Centre for Education and Documentation
12 / 2009
Ce n’est un secret pour personne que la majorité des agriculteurs en Inde est prise au piège de la dette. Les retours sur investissement de l’agriculture suffisent à peine à rembourser les dettes. Le revenu moyen d’un foyer paysan est estimé à 2.115 roupies par mois, laissant plus de 48% des agriculteurs endettés. Depuis 1997, plus de 150.000 d’entre eux ont été conduits au suicide.
Alors que les intérêts s’accumulent, les agriculteurs ne peuvent que constater leur impuissance à régler le problème. Le Gouvernement est donc contraint de leur annoncer régulièrement des plans d’annulation de dettes. Mais seule une petite partie de ces paysans désespérés bénéficie de telles mesures qui représentent un coût élevé pour le Ministère des Finances.
Dans le budget de l’Union 2008, le Ministre des Finances a annoncé une annulation de dette de 71.000 crore (1) de roupies (12 milliards d’Euros (2)), une décision prise dans le contexte de forte augmentation des suicides de paysans dans le pays. Cela n’a cependant pas fait baisser l’incidence des suicides et n’a eu que pour effet de repousser l’inévitable. Par ailleurs, cette mesure finit par ne bénéficier qu’aux débiteurs défaillants. Ainsi le crédit au sein des groupes d’entraide, qui constitue le segment véritablement le plus pauvre des paysans, ne bénéficie généralement pas de telles annulations de dette car les groupes d’entraide qui assurent le remboursement régulier par les membres à travers la pression des pairs ont de faibles niveaux d’impayés.
La plupart des prêts qui sont annulés sont des prêts à long terme, contractés par des paysans plus aisés afin d’acheter des machines, des tracteurs ou des pompes, contrairement aux prêts pour les cultures de court terme qui sont généralement liés à la récolte. Les agriculteurs possédant plus de deux hectares de terres ont ainsi bénéficié de 25% d’allègement de dette s’ils remboursaient les 75% restant dans les 18 mois. Cela a été étendu à 6 mois supplémentaires en raison de l’arrivée tardive de la mousson en 2009.
De plus l’annulation s’applique uniquement aux prêts formels, alors qu’une grande part des petits agriculteurs s’est endettée auprès de prêteurs informels à des taux d’intérêt élevés.
Politiquement, de telles largesses de la part du Ministère des Finances sont justifiées au nom des pauvres et permettent de redorer l’image du parti au pouvoir au moment des élections. Les annulations de dette aident aussi les banques qui ont accordé ces prêts à rétablir leur équilibre financier.
Économiquement, ces annulations ont pour effet de ralentir le crédit dans le secteur agricole. Ainsi, en 2008-09, après l’annulation de la dette annoncée par le Gouvernement, les prises de crédit ont chuté de 50% dans le Vidarbha, une région qui a connu ces dernières années les taux de suicide de paysans parmi les plus élevés. En 2007-08, les banques nationalisées ont prêté 4.000 crore de roupies et les banques coopératives 4.800 crore pour l’agriculture au Maharashtra. Les chiffres pour 2008-09 sont de seulement de 4.400 crore en tout, soit la moitié par rapport à l’année précédente (Cf. Jaideep HARDIKAR).
Les puristes parmi les néolibéraux prétendent que de telles annulations récompensent les débiteurs défaillants, menaçant ainsi la base même du marché du crédit. Mais les mêmes n’ont pas d’autre proposition que de financer et d’investir toujours plus dans l’agriculture. Ainsi, pour résoudre le problème de la dette, les solutions proposées impliquent plus de crédit. Par exemple l’annulation de dettes dans le budget 2008 a été suivie dans le budget 2009 d’une augmentation de 13,35 % des flux de crédit pour l’agriculture, passant de 2,87 à 3,25 lakh crore (1) de roupies.
Étendue et nature de l’endettement paysan
L’organisme national d’enquêtes et de sondages, la National Sample Survey Organisation, l’un des plus fiables et des plus exhaustifs du pays, a étudié l’étendue de l’endettement chez les agriculteurs depuis 2003.
