivité des bâtiments renoue avec la tradition urbaine, mais présuppose une longévité que la plupart des bâtiments récents ont perdue.
Tiré de : Les villes européennes face au développement durable : une floraison d’initiatives sur fond de désengagement politique
Par Cyria Emelianoff (Groupe de Recherche en Géographie Sociale de l’Université du Maine, ESO, UMR 6590 du CNRS)