Son enquête montre que près de la moitié (48,6%) des ménages agricoles est endettée et que 61% d’entre eux sont des petits paysans possédant moins de 1 hectare. De la somme totale empruntée, 41,6% l’a été pour des dépenses non liées à l’agriculture ; 30,6% des prêts concernent des dépenses en capital et 27,8% des dépenses courantes liées aux activités agricoles. Un autre point important est que 42,3% des sommes impayées proviennent de canaux informels tels que les prêteurs et les commerçants.
Nos observations de terrain ont montré que la part la plus importante des impayés est due aux commerçants de pesticides, engrais et autres intrants agricoles. Si l’on met ce résultat en corrélation avec les observations du Groupe d’Experts Radhakrishna (Cf. ci-dessous) sur l’endettement agricole, on trouve qu’il existe une solution pour au moins 27% des dépenses agricoles actuelles.
Le point de vue officiel
Un groupe d’expert sur l’endettement agricole dirigé par Shri R. Radhakrishna a été mis en place. Dans son rapport de juillet 2007, il estime qu’en 2003 les canaux non-institutionnels représentaient 48.000 crore de roupies de la dette des paysans dont 18.000 crore étaient contractés à un taux de 30% ou plus par an.
Le rapport affirme que ces dernières années le modèle de production indien a été fortement biaisé en faveur des cultures commerciales ce qui incite à plus d’investissements dans l’agriculture. Les cultures commerciales nécessitent des prêts à long terme mais en réalité les crédits à court terme dominent dans la structure du crédit agricole dont ils représentent 75% du total.
Le comité observe que l’investissement du secteur public dans l’agriculture, qui représente un tiers de l’investissement total, a décliné ces dernières années et que l’investissement privé joue désormais le rôle dominant. Il remarque que les coopératives sont une source importante de formation de capital et qu’elles ont de nombreuses ressources non utilisées qui pourraient l’être plus efficacement compte tenu d’un environnement politique meilleur dans le contexte de la planification décentralisée et du Panchayati Raj, ou gouvernement local (Cf. Mani K.P.).
Le comité d’experts sur le crédit rural pense que les petits paysans sont désavantagés dans l’accès à la technologie, au crédit et au soutien et qu’une vision plus intégrée est nécessaire pour évaluer les besoins de crédit de tels foyers plutôt que de financer une seule activité. Ce rapport recommande l’agriculture sous contrat pour les petits agriculteurs afin d’accéder au crédit. Ce type d’agriculture permet de faire le lien entre « l’exploitation agricole et le marché ». Il facilite les transferts de technologie, les flux de capitaux et assure l’écoulement de la production sur le marché.
Le groupe recommande, entre autres, l’inclusion des exclus financiers, en particulier les petits emprunteurs et l’adoption de mesures de limitation des risques pour l’agriculture.
Il propose de mettre en place un Fonds de Réduction des Risques sur les Prix pour compenser les agriculteurs dans les situations extrêmes d’effondrement des prix dans le cas des plantations et des autres cultures qui ne sont pas couvertes par le Prix Minimum de Soutien. Une autre recommandation importante est l’introduction d’un système de crédit cyclique concernant les prêts pour les cultures, système qui correspondrait à une intervention liée aux cycles météorologiques plutôt qu’à une fonction annuelle.
Dans le rapport économique officiel 2007-08, le Gouvernement indique qu’il considérera diverses options pour régler le problème de l’endettement agricole.
On reconnaît petit-à-petit que les besoins d’un agriculteur en crédits à court terme diffèrent de ceux à long terme. Ces besoins comprennent l’entretien des machines agricoles, les activités connexes comme les produits laitiers, l’élevage de volailles, le coût de l’alimentation animale, les réparations annuelles, l’énergie, etc. L’agriculteur a bien souvent besoin de ces deux lignes de crédit au même moment.
Les besoins de production à court terme des agriculteurs sont satisfaits par les usuriers locaux qui leur demandent un intérêt élevé. Comme cela est informel, il faut travailler de telle sorte à offrir directement des crédits à faible taux d’intérêt aux agriculteurs. Comme l’agriculture est une activité à long terme par nature, des crédits garantis par des biens sont octroyés mais ces dispositifs sont généralement des niches dans le marché, réservées à une classe privilégiée d’agriculteurs alors que l’accès est refusé aux petits agriculteurs. Il est nécessaire d’innover dans ces dispositifs car ceux qui sont dans le besoin de crédit finissent généralement par être perdants. Ils sont contraints de prendre des prêts relais mais les rembourser est un problème car ils sont déjà pris dans le piège de la dette.
L’endettement ou le risque d’endettement sont tous deux dus à des facteurs exogènes, comme les incertitudes climatiques, et à des raisons endogènes comme les besoins de consommation des agriculteurs qui ont pris le pas sur les obligations de remboursement. Pour de nombreux paysans cela peut être simplement dû au fait que les revenus issus de l’agriculture ne sont pas suffisants pour générer un surplus.
La solution de la Banque mondiale et du Programme Alimentaire Mondial – Plus de crédits
La logique dominante des patrons du développement international menés par la Banque mondiale est qu’il est difficile pour les foyers pauvres d’investir, d’acheter des intrants, dont les semences et les engrais, et de faire face aux chocs tels que la mort d’un animal ou la maladie d’un enfant sans avoir accès au crédit et à l’assurance. La Banque pense que les agriculteurs à faible revenu sont contraints de vendre à bas prix une partie de leur récolte pendant la période des moissons parce qu’ils ont besoin d’argent sans pouvoir en obtenir des banques. Ils sont alors susceptibles d’acheter les mêmes produits de base à prix élevé quelques mois plus tard quand leurs stocks seront épuisés. En Inde, l’agriculteur à bas revenu est aussi généralement contraint de vendre sa récolte à bas prix afin de rembourser en priorité sa dette.
Innover pour s’adapter à un environnement changeant
Le Programme alimentaire mondial construit sa logique sur l’idée que les agriculteurs n’investissent pas dans l’augmentation de leur production en raison du risque de ne pas rentrer dans leurs frais par la seule vente de leurs produits. Le programme a donc décidé d’acheter les produits en utilisant plusieurs « mécanismes innovants dont des contrats avancés, des programmes de reçu de stockage et le soutien à la transformation des produits alimentaires locaux à valeur ajoutée. Dans un système de reçu de stockage, les agriculteurs conservent les aliments dans des greniers enregistrés en échange d’un reçu qui, quand il est soutenu par des réglementations légales, peut servir de garantie pour un prêt auprès d’une institution financière. »
Discréditer le crédit
Mais la réalité demeure qu’un agriculteur n’est tout simplement pas capable de tirer un revenu suffisant de son activité pour payer les coûts qui lui incombent. Le problème fondamental est que la dette agricole ne peut être réduite qu’à partir du moment où les revenus de l’agriculture permettent de prendre en charge les coûts des intrants pour lesquels un prêt a été contracté. Les intrants comprennent les coûts des semences, des engrais, des pesticides, du carburant et de l’électricité ; le coût du capital (tracteur, pompes), de la main d’Ĺ“uvre et le coût de la dette. Les paysans ne sont pas en mesure de couvrir ces coûts en particulier celui de la dette.
Y a-t-il une manière de s’en sortir ? Une recommandation du Centre pour l’agriculture durable (Centre for Sustainable Agriculture, CSA) est d’évoluer vers des modes plus traditionnels d’agriculture. Il a ainsi lancé le mouvement d’agriculture sans pesticides par lequel les agriculteurs sont capables, sans utiliser de pesticides, de générer de meilleurs retours sur investissement de leurs terres et d’éviter l’endettement ou le besoin de crédit pour ces intrants. Le film « Seeding the Knowledge Revolution » du CSA montre comment les agriculteurs de 24 villages se sont désormais libérés de la dette.
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, Índia
L’agriculture paysanne en Inde
Lire l’original en anglais : Agricultural Credit and its effects on small farmer indebtedness
Traduction : Valérie FERNANDO
A lire:
Jaideep HARDIKAR, “Vidarbha farmers feel let down”, in DNA, February 17, 2009
Mani K. P., “ Institutional Credit for Agriculture - Reflections since Reforms”, in Financial Agriculture Magazine, 01 Mai 2007
R RADHAKRISHNA, ‘Report of the Expert Group on Agricultural Indebtedness’, Banking Division, Department of Economic Affairs, Ministry of Finance, Government of India, 2007
Texto original
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